Intoxication. Des champs à la table, le danger des pesticides

 | Par Anna Sophie Gross

Traduction : Roger GUILLOUX
Relecture : Marie-Hélène BERNADET

Les risques ne se limitent pas aux travailleurs ruraux, ils atteignent également les consommateurs d’aliments brésiliens dans le monde entier.

Franciana, mère de sept enfants et enceinte d’un huitième, a été atteinte par la pulvérisation de pesticides. Crédit : Thomas Bauer

Antônio Luís travaillait dans une exploitation agricole au Maranhão où il préparait le mélange des pesticides pour les cultures. En 2009, quand son masque de protection a arrêté de fonctionner, il a alerté la direction mais on lui a demandé de reprendre son travail et d’arrêter de réclamer. Trois jours plus tard, il a perdu connaissance. Un an plus tard, il a eu une hémorragie cérébrale. Le médecin a confirmé que Luís avait été victime d’une intoxication par ingestion de pesticides. La mixture qu’il préparait tous les matins était composée de Zap, 2,4-D et de Cobra.

En avril, Franciana Rodrigues, qui était enceinte de cinq mois, est sortie de sa maison avec la moto de son frère. Alors qu’elle s’éloignait de sa communauté, et qu’elle passait entre deux grandes plantations de soja, un avion a épandu une substance qui l’a atteinte. Au même moment, ses jambes ont commencé à lui faire mal et elle a eu des nausées et des vertiges. Franciana a été conduite à l’hôpital local où des analyses de sang ont révélé un empoisonnement par pesticides.

Transportée en urgence à un deuxième hôpital situé à cinq heures de distance d’Araguaíana (Tocantins), où elle réside, elle est restée hospitalisée pendant sept jours. « Je n’arrivais pas à respirer, j’ai failli mourir », rappelle-t-elle. A l’époque, le médecin a indiqué qu’elle avait une tension élevée, qu’elle souffrait d’une infection des reins et que pour l’accouchement, elle allait devoir subir une césarienne en raison de ses difficultés respiratoires. « Si je n’avais pas utilisé un casque, ça aurait été la fin pour moi ».

Le propriétaire des terres sur lesquelles les pesticides ont été pulvérisés est allé rendre visite à Franciana au moment où celle-ci est arrivée à l’hôpital et s’est proposé de prendre en charge les dépenses médicales et d’alimentation au cours des mois qui ont précédé la naissance du bébé. En échange, il lui a demandé de garder le silence.

Zap est le nom commercial du glyphosate, élément actif du Roundup de Monsanto le plus utilisé au monde mais lié à des problèmes de santé pour les humains et les animaux et qui contribue à la réduction de la biodiversité. Bien qu’il soit libéré dans la majorité des pays, les résidus maximums autorisés dans les aliments sont beaucoup plus élevés au Brésil qu’en Europe : 10 fois plus pour le café, 20 fois plus pour la canne à sucre, 200 fois plus pour le soja.
Cobra est la marque déposée du lactophen, substance interdite dans l’Union Européenne et autorisée au Brésil. En 2008, suite à la pression d’ONGs, l’Agence nationale de vigilance sanitaire (Anvisa) a commencé à réévaluer son utilisation. Cependant, huit mois plus tard, elle a déterminé que le Cobra pouvait continuer à être commercialisé comme auparavant.

Ce verdict ne surprend pas ceux qui questionnent le processus d’évaluation des pesticides au Brésil. Selon le dernier rapport de l’Anvisa, seulement onze substances ont été interdites au Brésil alors que des dizaines l’ont été dans d’autres pays au fur et à mesure que sont apparues de nouvelles évidences scientifiques de leur nocivité.

Aujourd’hui, le Brésil est l’un des consommateurs les plus voraces de pesticides pour lesquels il dépense 9,6 milliards de dollars par an, ce qui le situe juste après les Etats-Unis. Il est le plus grand utilisateur parmi les pays en voie de développement. Ces pesticides ne sont pas seulement un danger pour ceux qui travaillent dans l’agriculture et pour les populations qui vivent dans les régions d’épandage, bon nombre de ces pesticides se retrouvent dans la nature et dans les aliments consommés.

Au Brésil, il existe aujourd’hui 150 substances autorisées uniquement pour le traitement de la culture du soja dont 35 sont interdits en Europe selon Larissa Bombardi, professeure à l’Université de São Paulo (USP). Parmi ceux qui sont considérés comme étant les plus dangereux et qui sont très largement utilisés dans les grandes propriétés rurales brésiliennes on retrouve l’acéphate, l’atrazine, le carbendazime, le lactofen, autant de produits interdits en Europe.
Silvia Fagnani, directrice générale du Syndicat national de l’industrie de produits pour la protection végétale (Sindiveg), groupe qui défend l’utilisation des pesticides, justifie les différences entre les réglementations de l’Union Européenne et du Brésil de la manière suivante, « les produits utilisés ici peuvent ne pas être nécessaires dans des pays ayant un hiver rigoureux – avec de fréquentes chutes de neige – ce qui réduit naturellement les dégâts causés par les parasites ».

