L’âpre lutte des femmes candidates

 | Par CFEMEA, Outras Palavras

En 2020, les femmes noires et les mandats collectifs (« mandatas coletivas ») émergent. Dans un pays où le pouvoir du patriarcat est très oppressif en politique, elles sont confrontées aux préjugés, à la violence et aux hiérarchies pour faire respecter les lignes directrices du féminisme et du bien commun.

Traduction de Milena ESTORNIOLO pour Autres Brésils
Relecture : Marie-Hélène BERNADET

Dans des milliers de municipalités brésiliennes, des candidates féministes antiracistes se présentent aux élections, bien que le terrain soit miné. Les risques sont très élevés pour ces candidates ! Les bombes du racisme patriarcal et de la mercantilisation de la vie font exploser le débat politique sur les projets urbains qui cherchent à construire des sociétés de justice raciale, de genre et éco sociale, à faire face aux inégalités, à affirmer notre diversité et à veiller aux biens communs dans les municipalités où nous vivons.

Dans les municipalités, territoires où se concrétise la vie quotidienne, on sème les graines du féminisme, des peuples autochtones, des noirs, de la diversité sexuelle et des périphéries. Ce sont des graines qui honorent la mémoire de Marielle Franco et qui, même dans ce contexte si aride et si violent, germent encore. Il y a beaucoup d’indignation, de connexions politiques, de discernement et de courage chez les femmes prêtes à résister. Et beaucoup d’autres jailliront plus tard.

Nous sommes confrontées au processus électoral plongées dans le pandémonium des fake news de Bolsonaro et dans la pandémie du COVID 19. Nous faisons face au pouvoir des méga-corporations de Big Data, qui utilisent des mécanismes sophistiqués pour diffuser l’information et manipuler les esprits, favorisant les plateformes conservatrices et les représentants des intérêts du capital. C’est une guerre entre l’urgence de la vie réelle et une vérité fabriquée.

Dans ce contexte, le débat politique est rare et les inégalités structurelles se creusent, non seulement par la négation des droits, mais aussi par l’exclusion des espaces de représentation politique. Même face à la mercantilisation de la politique, à la soumission du pouvoir public et de ses mandataires au pouvoir économique et à la suppression de la justice éco-sociale en faveur d’un profit prédateur qui anéantit la vie, il y a quand même, dans cette faible démocratie qui respire encore, des candidatures de femmes qui s’opposent au pouvoir établi. Elles construisent des alternatives, à l’intérieur et à l’extérieur du système politique.

Même si nous ne pouvons pas nous réjouir de la croissance du nombre de candidatures féminines cette année, – celles-ci étant restées encore une fois au niveau minimum des 30% prévus par la loi – nous pouvons commémorer l’entrée massive et organisée des femmes noires dans la campagne. C’est une victoire importante pour les mouvements sociaux féministes et antiracistes, que nous avons remportée grâce à la pression sur l’extérieur du système politique. En cette année 2020, le nombre total de candidatures de personnes noires (hommes et femmes compris) a augmenté de 2,08 % par rapport à 2016 pour atteindre 277 967 inscriptions soit environ 49,99 % du nombre total de candidatures (517 328) selon les données du TSE (Tribunal Superior Eleitoral) ; tandis que les candidatures de femmes sont au nombre de 186 144, soit 33,5 % du total. Nous restons donc une fois de plus au niveau minimum par sexe établi par la législation pour les élections proportionnelles, qui est de 30 %.

Cependant, comme nous l’avons toujours préconisé, nous réaffirmons : il faut avancer dans la stratégie de présence associée à la stratégie des idées, c’est-à-dire les candidatures des femmes, des femmes noires, des indigènes engagées dans les principes et les luttes féministes, antiracistes, décoloniales et anticapitalistes. Sans cette combinaison, il est difficile de surmonter la politique fasciste qui sévit dans le pays. Le système politique en vigueur, dans lequel pèsent positivement les éléments démocratiques que nous avons réussi à instituer sur la base des luttes sociales, est fondamentalement une structure qui soutient le pouvoir économique, patriarcal, raciste, ethnocentrique, hétéronormatif. C’est pourquoi les mécanismes de la démocratie participative sont si inefficaces et pourquoi ceux de la démocratie directe n’existent pratiquement pas.

