Hausse de 88% des candidatures autochtones en 2020 « Nous ne voulons plus qu’on parle en notre nom »

 | Par Brasil de Fato, Fabiana Reinholz, Marcelo Ferreira

2 111 candidats autochtones se présentent aux élections de cette année dans tout le pays. En 2016, on comptabilisait 1 175 candidatures.

Traduction : Marie-Hélène BERNADET pour Autres Brésils
Relecture : Du DUFFLES

« Notre voix est entendue, c’est vrai, mais comme on continue à vouloir nous réduire au silence, nous devons revenir à une représentation et à une action de combat. Nous ne voulons plus qu’on parle en notre nom », souligne Bigaira Veloso, un des 124 candidats autochtones du Rio Grande do Sul. Les élections municipales de 2020 ont mis en évidence une hausse de la participation des « minorités » ainsi qu’une augmentation du nombre de candidatures des personnes qui se déclarent autochtones.

Concernant les élections de cette année et d’après le Tribunal Electoral Supérieur (TSE), il y a 2 111 candidats autochtones dans tout le pays (0,39% du total des candidatures), soit une hausse de 88,51% par rapport aux élections de 2016, pour lesquelles on avait enregistré 1175 candidatures. Au niveau national, les candidats autochtones se répartissent en 32 partis, le PT étant celui qui en compte le plus : 263. Viennent ensuite le MDB et le PP, avec 152 candidatures autochtones chacun.
D’après les données du recensement de 2010 fait par l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistiques (IBGE), il y a au Brésil près de 817 963 personnes qui se déclarent autochtones, soit 0,47% de la population totale du pays. Il s’agit de 256 peuples avec 150 langues différentes.

La question de la délimitation des terres autochtones (TI), la reconnaissance de leurs droits et de leur existence sont les principales revendications des candidats. Mais pas seulement cela. Pour l’écrivain et professeur Daniel Munduruku, candidat du PCdoB [1] à la mairie de Lorena, dans l’intérieur de l’état de São Paulo, les candidatures autochtones sont importantes parce qu’elles « montrent que nous sommes attentifs aux problèmes communs à toutes les personnes ».

« Parce que nous sommes, en premier lieu, des contemporains. De plus, nous pouvons proposer des solutions à ces mêmes problèmes à partir du regard forgé par nos expériences en tant qu’autochtones. C’est-à-dire que nos peuples possèdent des connaissances qui peuvent être utiles pour aider la société à surmonter ses difficultés », souligne Munduruku.

Né à Belém, dans l’état du Pará, le candidat a grandi à Maracanã, un village du peuple Munduruku, avant de s’installer à l’intérieur de l’état de São Paulo. Leader autochtone dans sa région, Daniel Munduruku a 56 ans et est diplômé en philosophie. Il possède également une licence d’histoire et de psychologie, une maîtrise d’anthropologie sociale, un doctorat en sciences de l’éducation de l’Université de São Paulo (USP) et un diplôme de troisième cycle en linguistique de l’université fédérale de São Carlos (UFSC-Car).

Selon lui, le problème principal à dépasser concernant les candidatures autochtones « est de devoir convaincre les gens que nous sommes en mesure d’agir sur l’échiquier politique, au-delà de la vision stéréotypée ou folklorique transmise par la société à propos des autochtones. L’idéal est de réaffirmer le caractère collectif de ces candidatures, surtout lorsqu’elles se déroulent dans des municipalités à proximité de villages autochtones », estime Munduruku.

« Les candidatures collectives, en collaboration avec d’autres secteurs défavorisés comme les noirs, les LGBTQIA+ et les femmes, peuvent se constituer en tant que lignes directrices rompant avec les stéréotypes et le déni qui existent habituellement à l’égard des peuples autochtones », conclut-il.

Le Brésil compte une population de 817 963 autochtones, la majorité vivant en zone rurale / Reproduction

Candidatures autochtones dans le Rio Grande do Sul (RS)

Le Rio Grande do Sul est le dixième État ayant la plus grande population autochtone du pays, avec près de 32 989 personnes, ce qui représente 0,3% de la population de tout l’État.

La municipalité de Redentora, au nord-ouest de l’État, possède la plus grande population autochtone gaucha [2] , soit 4 033 personnes. Avec 26 candidats habilités, c’est aussi la ville ayant le plus grand nombre de candidatures autochtones du Rio Grande do Sul, suivie de São Valério do Sul, avec 11 candidats, et Tenente Portela, qui en compte 10. La capitale [3] compte seulement deux candidatures.

