Le nombre de représentants du secteur de l’industrie audiovisuelle au sein du Conseil a été divisé de moitié – de six à trois – et ceux de la société civile, de trois à deux. Les autres membres du Conseil sont des fonctionnaires du gouvernement.
Ces changements sont justifiés par le besoin de combattre ce qui est vu par le pouvoir exécutif comme des productions cinématographiques « de gauche » financées à travers les leis de incentivo . « Nous ne permettrons pas l’activisme » a expliqué Jair Bolsonaro lors d’une conférence de presse.
Voir aussi Forum des images : Brésil : le cinéma en danger ?
Les propos de Bolsonaro se rapprochent de ceux d’Olavo de Carvalho. Pour lui, il existe un mouvement international de destruction de la « culture occidentale » menés par les « gauchistes » qui cherchent à conquérir l’hégémonie à travers la culture, en occupant l’espace intellectuel, comme les écoles et les universités. Pour lutter contre les fantômes du « marxisme intellectuel », la « guerre culturelle »[ Ce terme est largement repris par les agences de presse internationale dès 2019 face aux nombreuses censure contre la Funarte. Elle devient plus explicite en 2020 avec le discours de l’ancien ministre de la culture inspiré du nazi Goebbels puis lorsque "La guerre culturelle de Bolsonaro s’invite au carnaval de Rio". Selon RTS, radio suisse, Une guerre culturelle peut être très directe avec l’interdiction de pièces de théâtre ou d’expositions. Ou indirecte, en limitant par exemple les budgets ou en annulant des appels d’offres.]]est nécessaire, selon les propos du philosophe auto-proclamé.
L’un des hommes les plus influents du gouvernement de Jair Bolsonaro n’est ni militaire ni politique. Il a plus de 70 ans, vit depuis 2005 aux Etats-Unis, d’où il enseigne la philosophie par Internet. Les Olavistas sont ses disciples. Idéologue des nouvelles droites, extrêmes mais pas que, il inspire Bolsonaro au point d’être reconnu comme son Gourou ultra-conservateur. Auteur best-seller, il se décrit lui même comme philosophe autodidacte et anarchiste de droite.
Bien avant les changements opérés au sein d’Ancine, certains studios de cinéma brésiliens, inspirés par les idées d’Olavo de Carvalho, travaillaient déjà en faveur de cette « guerre culturelle ». Le professeur a gagné du terrain dans le secteur audiovisuel grâce à certains réalisateurs tels que Josias Saraiva Monteiro Neto, connu comme Josias Teófilio, qui a créé Lavra Filmes, à Mauro Ventura Alves, associé de Ivin Films, et grâce à la société de production gaúcha Brasil Paralelo.
Lire aussi l’analyse de João Cezar de Castro Rocha pour Autres Brésils - L’obscurantisme comme projet pour le Brésil. La guerre culturelle bolsonariste.
Dès 2015, alors que les manifestants vêtus de maillots verts et jaunes de la CBF défilaient dans les rues du pays pour demander la destitution de Dilma Rousseff (Parti des Travailleurs), Teófilio organisait le mouvement derrière la caméra. En septembre et octobre de la même année, lui et le producteur et monteur Matheus Bazzo, ainsi que l’assistant de direction Mauro Ventura et le directeur de la photographie Daniel Aragão se sont rendus en Virginie, aux États-Unis, pour tourner un film sur Olavo de Carvalho, qui déjà, imprimait timidement des tee-shirts avec la mention « Olavo à raison » lors des manifestations en faveur de l’Impeachement.
Le tournage a donné le jour au long métrage « O jardim das aflições », sorti en mars 2017 sous la direction de Teófilio. Le documentaire a fait polémique à sa sortie lorsque sept cinéastes ont retiré leurs films du festival Cine PE pour protester contre la participation du directeur du Pernambouc. Avec la collaboration d’élèves et sympathisants d’Olavo de Carvalho, le documentaire présente l’œuvre et la pensée de l’écrivain.
Le succès du documentaire a motivé Teófilio à créer en 2018 son propre studio de production, le Lavra Filmes, et à réaliser de nouveaux projets cinématographiques. L’un d’eux a été annoncé en juillet sur twitter, sous le nom de Nem tudo se desfaz, qui prétend traiter de l’histoire récente du Brésil, depuis les manifestations de 2013 jusqu’à l’élection de Jair Bolsonaro [1].
Assistant de direction de Teófilio dans le film O jardim das aflições, Mauro Ventura devient également réalisateur en juin 2018 du film Bonifácio : O Fundador do Brasil. Ce documentaire conte l’histoire du luso-brésilien José Bonifácio de Andrada e Silva, qui, selon la production, serait « un des brésiliens les plus importants de l’Histoire », Patriarche de l’Indépendance. Le studio Ivin Filmes, de Ventura, a réalisé un court-métrage sur le livre d’Olavo de Carvalho O imbecil coletivo ainsi que sur ses retombées et produit actuellement un film intitulé Brasil : a alma portuguesa, qui rappelle les liens entre le Portugal et le Brésil.