Les femmes qui se présentent aux élections apportent sur la scène politique un ensemble d’exigences pour la structuration de la vie quotidienne dans les communautés. Il y a des urgences sur la manière de vivre dans les territoires, allant de la qualité des services publics essentiels à la reproduction de la vie, en passant par les politiques de sécurité publique, le droit au logement, les transports publics, l’assainissement urbain, le besoin d’équipements pour soutenir l’économie de soins, jusqu’à toutes les restructurations de la gestion publique municipale pour la démocratiser.

Depuis plus de 10 ans, un ensemble d’organisations et de mouvements sociaux brésiliens ont structuré une action politique pour changer les règles du jeu électoral : la Plateforme pour la Réforme du Système Politique, qui contient un ensemble de propositions qui radicalisent la démocratisation du pouvoir. En vedette, le financement public exclusif de la campagne ; une liste fermée avec alternance des sexes. En plus d’un ensemble de propositions pour renforcer la démocratie directe et participative. Nous remettons en question l’hégémonie du pouvoir, concentré entre les mains des hommes blancs. La sous-représentation des femmes, de la population noire et indigène a été et continue d’être au centre des débats critiques à l’égard du système politique brésilien.

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Le Brésil est un pays qui présente l’une des pires situations en matière de représentation féminine. Au parlement, on apparaît en dessous des pays perçus par une grande majorité de la population comme arriérés et fondamentalistes. On occupe la 140e place dans le classement de la représentation féminine au sein du corps législatif, dans une liste de 190 pays, ce qui signifie que les femmes brésiliennes ont un long chemin de lutte à parcourir pour accroître leur participation au parlement. Une projection faite par l’ONU Femmes a indiqué que si nous continuons à ce rythme, il faudra 80 ans pour mettre les femmes sur un pied d’égalité avec les hommes dans la représentation politique de notre pays. Aujourd’hui, au Congrès national, nous comptons un total de 86 femmes, 75 députées et 11 sénatrices [1] .

Bien que le nombre de candidates n’ait pas augmenté (après 25 ans, nous atteignons le pourcentage minimum de 30 %), nous avons cumulé une progression de candidates populaires, féministes, de femmes engagées dans des changements structurels qui réduisent les inégalités et élargissent les droits. Nous avons eu une augmentation des candidatures collectives et des expériences assez riches de mandats collectifs (« mandatas coletivas »), comme les Juntas au Pernambouc, la Bancada Activista à São Paulo et la Mandata à Belo Horizonte.

Une fois de plus, on remarque la pression des mouvements sociaux de l’extérieur vers l’intérieur du système politique d’exclusion. Tout comme les alternatives pour lesquelles nous avons lutté et que nous avons rendues viables dans le passé pour les femmes, les noir(e)s – quotas de candidatures, répartition du temps pour la propagande électorale gratuite, distribution des fonds de campagne et des fonds des partis – cette lacune dans les mandats collectifs peut également être négligée perdant son potentiel de remise en cause des structures d’inégalité.

Une rapide enquête à partir des mots « candidatures collectives » nous donne déjà la dimension de la croissance des initiatives de ce type. Il y a des dizaines d’articles abordant le sujet, qui évaluent les expériences déjà existantes et signalent la hausse des candidatures de ce type dans ces élections. Il existe des centaines de candidatures collectives réparties dans tout le pays.

Ce sont des expériences importantes de nouvelles façons de faire de la politique, de tester des gestions plus collectives, de construire des propositions et des politiques d’une manière un peu plus horizontale. Mais les limites de ces expériences sont énormes, dans une structure engoncée dans de formes patriarcales, racistes et machistes de faire de la politique, en concentrant le pouvoir et les ressources. Un article récent, publié dans le journal Folha de São Paulo, expose cruellement ce dont nous parlons.
Les difficultés pour les candidates qui luttent contre le courant de la politique hégémonique sont innombrables. L’une d’elles est la difficulté de financement des campagnes, résultat de la structure machiste, misogyne et classiste à la base des organisations partidaires dans leurs structures d’exclusion. Outre le manque d’argent, les femmes manquent de temps pour se consacrer à la vie politique, la triple journée de travail rendant les candidatures féminines impossibles.

Cette année attire également l’attention sur la plus grande organisation des femmes noires, qui se présentent comme candidates à titre individuel et collectif, guidant le débat essentiel de la reconnaissance et du dépassement du racisme structurel dont nous sommes imprégnés. Elle met en avant les candidatures féministes antiracistes, collectives ou non.

Nous espérons que davantage de féministes antiracistes seront élues, qu’elles seront l’expression de notre diversité raciale, ethnique et générationnelle ; nous voulons davantage d’ouvrières, de lesbiennes et de personnes trans en politique ; nous voulons aussi des hommes engagés dans les luttes. Nous devons élire des femmes et des hommes désireux de transformer ces structures.

Nous devons également être attentives et dénoncer les épisodes de violence politique à l’égard des femmes qui se produisent pendant les campagnes et dans l’exercice des mandats, si elles sont élues. C’est une caractéristique très courante dans les législatures brésiliennes, et les rapports des parlementaires sur la violence qu’elles ont subie et dont elles souffrent ne manquent pas. Le problème est basé sur deux propositions législatives créant le type pénal de violence politique contre les femmes, problématisant et dénaturant ces actions.

Le contexte est très défavorable, on rame contre la marée conservatrice. Même les candidatures périphériques et collectives courent le risque de détériorer leur capacité à soutenir politiquement les luttes identitaires, les agendas locaux et communautaires de promotion des droits, comme c’est le cas, à l’origine, de ces expériences dans leur écrasante majorité. Ces expériences incarnent les demandes des populations vulnérables concernant le racisme, les inégalités sociales et les préjugés. Nous voulons des candidatures et des mandats engagés en faveur de la démocratie, de l’élargissement des droits et du dépassement des inégalités. Des candidatures qui défendent et promeuvent le libre exercice des droits sexuels et reproductifs, parmi lesquels le droit à l’avortement légal, sûr et gratuit et à l’autonomie des femmes sur leur corps.

Cependant, ne nous décourageons pas : en temps de résistance, la construction du contre-pouvoir se fait aussi dans ces canaux étroits. Les candidatures féministes antiracistes et anticapitalistes, qu’elles soient individuelles ou collectives, deviennent d’autant plus fortes qu’elles sont enracinées sur le terrain des luttes sociales pour le Bien-Vivre et contre toutes les formes d’exploitation et de domination. Ce sont le débat, la mobilisation, l’organisation, la construction collective d’alternatives dans les territoires où la vie est soutenue qui renforcent le plus les processus de transformation éco-sociale que nous recherchons.

À lire ailleurs pour avoir un aperçu des intentions de vote : Le paysage électoral et les défis de la gauche

CFEMEA

La CFEMEA est une organisation féministe antiraciste qui existe pour déranger, faire évoluer et transgresser. Fondée en 1989 par un groupe de femmes féministes qui ont repris le combat pour la réglementation des nouveaux droits obtenus dans la Constitution Fédérale de 1988. En 30 ans d’existence, l’organisation a développé des actions de plaidoyer (promotion et défense des idées) ; d’articulation et de communication politique ; de formation et de mobilisation ; de contrôle social des politiques en faveur des femmes et, plus récemment, de promotion de l’auto-soin et des soins chez les militants. Notre objectif est la durabilité de l’activisme, en sachant que ce n’est qu’ainsi que nous resterons dans la lutte. Nous sommes ensemble avec nos partenaires sur le front de la lutte pour les droits sexuels et reproductifs des femmes, dans la confrontation avec les fondamentalismes et toutes les formes de violence contre les femmes et dans la lutte contre le racisme.

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