Les recherches menées par les organismes de régulation montrent, qu’au Brésil, une part significative de la production et de la vente des aliments viole les règlementations nationales sur les résidus. La dernière analyse de l’Anvisa a montré que sur 9.680 échantillons collectés entre 2013 et 2015 - à partir de tests réalisés sur des cultures qui vont du riz aux pommes et aux poivrons - 20% contenaient des résidus dans des proportions allant au-delà des niveaux maximums autorisés ou contenaient des substances interdites.

Pesticides qui sont mélangés et épandus sur la culture du soja. crédit : Thomas Bauer

Le pouvoir des entreprises

Les dix plus grands fabricants ont facturé 7,9 milliards de dollars. Bon nombre d’entre eux sont des multinationales qui fabriquent légalement des pesticides dans des pays riches où leur utilisation est interdite et les exportent dans des pays en voie de développement où son utilisation est légale. Syngenta, Bayer et Basf pour ne citer que trois exemples.

Syngenta produit l’atrazine et le paraquat, deux produits interdits dans l’Union Européenne et commercialisés au Brésil. Bien que l’Anvisa estime que le paraquat représente « un risque à inacceptable pour la santé et qu’elle l’interdira au Brésil à partir de 2020 », Syngenta défend le maintien de ce produit sur le marché.

Bayer a admis à notre équipe de reportage qu’elle vendait du carbendazime. La multinationale Basf a précisé « qu’au Brésil », elle ne produit pas l’atrazine ni le paraquat, l’acéphate ou le carbendazime mais elle n’a pas indiqué si elle produit ses substances dans l’UE ou ailleurs ni si, par la suite, elle les vend au Brésil.

Les dangers pour la santé et l’environnement que représentent ces substances, ne se limitent pas au Brésil. Les aliments contaminés par ces produits, sont exportés dans le monde entier. Le soja brésilien, les agrumes, le raisin et le café sont consommés à grande échelle dans l’UE et aux Etats-Unis ; quant au soja brésilien, il alimente le bétail et la volaille du Brésil et d’autres pays.
C’est pour cela que les résultats de l’Anvisa, ayant trait aux résidus trouvés dans les aliments, soulèvent de sérieuses questions en ce qui concerne les produits brésiliens vendus et consommés à l’étranger. Ce sont ces questions notamment que la Chine va peut-être se poser puisque qu’elle envisage la possibilité de passer des Etats-Unis au Brésil pour l’achat du soja et de la viande de bœuf, suite à la guerre commerciale entre ces deux pays.
L’année dernière, le Comité du Royaume Uni des spécialistes de résidus de pesticides (Prif) dans les aliments, organisme indépendant qui apporte son expertise au gouvernement, a découvert des quantités de carbofuran supérieures aux limites légales dans les citrons importés du Brésil.
Le rapport du Prif a indiqué que si tous les fruits contaminés étaient consommés, « les personnes pourraient présenter des signes temporaires de toxicité cholinergique tels que les maux de tête, les troubles digestifs, la salivation et la réduction des réactions de la pupille ».

Le carbofuran est interdit au Royaume Uni depuis 2001 et banni aux Etats-Unis depuis près d’une décennie car il présente « un risque alimentaire inacceptable, tout particulièrement pour les enfants qui consomment une combinaison d’aliments et d’eau contenant des résidus ». Il n’a été interdit au Brésil que l’année dernière au deuxième semestre, ce qui explique son apparition, il y a quelque temps, dans les citrons au Royaume Uni.

« Il s’agit d’une norme hypocrite dont l’Union Européenne se satisfait : elle contourne le problème en important des produits cultivés avec des pesticides dont l’utilisation a été considérée comme dangereuse sur son territoire et c’est ainsi qu’elle fait face aux préoccupations sanitaires et aux dégradations de l’environnement », affirme Nick Mole, directeur du Pesticide Action Network du Royaume Uni.

* Cet article reprend une partie du document paru dans Mongabay.com. Pour la version intégrale en anglais voir : Brazil’s pesticide poisoning problem poses global dilemma, say critics

Des pesticides aux effets nocifs. HRW appelle à protéger les habitants de zones rurales.

Voir en ligne : Carta Captal

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