Les 124 candidats à s’être autodéclarés autochtones sont répartis dans 39 des 497 municipalités gauchas et représentent 0,38% de l’ensemble des candidatures de l’état ; 2 d’entre eux se présentent à la mairie, 3 sont candidats au poste d’adjoint au maire et 120 au conseil municipal. Dans le Rio Grande do Sul, le PP est le parti regroupant le plus de candidatures autochtones (23 candidatures), suivi du PT (22) et du MDB (17).

Merong Pataxó Hã Hã Hãe Kamakã, 33 ans, est candidat de la UP (Unidade Popular pelo Socialismo) au poste de conseiller municipal à Porto Alegre. Né à Contagem (Minas Gerais), il a passé son enfance à Bahia, où il a vécu entre ville et village. Il est arrivé dans le Rio Grande do Sul il y a 10 ans, vivant d’abord à Erebango et ensuite à Porto Alegre, où il fut l’un des habitants de Ocupação Lanceiros Negros [4] .

« Il est important d’avoir un représentant autochtone au conseil municipal de Porto Alegre parce que beaucoup de personnes non autochtones ne comprendront jamais réellement quels sont nos besoins et à quoi ressemble notre façon de nous organiser socialement. En tant que peuples originaires du Brésil, nous devons également faire partie du Parlement, pour montrer notre façon d’être et de lutter », affirme-t-il.

D’après Merong, un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les autochtones est la difficulté de rendre les politiques publiques accessibles à l’intérieur des communautés. En racontant la réalité de ceux qui vivent à Porto Alegre et ses environs et qui travaillent en vendant leur artisanat au centre-ville de la capitale, il souligne que beaucoup d’entre eux voient leur travail menacé « par ce gouvernement élitiste qui favorise uniquement les grandes entreprises ». C’est pour cette raison qu’il se bat pour la visibilité des travailleurs autochtones, avec des propositions telles que la construction d’un local de vente et d’un dépôt où ils pourront entreposer leurs marchandises.

Candidat du PP (Partido Progressista), Selirio Vergueiro Lilo, 48 ans, se présente au poste de conseiller municipal à Nonoai (RS), une des municipalités où se trouve la Réserve Indigène Nonoai, composée essentiellement de familles de l’ethnie Kaingang.

Il affirme que son élection pourrait contribuer à résoudre les défis locaux auxquels sa communauté est confrontée et qui concernent le logement, l’éducation, les routes et la santé. « Les promesses viennent de l’extérieur tous les quatre ans. Nous, nous sommes déjà issus d’une organisation sociale interne et maintenant, nous faisons l’expérience d’une recherche extérieure en faveur de notre peuple », souligne-t-il.

Municipalités gaúchas ayant la plus grande concentration de population autochtone / IBGE/Reproduction

« Selon moi, l’autochtone en a eu assez d’entendre les promesses des blancs et a décidé de représenter lui-même son propre peuple  », affirme le candidat.

Serilo met l’accent sur l’amplitude de l’organisation politique des peuples autochtones en 520 ans de résistance. « Nous savons qu’il nous reste beaucoup à apprendre en politique mais nous avons déjà démontré notre capacité à exercer le rôle de représentants, car nous avons toujours été capables de gérer la représentativité interne. Nous allons à présent chercher la représentativité extérieure ».

Le sénateur Luís Carlos Heinze, du parti de Serilo, est un propriétaire foncier qui, lorsqu’il était député fédéral, avait déclaré que les « Indiens », les Quilombolas, les gays et les lesbiennes étaient « tout ce qui craint ».

Pour le candidat autochtone, cette question n’a aucun intérêt : « Chaque communauté a le droit de jouir de ses terres de la façon qu’elle juge meilleure pour son peuple », souligne-t-il.

Il explique que les terres autochtones du sud du pays ont été « celles qui ont le plus souffert des colonisations ». « Notre survie a pâti des impacts de la colonisation et, aujourd’hui, les autochtones doivent cultiver pour leur propre subsistance ».

Concernant le fait que le Rio Grande do Sul a beaucoup de candidatures autochtones liées à des partis de droite à l’intérieur de l’état, Mergong pense « qu’il ne s’agit pas de personnes ayant été confrontées à une véritable lutte pour occuper et obtenir des territoires. Même si elles ont occupé et repris des territoires, elles n’ont pas vraiment participé aux combats et ne connaissent pas les mouvements sociaux ».

Selon lui, si les candidats s’y connaissaient davantage en politique, ils « n’adhèreraient pas à un parti de droite ». « Ce sont des partis de propriétaires fonciers, de gens qui ont voté des projets de loi contre nous », conclut-il.