Fondée en 2016, la gaúcha Brasil Paralelo est une autre société de production qui revendique des liens avec la pensée d’Olavo de Carvalho. Productrice de formations, séries et films documentaires proposant une « solution parallèle » pour la culture et l’éducation au Brésil, elle a lancé en 2019 son premier long-métrage sur grand écran 1964 : o Brasil entre armas e livros. Ce film réunit les témoignages de spécialistes liés à la droite brésilienne qui questionnent "la version" [2] présentée par l’Histoire, affirmant, entre autres, qu’il existait de fait, une « menace communiste », prétexte alors utilisé par les Généraux pour justifier la répression et la censure.
Parmi les divers projets du studio, on découvre la série O teatro das tesouras défendant la thèse d’Olavo selon laquelle « il n’y a pas d’opposition entre les grands partis du Brésil ». Brasil Paralelo a également produit la série Congresso Brasil Paralelo qui analyse l’histoire du Brésil et présente un panorama du présent et du futur.
Derrière ces séries et films documentaires, on trouve un soutien formé majoritairement par des sympathisants et élèves d’Olavo de Carvalho. L’influence du philosophe auto-proclamé réside également dans des campagnes de financement réussies ; en effet, ces studios de production ont réalisé les trois plus importantes levées de fonds du cinéma brésilien grâce à des plateformes de financement participatif.
Au-delà du philosophe, ces sociétés ont également cherché à se rapprocher de politiques et particulièrement de la famille Bolsonaro. Le président lui-même a mentionné certaines productions du studio Lavra filmes et de Brasil Paralelo sur les réseaux sociaux.
Lire aussi le reportage Dani Legras dans Slate.fr Les fils Bolsonaro, plus inquiétants encore que leur pèreLors d’un entretien accordé le jeudi 31 octobre 2019 à une chaîne YouTube, Eduardo Bolsonaro a pensé qu’il était judicieux d’évoquer l’Acte institutionnel numéro 5 (AI-5) –par lequel le Congrès National a été fermé en 1968 pendant la Dictature militaire et suspendu les libertés constitutionnelles.« Il arrivera un moment où la situation sera la même qu’à la fin des années 1960 au Brésil, quand ils [les mouvements de gauche radicalisés, ndlr] détournaient des avions, exécutaient, séquestraient de hautes autorités comme des consuls, des ambassadeurs, des policiers, des militaires », a dit Eduardo Bolsonaro. « Si la gauche se radicalise à ce point, il nous faudra y répondre. Cette réponse peut être un nouvel AI-5, ça peut être une législation approuvée par référendum. »
Prestige en politique
Le 17 juin dernier, le cinéaste Mauro Ventura, associé du studio Ivin Films, a été reçu par le Ministre de la Citoyenneté, Monsieur Osmar Terra (MDB). La réunion, qui a compté sur la présence de membres de la Coupole Conservatrice d’Amérique du Sud, avait pour objectif de traiter des questions audio-visuelles, de ses productions et de leurs impacts sur la promotion du Brésil sur la scène internationale. Dans l’agenda du Ministre, on mentionne également la présence de Cristian Derosa, éditeur du site Estudos Nacionais, qui n’apparait pas sur les photos officielles de l’évènement.
En réponse à une demande d’Accès à l’Information déposé par Agência Pública, le Ministère de la Citoyenneté explique ne pas disposer des comptes rendus de la réunion, mais communique une « note », qui ne mentionne pas la présence de Derosa.
Un mois après la rencontre, le site Estudos Nacionais publie un document signé par le mouvement « Brasil 2100 » qui propose des « solutions immédiates pour rompre le cycle vicié, démoralisant et vexatoire de la culture brésilienne ». Le manifeste liste les projets autorisés à bénéficier des leis de incentivo de l’agence Ancine qui selon les auteurs, « n’auraient pas dû être approuvés ». Les auteurs n’ont pas pu être identifiés et il n’existe pas d’autres indices du mouvement « Brasil 2100 ». Sur le site, Cristian Derosa affirme ne pas connaitre les auteurs de ce manifeste. Tandis que le journal Folha, indique les connaître mais n’a pas souhaité donner leurs noms.
Peu importe qui en sont les auteurs, le fait est que au moins l’une des solutions présentées au sein du document a inspiré les changements effectifs dans le cinéma brésilien dans la même semaine : le transfert d’Ancine à Brasilia. Le document suggère également la création d’une nouvelle politique culturelle brésilienne, sans toutefois spécifier de quoi il s’agit.
Dans un discours relatif aux changements survenus au sein du cinéma brésilien, Bolsonaro a cité certains films désapprouvés par le manifeste, tels que la biographie de Bruna Surfistinha [3].
Outre le fait d’avoir assisté à une réunion avec un ministre d’État, Ventura a vu son film Bonifácio : O Fundador do Brasil promu par Eduardo Bolsonaro sur Twitter.
