« J’ai fui l’hôpital et voyagé 30 kilomètres pour avoir un accouchement normal »

 | Par H. Mendonça, T. Bedinelli

Source : El país - 22/01/2015

Traduction pour Autres Brésils : Céline FERREIRA (Relecture : Hélène BREANT)

Erica, qui a eu un accouchement normal et son fils / VICTOR MORIYAMA

Ana Carolina Elvevio, 36 ans, s’est enfuie de l’hôpital en plein accouchement après que l’obstétricienne ait insisté pour ne pas lui laisser d’autre choix que la césarienne. Andréa Nunes, 37 ans, a fait 5 cabinets médicaux pour trouver un obstétricien qui accepte de faire un accouchement « normal ». Erica Jabour, 29 ans, a entendu pendant les contractions, qu’elle ne supporterait pas la douleur et qu’il serait préférable d’opter pour l’opération. Elles ne voulaient pas mettre au monde leur enfant dans un bloc opératoire et ont dû se battre pour l’éviter. Toutes n’ont pas réussi.

Dans un pays qui baigne dans la culture de la césarienne, l’accouchement normal a cessé d’être normal. Sur dix femmes enceintes qui accouchent dans des maternités privées brésiliennes, deux en moyenne ont un accouchement normal. Les huit autres finissent sur une table d’opération, alors que seules une ou deux d’entre elles auraient vraiment eu besoin de passer par là – les césariennes, comme toute opération chirurgicale, ne devraient être réalisées qu’en cas d’urgence, ce qui n’est le cas que dans 15% des accouchements d’après une estimation de l’Organisation Mondiale de la Santé.

Au Brésil, le taux de césarienne s’élève à 53%, un chiffre élevé stimulé par le secteur privé qui en pratique pour 84,5% des accouchements. Plusieurs facteurs expliquent cet écart :
1) la pression des hôpitaux pour que les médecins réalisent l’opération, qui occupe l’espace moins longtemps – ce qui permet de faire davantage d’interventions en une journée, 2) la pression des médecins sur les mères afin qu’elles renoncent à un accouchement normal qui les contraint à rester disponibles plus longtemps pour une rémunération proche de celle des opérations rapides et 3) la préférence de la femme pour un supplément de confort lié à la possibilité de programmer l’opération à l’avance ou parce qu’on lui a fait peur.

Après des années de plaintes de groupes de mères, qui ont fini par saisir la Justice Fédérale et la Commission des Droits humains de la Chambre des Députés pour dénoncer l’épidémie de césariennes dans le pays, le gouvernement fédéral a finalement établi ce mois–ci des normes pour tenter de réduire les difficultés qu’Anna, Andréia et Erica ont vécues.

Dans six mois, les établissements de soins devront publier leurs taux de césariennes et d’accouchements par voie basse, en plus des taux des hôpitaux et des médecins agréés - ce qui doit aider la future mère à choisir un professionnel en accord avec ses attentes. Les femmes enceintes vont également recevoir une brochure avec toutes les informations prénatales, utile au cas où elles souhaiteraient changer de professionnel ou qu’elles décideraient d’accoucher avec un médecin de garde de l’hôpital, en plus d’une lettre d’orientation expliquant les risques liés à une opération sans caractère indispensable et les droits de la femme relatifs aux soins médicaux qu’elle recevra.

En outre, les obstétriciens devront remplir un partogramme, document qui enregistre toutes les informations détaillées concernant le travail de l’accouchement. Quand il ne sera pas possible de réaliser ce document, il faudra présenter un justificatif. L’objectif est d’éviter le recours aux césariennes programmées avant même que la femme n’entre en travail - une manie brésilienne qui mène beaucoup de bébés à naître avant terme.

« La césarienne, lorsqu’elle est indiquée, sauve la mère et le bébé. Ce que nous n’acceptons pas, c’est l’existence d’une épidémie. On ne peut pas accepter comme étant normal quelque chose qui ne l’est pas », a dit à El País le ministre de la Santé, Arthur Chioro.

Ces mesures ont été accueillies avec réticence par les acteurs médicaux. « Ce qui a été proposé par le ministre ne résout pas le problème. Ce n’est pas le fait de remplir un partogramme qui va faire diminuer ce taux. Il y a de nombreuses variables, comme la culture de la femme brésilienne elle-même qui préfère l’opération », affirme Jarbas Magalhaes, président de l’Association d’Obstétrique et de Gynécologie de São Paulo (SOGESP).

La préférence pour la césarienne est de fait, l’un des plus grands défis pour la réussite de ces mesures, puisque lorsque la mère optera pour la chirurgie, il faudra appliquer ces procédures. Lundi dernier, notre reporter s’est rendu à l’entrée de la maternité de l’Hôpital Santa Joana, à São Paulo et a interrogé cinq femmes enceintes qui sortaient des locaux. Elles ont toutes affirmé qu’elles allaient recourir à la césarienne car elles pensent que c’est un processus plus sûr et moins douloureux. « J’ai décidé de faire une césarienne vraiment par choix. Je suis enceinte de 38 semaines, c’est mon premier enfant et j’ai décidé plutôt par peur. Je ne veux pas avoir mal. Le médecin a présenté les deux possibilités, mais j’ai vraiment préféré la césarienne », a affirmé la coiffeuse Solange Ramiro, 26 ans.

Une recherche réalisée l’année dernière par la fondation Oswaldo Cruz et intitulée « Naître au Brésil » a montré pour la première fois ce qui pousse les femmes brésiliennes à choisir le type d’accouchement qu’elles ont eu. L’enquête a révélé que 29% des femmes enceintes ont opté pour l’opération chirurgicale. La peur de la douleur liée à l’accouchement par voie basse était parmi les principaux arguments qu’elles ont invoqués. « Cette peur n’est pas à prendre à la légère. La façon dont cette forme d’accouchement se fait dans le pays est, de fait, très douloureuse car très intrusive. C’est une peur associée à la mauvaise qualité de l’accompagnement à l’accouchement », affirme Maria do Carmo Leal, coordinatrice de l’enquête.

« Au Brésil, les femmes arrivent à l’hôpital, on leur injecte tout de suite un sérum et on les allonge. Dans ce sérum, on intègre de l’ocytocine, un médicament utilisé pour accélérer le travail. Cela augmente fortement les contractions et la douleur. Sous sérum, elles doivent rester allongées, elles ne peuvent pas se soulager par d’autres moyens comme des bains d’eau chaude ou des promenades », explique-t-elle. Les récits de cette torture vécue pendant l’accouchement se transmettent entre femmes, ce qui renforce l’idée que la césarienne est plus sûre et moins douloureuse. C’est pour cela que les spécialistes disent que les maternités doivent s’adapter. »
« C’est notre choix ». Ainsi s’intitule un projet pilote du ministère et de l’Agence Nationale de la Complémentaire Santé (ANS) mis en place en partenariat avec l’Hôpital Israélite Albert Einstein, où à peine 24% des accouchements sont normaux. Il s’agit de créer un modèle d’accueil plus humain dans le secteur privé. Ce mouvement est également une réponse à la demande croissante de mères de classe moyenne et de classe moyenne supérieure qui militent pour un accouchement normal et humain. L’idée est de dupliquer le projet, ensuite, dans 20 autres hôpitaux. « Les maternités s’adaptent justement parce que les femmes exigent d’être accueillies dans de meilleures conditions » souligne la responsable de l’assistance Santé de l’ANS, Karla Coelho.

« L’obstétricienne m’a dit : « vous avez signé l’acte de décès de votre enfant » T.B

Lors de sa première grossesse, Ana Carolina Wiechmann Elvevio, 36 ans, considère qu’on lui a « volé son accouchement ». Alors âgée de 19 ans et venant d’une famille où la césarienne – faite par le médecin de famille – a toujours été le premier choix, elle a été traumatisée lorsque sa volonté d’accoucher naturellement ne s’est pas concrétisée. « Ma mère s’est mise d’accord avec le médecin et a fixé la date de ma césarienne sans que je le sache. J’y suis allée pour une consultation et j’ai fini au bloc opératoire. Je suis devenue folle, j’ai fait une dépression. Elle a agi ainsi parce qu’elle disait avoir peur de l’accouchement normal, car une cousine de mon père en est morte. »

C’est pour cette raison que, lorsqu’elle tombe enceinte pour la seconde fois, Ana décide que personne ne la privera de son droit à un accouchement normal. Regrettant son geste, même sa mère l’aide à chercher d’autres médecins. « C’était en 2002 et il y avait peu d’informations sur les accouchements « humains ». Pendant la grossesse, j’ai changé de médecins à plusieurs reprises car je n’étais pas sûre que ceux-ci ne tenteraient pas de césarienne. A 40 semaines de grossesse je n’avais toujours pas d’obstétricien », raconte-t-elle. « Nous avons trouvé l’un des rares hôpitaux de São Paulo qui faisait la promotion de l’accouchement à visage humain. Lorsque j’ai commencé le travail, nous y sommes allés. Le bébé avait déjà fait son méconium [premières selles] et le médecin a décidé de faire une césarienne. Mais je savais que le méconium n’était pas un motif d’opération et j’ai insisté pour ne pas en avoir », dit-elle.

Indignée par l’insistance de la patiente, l’obstétricienne fait sortir Ana Carolina de la salle pour discuter uniquement avec son mari. Mais le couple a décidé qu’il ne resterait pas et part. « Elle m’a donné un papier à signer qui disait que j’assumais la responsabilité de la décision. Lorsque j’ai signé, elle m’a dit « vous êtes en train de signer l’acte de décès de votre enfant », raconte-t-elle. En plein travail, assaillie de fortes douleurs, elle a parcouru avec son mari 30 kilomètres jusqu’à un hôpital proche de chez elle. « Je suis arrivée là et j’y ai trouvé une obstétricienne en or. Un ange. Après 11 heures, j’ai finalement réussi à avoir l’accouchement dont j’avais tant rêvé. Ce fut une grande lutte, mais j’ai réussi », se rappelle-t-elle. Cinq mois plus tard, lorsqu’elle tombe enceinte de son troisième enfant, elle décide d’éviter tout ce stress et d’opter pour un accouchement à domicile. « J’ai décidé de ne plus quitter la maison et ça a été parfait », dit-elle.

« Je voulais un accouchement normal, mais pas à n’importe quel prix » H.M.

Le choix d’un accouchement normal a transformé la grossesse de l’avocate Andréa Nunes, 37 ans, en parcours du combattant, d’un cabinet médical à l’autre, pour trouver un médecin qui respecte sa décision. « J’ai fait cinq médecins différents. La majorité d’entre eux dit qu’il le fera, mais finalement invente une excuse et te pousse à faire une césarienne », explique-t-elle. L’avocate s’est entendu dire par l’un d’entre eux que « c’était absurde qu’une femme reste 12 heures en salle d’accouchement alors qu’il pouvait tout résoudre en deux heures ».

Andréa sentait que, dans la manière dont les spécialistes menaient les consultations, le plus souvent ils ne se préoccupaient pas d’analyser ce qui serait le mieux pour elle et pour le bébé, mais plutôt ce qui leur paraissait le plus commode et le plus lucratif. L’avocate a résisté autant qu’elle a pu, mais elle n’a réussi à trouver qu’un médecin - une femme, à Santo André, prête à respecter sa volonté en dehors de l’assurance maladie. Elle a décidé de garder deux spécialistes, un de la sécurité sociale pour faire les examens et demander les attestations et l’autre qui, en septembre dernier, a fait l’accouchement qui s’est terminé en césarienne. Après dix heures de travail, comme la dilatation du col d’Andréa n’a pas évolué malgré le fait que l’accouchement ait été provoqué et que la poche contenait beaucoup de méconium (matière fécale du bébé), l’obstétricienne préconise une césarienne. « Je ne voulais pas mettre le bébé en danger. Je voulais un accouchement normal, mais pas à n’importe quel prix. J’ai beaucoup pleuré au bloc opératoire parce que je n’avais pas réussi, mais je ne pouvais pas mettre la vie de ma fille Surya en danger ».

« Entre deux contractions, je suppliais qu’on me laisse accoucher normalement » H.M.

La pâtissière Erica Jabour, 29 ans, a toujours imaginé qu’elle opterait pour la césarienne lorsqu’elle tomberait enceinte. « J’étais le genre de personne qui croyait et soutenait le recours à la césarienne vraiment pour fuir la douleur. Mais lorsque je suis tombée enceinte et que j’ai commencé à m’informer davantage, je suis devenue une militante de la cause de l’accouchement normal et j’ai compris qu’il existait une mafia contre ce choix ». Erica raconte qu’en avril 2013, elle a dû débattre avec l’obstétricien en plein travail, pendant plus de 22 heures, pour le convaincre de ne pas pratiquer de césarienne. « Les 15 premières heures n’ont été que douleur et frustration car le médecin avait dit qu’il ne viendrait à l’hôpital et ne me ferait une péridurale que lorsque je serais dilatée à 7 cm. Mais la douleur physique et la frustration se sont tellement intensifiées qu’une fois dilatée à 6,5 cm, j’ai presque renoncé à accoucher naturellement. »

Erica décide de dire au médecin qu’elle souhaiterait une césarienne – une tactique pour qu’il arrive plus rapidement à l‘hôpital. « J’étais à peine consciente de ce que j’étais en train de faire », raconte-t-elle. Deux heures après, l’obstétricien arrive et explique qu’elle ne réussira probablement pas à supporter la douleur de l’accouchement. « Entre deux contractions, mon mari et moi nous insistions pour qu’on me donne la péridurale. Nous étions ensemble, avec la sage-femme, à le supplier pour avoir un accouchement normal. Je me suis beaucoup battue pour arriver jusque-là et j’ai finalement gagné. Le médecin a fini par céder. »

Toutefois, Erica explique que lorsqu’elle a perdu les eaux, elle a commencé à perdre sa sensibilité au pied et aux jambes. « L’anesthésiste, au lieu d’appliquer l’analgésique, a tout bloqué pour que je sois prête pour une césarienne. Ils ont vraiment cru que je ne m’en rendrais pas compte. Finalement, j’ai eu un accouchement normal, mais cela ne s’est pas vraiment passé comme je le voulais », regrette-t-elle. Le post-partum n’a pas été non plus celui dont la pâtissière avait rêvé, elle qui a dû rester seule dans une salle d’attente avant d’être placée dans une chambre. « Je suis restée là désemparée, avec une petite planche, sans confort et à lutter pour rester éveillée. J’ai eu mon fils Erick à 2h du matin et je n’ai pu le revoir qu’à 11h30. Je n’ai aucun doute sur le fait que lors d’une prochaine grossesse, si j’en ai les moyens financiers, je tenterai un accouchement à domicile. »

Suivez-nous

Newsletter

Abonnez-vous à la Newletter d’Autres Brésils
>
Entrez votre adresse mail ci-dessous pour vous abonner à notre lettre d’information.
Vous-pouvez vous désinscrire à tout moment envoyant un email à l’adresse suivante : sympa@listes.autresbresils.net, en précisant en sujet : unsubscribe infolettre.

La dernière newsletter

>>> Autres Brésils vous remercie chaleureusement !

Réseaux sociaux

Flux RSS

Abonnez-vous au flux RSS