Dans un entretien à Brasil de Fato RS, Flávia Miranda Falcão, diplômée en droit de la Fundação Escola Superior do Ministério Público et chercheuse en multiculturalisme et interculturalisme, estime que cette question est liée à la présence des partis dans les municipalités et que ceux-ci donnent une indication des priorités locales. « La réalité de la ligne politique des municipalités dont l’économie est principalement agricole et pastorale reflète les priorités locales et le candidat, quelle que soit son ethnie, doit s’adresser à l’électeur local », observe-t-elle.

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Femmes autochtones

Dans le Rio Grande do Sul, 50 femmes autochtones sont candidates aux élections municipales / Fabiana Reinholz

Selon les statistiques de Elas no Congresso [5] , plateforme de suivi des droits des femmes dans le législatif gérée par le site AzMina, qui s’appuie sur les données du TSE (Tribunal Supérieur Electoral), les candidatures des femmes autochtones ont augmenté de 49% par rapport à 2016.

La majorité d’entre elles se présentent à des postes de conseillères municipales. D’après l’enquête, une candidate sur 250 en lice pour le conseil municipal est autochtone et pour le suffrage du dimanche 15 novembre, seulement six candidates autochtones se présentent à la mairie. Dans le RS, parmi les 125 candidatures autochtones, 50 sont des femmes : une pour la mairie, une autre pour un poste d’adjoint au maire et les autres pour le conseil municipal.

Née à São Luiz Gonzaga, dans la région des Missões, dans le nord-ouest de l’état, Claudete Oliveira – dite professeure Claudete – se présente à la mairie de Eldorado do Sul pour le PT. Educatrice du réseau municipal et de celui de l’état, elle est la fille d’une mère guarani et d’un père allemand. Elle affirme que sa mère a toujours eu de solides relations avec sa famille ; elle n’a jamais perdu de vue ses racines ni l’origine de son identification culturelle.

Située à environ 10 km de la capitale Porto Alegre, Eldorado do Sul est la ville où l’entreprise Copelmi a l’intention de mettre en place un projet d’extraction de charbon, de sable et de gravier appelé Mina Guaiba. L’autorisation est actuellement suspendue en raison de la présence de deux communautés Mbyá Guarani dans la zone qui sera impactée par le projet.

Neuf familles de la communauté Guajayvi vivent dans la zone de la mine, située dans le périmètre de Charqueadas. Dix autres familles mbyá guarani de la communauté Pekuruty, ou Arroio Divisa, vivent au bord de la BR 290 [6] , à Eldorado do Sul, à 7,2 km de l’endroit choisi par l’entreprise.

« Nous n’avons pas de terre délimitée ici, l’endroit où se trouvent ces familles n’est pas reconnu. Historiquement, il s’agit d’une nouvelle perte de terre. C’est un manque de respect, une dévalorisation de notre culture. Et je pense qu’il y a actuellement autant de violence qu’au moment de la colonisation et que l’impact que génère cette violence symbolique sur notre communauté est énorme », confie-t-elle.

Claudete se sent très impactée par « le manque de respect, l’ignorance, la dévalorisation et l’incompréhension qui existent aujourd’hui à propos de l’importance des peuples autochtones ».

Pour elle, une des lignes directrices essentielles actuellement, tant au plan national qu’au niveau de l’état fédéral, est la question de la démarcation des terres. « C’est l’obstacle majeur. Dans notre état, il y a plus de 50 villages, un pourcentage significatif de campements et seulement six zones délimitées. Plusieurs problèmes se posent, notamment le principe selon lequel la terre n’est pas une propriété privée », déclare-t-elle, soulignant que davantage d’espaces politiques sont nécessaires pour continuer à aborder la question autochtone.

Bigaira Veloso a 27 ans et fait partie de l’ethnie kaingang. Elle est diplômée de l’université fédérale Fronteira Sul à Erechim (RS) et se présente au poste de conseillère municipale pour le PCdoB dans la commune Rio dos Indios. Selon elle, l’augmentation de la population autochtone dans les espaces politiques est une force qui « vient garantir que leurs modes de vie soient reconnus, respectés et valorisés ». Une force encore plus importante quand on analyse la conjoncture politique actuelle, défavorable aux peuples autochtones. « Nous avons un gouvernement anti-autochtones, raciste, homophobe, et nous avons besoin d’occuper ces espaces, parce que nous avons une voix à faire entendre ; nous avons toujours eu cette voix, mais on nous a fait taire. Comme on continue à vouloir nous réduire au silence, nous devons revenir à une représentation et à une action de combat contre ce mauvais gouvernement », affirme-t-elle.

Les femmes autochtones cherchent à occuper le devant de la scène en travaillant en collaboration avec les hommes autochtones, affirme Bigaira.

« En ne laissant personne à la traîne et en travaillant ensemble. Nous avons cependant besoin de ces revendications politiques de femmes. Il faut davantage de femmes autochtones en politique. La vision que nous avons en tant que mère, en tant que sœur, ceci fait une grande différence dans cet espace parlementaire qui existe », souligne-t-elle.

Les deux candidates mettent en avant le démantèlement des politiques autochtones, des conseils rattachés à la cause autochtone, de la Fondation Nationale de l’Indien (Funai), ainsi que la forte mobilisation du groupe ruraliste qui fait pression pour la non démarcation et l’appropriation des territoires autochtones.

« Il faut qu’on change. Et pour cela, nous devons commencer par la base, en modifiant et en structurant les situations des peuples autochtones dans leurs fondements, c’est-à-dire dans leur commune », analyse Bigaira.

Coordinatrice de l’APIB, Sônia Guajajara est considérée comme l’un des principaux leaders autochtones et environnementaux du pays. Elle a été candidate à la vice-présidence de la République en 2018 / Reproduction Mídia Índia

Les peuples font exercer leurs droits

Pour Kerexu Yxapyry, du peuple Mbya Guarani, coordinatrice de la Commission Guarani Yvyrupa (CGY) et membre de la coordination exécutive de l’Articulation des Peuples Autochtones du Brésil (APIB), les candidatures autochtones montrent que les peuples font exercer leurs droits.

Selon elle, de nombreuses personnes détenant le pouvoir politique ignorent ou refusent de favoriser et promouvoir les politiques publiques destinées à la question autochtone. Ils reçoivent des moyens mais ne réalisent aucune action dans les villages.

« La plupart du temps, nous ne sommes même pas au courant de nos droits. Ils utilisent les moyens en notre nom pour faire campagne contre la démarcation et contre les autochtones et promouvoir la société qui, elle aussi, est mal informée », souligne-t-elle.

Habitante de Terra Indígena Morro dos Cavalos, dans la commune de Palhoça (SC), elle a été candidate aux élections de député fédéral en 2018, avec plus de 10 000 votes. Elle estime que la participation des femmes autochtones dans les espaces de pouvoir et de décision apparait comme une forme d’équilibre.

« Ces candidatures de femmes autochtones, qui se présentent comme génitrices et défenseuses de la vie, sont porteuses d’espoir. Nous, les femmes, nous luttons avec nos territoires, avec nos corps et notre esprit. C’est de cela dont le monde a besoin, de l’équilibre de la vie. Ni lourd ni léger, mais avec un équilibre entre le masculin et le féminin, comme le veut la règle de la nature », affirme-t-elle.

Kerexu se réjouit de la hausse de participation de la femme autochtone, déjà active dans les communautés, mais qui ne se positionnait pas à l’extérieur.

« Cela a souvent été un choix de notre part, comme une façon de se protéger, car toute la violence et l’usurpation faite de nos vies dans le passé, et qui sont presque devenues une culture à l’intérieur de nos peuples, nous a laissé de mauvais souvenirs », fait-elle remarquer.

Elle souligne que maintenant, la situation est différente. « Nous sommes sur ce chemin en pleine puissance et l’entrée au Congrès de la députée fédérale Joênia Wapichana nous remplit de fierté et d’espoir ».

Kerexu critique les candidats blancs, surtout les hommes, qui font de la vieille politique en achetant des votes en échange de hot-dogs et de paniers de première nécessité. Elle estime qu’il y a encore beaucoup de choses à améliorer parmi les autochtones dans ce qui se dit à propos de l’importance de la politique.

« Beaucoup ne veulent pas s’engager en politique et finissent par confier leur vote à quelqu’un qui n’a jamais lutté pour les droits de nos peuples. Il faut que le Brésil et le monde reconnaissent que ce territoire brésilien a été envahi en 1500 et que les peuples autochtones, qui sont les gardiens de toute la biodiversité, soient protégés », conclut-elle.

Source : Brasil de Fato - Rio Grande do Sul

Voir en ligne : Candidaturas indígenas crescem 88% em 2020 : « Não queremos ninguém falando por nós »

Photo de Couverture : Parmi les 2 000 candidatures autochtones que compte le pays, le Rio Grande do Sul est l’un des états qui en recense le plus - Wilson Dias

[1Parti communiste du Brésil

[2Originaire du Rio Grande do Sul

[3Porto Alegre, capitale de l’état du RS

[4Centre d’hébergement social

[6Importante route fédérale dans le Rio Grande do Sul

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