Ventura et Eduardo ont participé de la session solennelle de la Chambre des députés en hommage à José Bonifacio et en prévision de la commémoration du bicentenaire de l’Indépendance du Brésil, en 2022. Lors de l’évènement, l’historien Rafael Nogueira, élève d’Olavo et conférencier de Brasil Paralelo, questionné sur la réalisation de Ventura, a discouru en hommage au personnage historique et a rappelé l’importance de ce film. D’autres « olavistes » ont également participé à la session solennelle, tels que le député Luiz Phillipe d’Orléans et Bragança, membre de la famille impériale Brésilienne et par ailleurs conférencier de Brasil Paralelo, ainsi que la députée Caroline de Toni (Parti Social-Libéral de l’État de Santa Catarina).
Les productions réalisées par Lavra Films et Brasil Paralelo sont amplement promues et louées par les membres du gouvernement Bolsonaro.
La promotion du film O jardim das aflições a été twittée et retwittée de nombreuses fois par le député fédéral et fils du président, Eduardo Bolsonaro, ainsi que par son frère Flavio. Selon Daniel Aragão, qui a participé à la réalisation du film, Eduardo e Teófilio se sont rapprochés après sa production. Le documentaire de Teófilio a été visionné dans l’amphithéâtre du Trump International Hotel, à Washington, lors de la visite de Jair Bolsonaro au président des États-Unis, selon le journal Folha. Olavo de Carvalho, l’ex-stratège de Trump, Steve Bannon, et les ministres Fernando Azevedo, Sergio Moro, Paulo Guedes et Marcos Pontes étaient également présents lors de la session.
En janvier dernier, Eduardo Bolsonaro a publié une photo pour témoigner sur le nouveau documentaire de Josias Teófilio, Nem tudo se faz. Le compte twitter du réalisateur de Lavra Film est l’un des 338 suivis par Jair Bolsonaro sur ce réseau.
Le président est également abonné au profil officiel de Brasil Paralelo sur les réseaux sociaux. Le studio de production, qui compte sur les témoignages de Jair et Eduardo dans certaines de ces réalisations cinématographiques, est régulièrement mentionné par la famille : Eduardo a twitté sur les films et séries de l’entreprise à plus de 20 occasions. Le documentaire 1964 : o Brasil entre armas e livros a été visionné par Bolsonaro à bord de l’avion présidentiel, lorsqu’il revenait d’un voyage officiel en Israël.
Un financement Olaviste
Le soutien de certaines figures politiques du gouvernement Bolsonaro a été fondamental pour le succès de ces productions, sachant également que la plupart d’entre elles ont été produites grâce à des campagnes de financement participatif sur internet. Les studios de Brasil Paralelo, de Ivin films et de Josias Teófilio comptabilisent respectivement les trois plus grandes campagnes de financement participatif du cinéma brésilien.
Ventura explique qu’il a opté pour le financement participatif en comptant sur l’engagement de son réseau de contacts lié au professeur, avec presque 600 mille abonnés sur facebook et 175 mille sur twitter. Mais la plus grande influence du professeur s’exerce sur les 3000 élèves ayant suivi son cours en ligne de philosophie hebdomadaire.
« « Notre public-cible s’organise en une liste de diffusion concentrique structurée autour du professeur Olavo, ce qui nous permet d’atteindre un public important » révèle-t-il. »
Lors de la production du film Jardim das aflições, le professeur n’a pas tari d’éloges à l’égard des réalisateurs. Et pour celle de Bonifácio e Milagre, l’écrivain exprime dans une vidéo ses louanges pour les films dans lesquels lui-même participe.
De plus, la grande majorité des entreprises contributrices sont gérées par des élèves d’Olavo, qui ont investi des milliers de réaux dans ces productions.
En 2017, le film Jardim das aflições a été financé par une campagne de financement participatif en ligne en trois étapes – la plus importante de l’histoire jusqu’à ce jour, avec 315 mille réaux récoltés, provenant de 5 mille personnes anonymes et de 4 entreprises.
Un an plus tard, ce record a été dépassé par l’une des productions du jeune studio Ivin Films du directeur Mauro Ventura. Le film Bonifácio : O Fundador do Brasil, sorti en juin 2018, a reçu les dons de 2800 investisseurs individuels et 6 corporatifs, totalisant 387 mille réaux, récoltés via des campagnes qui appellent à participer de la « guerre culturelle » afin d’« aider le Brésil à sauver son essence véritable ».
Brasil Paralelo a battu les deux précédents records avec sa première campagne de financement participatif. Le projet « A Última Cruzada : O Filme », dont l’objectif est d’être distribué gratuitement sur internet et dans les écoles, va adapter en long métrage la mini-série de 6 épisodes « Brasil : a última cruzada » et revisite la période impériale brésilienne en renforçant ses liens avec le colon portugais. La campagne a déjà rapporté plus de 450 mille réaux et a atteint son premier objectif.
La société Pereda Incorp, de l’entrepreneur Luiz Pereda, élève du cours d’Olavo, est l’une des entreprises qui contribuent aux campagnes de financements. Il a participé à la production d’Ivin Films, