L’Agro n’est pas pop*

 | Par Vasconcelo Quadros

Par : Vasconcelo QUADROS pour Publica
Traduction : Yves TOURNEUR pour Autres Brésils
Relecture : Luc DUFFLES ALDON

*Le titre de cet article fait référence à une publicité diffusée par la TV Globo "L’agro est pop", en soutien aux raralistes

Le projet de loi qui veut libéraliser l’utilisation de produits phytosanitaires au Brésil est contestée par plus de 280 mouvements dans les domaines de la santé et de l’environnement.

Le manoir est un point de rencontre pour les politiciens et les hommes d’affaires à Brasília. L’Institut rassemble des ressources techniques et financières pour appuyer le lobby ruraliste. Le projet en faveur des produits agrochimiques a été conçu par Blairo Maggi.

L’ordre du jour du bâtiment 19 de l’ensemble 8, en QL 10, du Secteur des Habitations Individuelles Sud, à Brasilia, est complet du lundi au vendredi. Le manoir, d’architecture coloniale, d’un ton brunâtre, se situe sur les rives du lac Paranoá. Là, le Président Michel Temer, lors d’événements importants, les ministres du gouvernement et les politiciens de presque toutes origines se mêlent aux entrepreneurs nationaux et étrangers, représentés ou accompagné par des lobbyistes qui surfent dans la vague de l’agro-industrie. Le point du jour de ce mois de mai 2018 est la "Révision de la législation agrochimique", le domaine du parti ruraliste (228 députés et 27 sénateurs de tous les partis, à l’exception de PT, PCdoB, PSOL et Rede), qui composent le Front parlementaire de l’agriculture et de l’élevage (FPA).

Après avoir pris les rênes de la Funai [Fondation Nationale de l’Indien], l’objectif est de bousculer les limites imposées par la Constitution, le Code Forestier et d’autres lois sur l’installation et l’expansion de l’agro-industrie.

Le thème du moment est le changement radical de la législation sur les pesticides introduite en 1989, « obsolète et trop bureaucratique », d’après les participants, elle doit être remplacée par un nouveau cadre juridique. Parmi d’autres "mises à jour", le projet propose de supprimer la tête de mort et les avertissements de risque sur l’emballage de produits agrochimiques - qui seraient alors appelés "phytosanitaires".

Le projet a été rédigé par le plus grand producteur de soja du monde et actuel ministre de l’Agriculture du Brésil, Blairo Maggi, qui serait donc également chargé de mettre en œuvre les nouvelles mesures. En 2002, Maggi a tenu un siège au Sénat en remplacement de l’ancien sénateur du Mato Grosso, Jonas Pinheiro, avec pour mission d’amender la loi sur les pesticides. Une fois le projet au approuvé par le Sénat, il est retourné à ses fermes, d’où il est finalement repartit pour disputer et gagner l’élection de gouverneur du Mato Grosso cette même année, commençant ainsi la trajectoire politique qui le place comme l’un des éléments les plus puissants de l’agro-industrie et du gouvernement Temer. Le mois dernier, Maggi a été dénoncé par le bureau du procureur général pour corruption, des faits qui auraient eu lieu pendant son mandat en tant que gouverneur.

Le projet Maggi - PL 6.299 / 2002 – passe par une Commission spéciale de la Chambre, et le bureau ruraliste travaille à le présenter sous peu en séance plénière. Dans la bataille pour l’approbation du texte substitutif, avec un rapport de Luiz Nishimori (PR-PR) député de l’Etat de Paraná, également ruraliste, le député Alexandre Molon (PSB-RJ), un opposant au projet, a dénoncé un inconnu votant parmi les députés sous le regard condescendant de Tereza Cristina (MS), présidente de la Commission et du Front Parlementaire de L’agriculture et de l’Élevage.

Ce n’est qu’après avoir été rappelée au règlement par Molon, exigeant des mesures à l’égard des règles parlementaires, que Tereza Cristina a demandé à l’homme de ne pas se manifester. Pourtant, le député Gaucho Covatti Filho (PP), auteur de l’un des projets liés au substitut, a crié pour la défense de l’inconnu : « Il n’y a que des députés ici ».

Face aux protestations de l’opposition, qui le pointaient du doigt, l’homme se retira, faisant le geste de laisser tomber au président. Personne ne savait qui c’était. Le député Chico Alencar (PSOL-RJ) a risqué une conjecture. « Cela doit provenir du bunker », a-t-il dit, se référant à la renommée du manoir du Lac Sud, considéré il y a quelque temps comme le lieu de réunions secrètes d’une confrérie où seuls entraient la fraternité rurale et ses invités.

Le lobbyiste

L’homme qui a tenté de voter comme député est l’ingénieur agricole João Henrique Hummel Vieira, 56 ans, diplômé de l’UnB, lobbyiste et stratège des actions rurales à l’Assemblée législative. Il est le directeur exécutif de l’Instituto Pensar Agropecuária [Institut Penser l’Agro-Industrie], IPA, l’entité qui contrôle, dans les coulisses, le puissant groupe ruraliste. João Henrique, comme on l’appelle, est devenu un conseiller recherché pour la défense des intérêts de l’agro-industrie au Congrès ou au gouvernement.

C’est l’homme qui contrôle le manoir du Lac Sud qui fonctionnait jusqu’au début de cette année à 50 mètres du nouveau siège de la FPA, dans le bâtiment 6, dans le même lot 8 de QL 10. Incommodés par le manque de discrétion pour les réunions des parlementaires, IPA et FPA ont déménagé pour le bâtiment 19, laissant dans le lieu deux entités sœurs, Aprosoja et Abrapa, et Canal Rural, chaîne de communication acheté par le groupe de communication RBS de JBS à Rio de Janeiro, avant que Joesley et Wesley Batista ne soient faits prendre dans l’enquête du Lava Jato.

Le changement s’est avéré utile pour Tereza Cristina, membre du Congrès, qui, agricultrice et présidente de la FPA, n’aura pas besoin de partager le même espace avec la chaîne de la JBS, qu’elle combat dans les tribunaux de Mato Grosso do Sul pour 4,5 millions de dollars utilisés par Joesley pour des investissements, non honorés selon elle, dans un projet de confinement de bœufs dans la propriété de cette parlementaire et de ses proches à Terenos.

Un texte encadré du journaliste Reinaldo Azevedo a également été laissé pour montrer que, en dépit de ce que représente ce secteur majeur de la balance commerciale et plus grande part du PIB (près de 23,5% l’année dernière), le lobby ruraliste est considérée comme le paria de la politique : « Les ruralistes sont souvent critiqués par des secteurs minoritaires et bruyants. Ils viennent de tout les bords : gauche, verts, indiens, presse, acteurs et actrices « progressistes », fanatiques du réchauffement climatique, Vox Bono, Sting ... Bref : c’est l’un des seuls pays au monde où ceux qui produisent la richesse sont la cible de la fureur de ceux qui produisent des discours », écrit Azevedo.

Ce tableau au mur de l’entrée principale de l’ancien bunker ne correspond pas à la nouvelle stratégie de communication de l’API et de son bras politique, le FPA. Le Directeur João Henrique, qui a reçu A Publica, ne donne généralement pas d’interviews. Il a même demandé que la conversation soit en "off", soulignant que qui parle au nom de la structure est le président, il a toutefois fini par accepter d’enregistrer l’interview (cf l’intégrale dans "Conversa com um Lobista [Conversation avec un lobbyiste]").

Il définit l’API comme un « centre de renseignement » qui produit du contenu pour les membres et les sénateurs de l’APF, visant à « moderniser » la législation du travail rurale, foncière, fiscale et indigéniste pour assurer la sécurité juridique nécessaire à l’agro-industrie.

Peu connu du public, l’IPA guide et définit les actions du lobby ruraliste dans la défense de l’agro-industrie et le soutien politique du gouvernement Temer. Sous statut juridique d’association privée, elle est liée à 40 entités nationales qui représentent les géants de l’agroalimentaire. En plus du lobby, les ruralistes sont capables de former un bloc de plus de 270 votes avec l’aide des lobbies de la bible et des balles - qui, d’autre part, obtiennent les votes de ruralistes sur des questions d’intérêt pour les politiciens évangéliques et / ou sécuritaires. De ces lobbies sont venus, par exemple, les votes dont le président Michel Temer avait besoin pour échapper à l’enquête de la justice.

Créé en 2011, le modèle de gestion IPA présente l’avantage d’une collecte financière, basée sur les contributions de 40 entités liées au secteur agricole, contournant ainsi le principal obstacle des fronts parlementaires, qui, légalement, ne peuvent disposer de leur propre budget. C’est le canal pour recevoir des dons des multinationales des semences, des engrais et des produits phytosanitaires, bien que, officiellement, l’IPA n’autorise pas les contributions externes.

Les réunions du mardi

En plus des ressources financières, la force de soutien de l’IPA comprend la mise à disposition d’un personnel technique et politique pour informer les députés et les sénateurs, la logistique et l’infrastructure physique. Les députés reçoivent l’ordre du jour, "positif ou négatif", avec des informations et des arguments sur ce qui devrait être discuté au Congrès. Les décisions sont généralement prises les mardis lors des réunions avec les parlementaires les plus actifs, entre 40 à 50 députés, ayant une influence sur les autres.

En conflit avec des groupes environnementalistes, fonciers et des droits de l’homme, l’IPA défend l’utilisation des armes pour la défense de la propriété privée contre les invasions et précise que ses principaux adversaires sont les Indiens, les quilombolas [1] , les sans-terre et les ONG internationales qui, selon João Henrique, travaillent à empêcher l’expansion de l’agro-industrie à la demande des pays européens. Dans le domaine politique, l’ennemi défend les droits environnementaux, le territoire des peuples originels et la réforme agraire - tous protégés par la Constitution -, considérés génériquement comme « de gauche ». Contre eux, ils semblent prêts à tout, comme le montrent, par exemple, les attaques contre les Guarani-Kaiowá dans le Mato Grosso do Sul ou la caravane de l’ancien président Lula à Rio Grande do Sul, dans une zone qui avait déjà été lieu de conflits de la réforme agraire.

Les prétentions de l’IPA vont au-delà du Congrès et du gouvernement. Son objectif est également de stimuler l’influence parlementaire auprès de la magistrature et d’autres entités de la société civile, comme l’explique le politologue Gustavo José Carvalho de Sousa. « La force, les capacités techniques et le travail de l’API reflètent le succès de la FPA », explique le chercheur, qui a étudié dans sa monographie à l’UnB le rôle effectif de l’IPA/FPA dans les conflits législatifs et politiques. Un protagonisme qui n’est pas encore connu, selon Sousa. L’année dernière, l’industrie a traité 30 milliards de reais, avec des exonérations d’environ 1 milliard de reais aux fabricants.

Conscient de la faible acceptation du programme rural dans les zones urbaines, l’IPA et la FPA tentent de changer leur image à travers des campagnes avec des slogans comme "Agro : la richesse de l’industrie brésilienne", financés avec l’aide de l’un de ses partenaires, JBS, propriétaire de la marque Maturatta-Friboi, présente sur Rede Globo depuis deux ans, également connue sous le nom de « Agro é pop, agro é tech » [L’Agro, c’est pop, l’Agro, c’est technique]. Cependant, la modification de la loi sur les pesticides n’est pas bien vue par la population. Un sondage à la Chambre des députés a montré, le 4 juin, que 88% des quelques 18 000 votants condamnaient la réforme.

Plus de poison dans les cultures

Avec une consommation d’environ 7 litres par habitant / an, la plus importante du monde, et une loi qui libère l’utilisation de produits agrochimiques dans les cultures avec des limites de 200 à 400 fois supérieures à celles autorisées en Europe, les agriculteurs veulent plus de produits dans les cultures.

La proposition des ruralistes, représentée par le substitut du député Luiz Nishimori, supprime la concession et l’enregistrement des produits par l’Anvisa et l’Ibama, respectivement en charge des impacts sur la santé humaine et environnementale, pour devenir la prérogative exclusive du Ministère de l’Agriculture (Mapa). Dans le domaine de Maggi, comme le savent les ruralistes, la tendance est de privilégier les mécanismes et les outils qui favorisent l’agro-industrie.

Les agences de la santé et de l’environnement auraient uniquement pour rôle d’homologuer les rapports d’évaluation des risques fournis par le fabricant. Les produits contenant des substances cancérigènes, tératogènes ou perturbateurs endocriniens nuisibles à la formation des fœtus pourraient être enregistrés et ne seraient interdits que s’ils présentaient un « risque inacceptable », prouvé par les organismes officiels.

Le substitut prévoit également l’octroi d’un enregistrement temporaire pour une période donnée (lorsque l’organisme public prend le temps de décider), enlève la compétence aux États et au District fédéral pour restreindre la distribution, la commercialisation ou l’utilisation, à condition seulement qu’ils puissent prouver scientifiquement les risques, un renversement de la charge de la preuve, actuellement sous la responsabilité des fournisseurs. Les municipalités perdraient également le pouvoir de légiférer sur l’utilisation du stockage de poison, ce qu’elles font actuellement en plus des mesures prises par les institutions fédérales.

L’Anvisa, l’Ibama, liée au ministère de l’Environnement, et la Fiocruz [Fundation de Recherche Oswaldo Cruz] sont les principaux adversaires du projet, attaqué également par des ONG, l’Institut national du cancer, Fiocruz et d’autres 280 groupes, en plus du procureur fédéral, qui l’a décrit comme un "écart"
inconstitutionnel. Les groupes préviennent que si la surutilisation des pesticides provoque déjà des dommages avérés, le tableau risque d’être encore plus critique avec la possibilité d’approuver le nouveau cadre. De nombreux produits interdits dans d’autres pays, disent les groupes, pourraient être largement utilisés au Brésil.

L’un des avertissements les plus incisifs est venu d’une note technique signée par le Président d’Ibama, Suely Araújo, et trois autres fonctionnaires de cet organisme. "L’acréditation des pesticides, avec la participation effective des secteurs de la santé et de l’environnement, est la procédure de base et initiale de contrôle relevant de la puissance publique et son maintien et son amélioration sont justifiés s’il s’agit avant tout d’une procédure prévoyant l’apparition d’effets nocifs sur les humains, les animaux et l’environnement ", indique la note.

Voir en ligne : Publica

[1Groupes issus des communautés d’esclaves en fuite

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