J’aime la politique. Donc, je pense toujours qu’elle peut être belle

 | Par Luc Duffles Aldon

Entretien de Áurea Carolina par Luc Duffles Aldon du Mouvement démocratique du 18 Mars (MD18)

Áurea Carolina

En octobre 2016, Áurea Carolina de Freitas e Silva a été élue conseillère municipale avec le plus grand nombre de votes à Belo Horizonte, la 5ème plus grande population du Brésil. Elle et Cida Falabella, également élue pour le PSOL, ont permis à ce parti de gauche d’entrer pour la première fois au conseil municipal de cette ville.

Alors qu’elle se prépare à prendre ses fonctions en 2017, Áurea Carolina a discuté avec Luc Duffles Aldon, un membre du Mouvement démocratique du 18 Mars, MD18, pour parler des perspectives de son mandat, de la construction d’une nouvelle gauche au Brésil et d’une autre façon de faire de la politique.

Politologue et éducatrice populaire, Áurea Carolina est proche des mouvements de rue et de la culture hip-hop très présente dans sa campagne électorale. Ayant déjà une expérience au sein de l’exécutif, elle a été secrétaire des politiques pour les femmes de l’État de Minas Gerais, en 2015 et l’une des fondatrices du Forum des jeunes de la Grande BH, Aurea n’est pas une candidate tout à fait inconnue. Elle collabore également avec #partidA, le mouvement et projet de parti politique qui veut amener le féminisme au sein du Congrès National et des instances du pouvoir, et avec "Muitas pela Cidade que Queremos” (Plusieurs pour la ville que nous voulons) qui s’assoit sur la pelouse du parc municipal de Belo Horizonte pour parler de politique.

MD18 : Vous vous êtes présentée comme une candidate « femme noire, jeune » et une féministe inter-sectionnelle. Quelle est, selon vous, l’importance des politiques de reconnaissance dans la reconstruction d’une nouvelle gauche ? Comment le Hip Hop et la "culture urbaine" ont influencé la formation de votre culture politique ?

Áurea Carolina : La reconstruction d’une nouvelle gauche ou, d’une manière plus complexe, la transformation des pratiques des gauches pour faire avancer les luttes sociales doit passer par la reconnaissance des différences : de sexe, d’origine ethnique, d’orientation sexuelle, générationnelle, de contexte territorial et d’origine socio-économique, parce que ces différences façonnent nos conditions de vie dans ce monde.

Et le capitalisme, associé aux autres systèmes oppressifs des différences de genres et ethniques, a une matérialité sur ces organes. Ce sont les femmes noires périphériques qui souffrent le plus de l’exploitation économique qui s’associe toujours à d’autres formes de violence. Nous ne pouvons pas parler d’une transformation sociale pour la justice, pour l’égalité, pour l’équilibre du pouvoir, sans amener ces dimensions de nos corps au centre du débat alors qu’elles sont constamment conditionnées, tout au long de notre vie, par ces inégalités. Par là même, les féminismes inter-sectionnels sont les perspectives d’action, de perception de la réalité, qui apportent cette dimension des corps présents et révèlent l’influence directe de ces inégalités sur nos conditions de vie.

La culture hip-hop et les cultures urbaines, en général, sont la clé pour saisir la perception critique de notre réalité. Elles sont essentielles pour comprendre les contradictions d’un système capitaliste qui crée ses propres contours et qui va au-delà de la question économique. En fait, elles s’imbriquent pour former un système de hiérarchie raciales et patriarcales. Les cultures urbaines sont les langages qui nous aident à être dans le monde. Cette sensibilité esthétique est aussi politique et, pour moi, elle a été une école de la vie. C’est à travers le hip hop que je suis rentrée dans plusieurs combats, ce fut ma passerelle pour ma politisation.

MD18 : Vous avez dit que votre élection, avec le plus grand nombre de voix (17,420) dans la capitale de l’État, est la démonstration de la force de l’intensité de la résistance des rues et de la ville. Cette force a été un défi analytique électoral, depuis juin 2013, et aujourd’hui, au milieu de la crise institutionnelle du Brésil. Face aux candidats "antipolitiques", vous insistez que "la politique peut être belle ?"

Áurea Carolina : Je crois que la question des candidats antipolitiques a gagné beaucoup de force au Brésil, en particulier à partir de Juin 2013, lorsque deux grands récits au sujet de la politique ont gagné de l’importance sur la scène publique. Tous les deux ont à voir avec l’insatisfaction avec le système politique, mais ils ont pris des chemins différents. Le premier chemin est celui de la radicalisation de la démocratie, par la participation populaire, la reprise du sens de la politique comme une responsabilité de toutes les personnes et aussi un rejet de groupes traditionnels qui ont la main mise sur le pouvoir. L’autre chemin démarre aussi ce rejet de la politique traditionnelle mais guide à la dépolitisation. En ce sens, la politique est bel et bien cet espace de corruption, qu’il n’y a pas grand-chose à faire et que la politique elle-même est problématique.

Ainsi, d’une perception commune que le système politique, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, ne nous représente pas et doit être transformé, nous retrouvons, au moins, deux cheminements. Celui qui retrouve la politique comme une construction collective, co-responsable de luttes, pour contester les institutions à partir de la diversité de la population, pour les reconfigurer afin que le pouvoir soit partagé. Et un autre cheminement, celui la négation de la politique. Ce cheminement de la dépolitisation, qui est massivement investi par la droite et les forces conservatrices. C’est celui-là qui a été trop bien pavé par les médias conventionnels avec ce discours que “ça suffit des politiciens, qu’en politique ce qu’il nous faut ce sont des gestionnaires ..." C’est le cas de João Dória à São Paulo, de Marcelo Crivella à Rio de Janeiro et de Alexandre Kalil à Belo Horizonte dont le discours a eu assez d’écho pour leur donner les voies suffisantes à leur élection.

Je pense toujours que la politique peut être belle parce qu’il y a une compétition pour le sens de la politique. Mon combat est pour une politique de la coopération, une politique d’apprentissage, de constructions collectives, une politique qui nous sert à nous émanciper nous-mêmes et non pas une politique où certains groupes contrôlent le jeu ou une politique qui s’éloigne de la population, une politique qui semble être une tâche de quelques-uns. Non ! Je pense que la politique est une tâche quotidienne, que c’est un devoir de citoyenneté et que c’est son exercice qui vaut la peine. J’aime la politique et je pense toujours qu’elle peut être belle.

MD18 : Votre engagement pour la construction d’un mandat collectif est un moyen de « enthousiasmer » vos électeurs, ou plus encore les 742,050 votes nuls/ blancs/ abstentions avec la joie de la politique ?

Áurea Carolina : Pour que la politique soit belle, nous devons faire un travail important pour être côte à côte avec les gens, faire de la mobilisation sociale, de l’éducation populaire, servir dans les territoires, de récupérer cette dimension de coresponsabilité que nous pouvons, sans aucun doute, en dépit de toutes les inégalités, faire la différence en occupant les institutions, même si le jeu est très brutal, très violent.

Voir des femmes noires combattantes en position de pouvoir est une chance de gagner des droits ou au moins d’élargir le débat pour apporter de nouvelles perspectives de politiser les questions qui sont rendues invisibles. Donc, si l’une d’entre nous occupe cet espace, bien que qu’il ait sa propre histoire de domination des groupes, notre présence est une infiltration, une petite respiration qui peut signifier une amélioration des conditions de vie de beaucoup d’entre nous. « Quand une femme avance, personne ne recule ! » c’est une devise importante pour les femmes noires et nous devons aussi voir comment les droits ont été acquis dans une perspective historique. Nous n’avons pas résolu toutes les inégalités, mais chaque pas compte. Mon espoir face à un tel contexte défavorable est de conduire mon mandat dans le premier cheminement, vers la politique ; celui qui m’a amené ici et d’amener toujours plus de gens avec moi. Ce n’est pas un cheminement personnel, il est avant tout collectif et c’est ce qui alimente ma propre existence.

MD18 : Quels sont les espoirs d’une conseillère municipale dans un contexte de crise institutionnelle, dans une capitale d’État en situation de catastrophe financière ? Et avec la politisation de la justice et l’hypermédiatisation du conflit entre les trois pouvoirs, comment réaffirmer la fonction de conseillère municipale ?

Áurea Carolina : Dans un état de catastrophe financière, nous devons discuter chacune des priorités d’investissements et de l’attribution des ressources publiques. Ce débat est très difficile et nous devons le mener. De plus, comment allouer les ressources en cette période de privation et d’aggravation de la crise qui mène au chômage et qui, avec les nouveaux décrets du coup d’état, se traduira par la précarisation des services publics. Le contexte est dramatique !

Cependant, nous devons être dans les espaces institutionnels pour engager ces discussions. En même temps, nous devons renforcer l’auto-organisation des luttes. Ce sont des dimensions essentielles pour la transformation et la réorganisation de la gauche.

Je crois que la fonction d’une conseillère municipale, dans un état dont tous les pouvoirs, les médias, la culture, des systèmes relationnel en place, structurent les inégalités de la société, nous devons amener à la tribune ce que les luttes sont en train de construire, dénoncer et contribuer pour que les gens accèdent aux espaces de pouvoir, défendre des causes urgentes. La conseillère municipale est agent de collaboration au service des luttes. Voilà comment j’envisage mon mandat. C’est un poste qui a de nombreuses limitations, mais qui a, en même temps, le potentiel de permettre cette circulation d’idée. Voici mon pari, avec Cida Falabella et Muitas pela Cidade que Queremos. C’est dans ce contexte que nous sommes élus avec le Front de gauche de Belo Horizonte socialiste, pour conduire un mandat qui renforce la résistance populaire et utilise les ressources disponibles pour accroître notre capacité démocratique et la rendre accessible. C’est un énorme défi, mais je suis très enthousiaste et je pense qu’il est nécessaire de parcourir ce chemin.

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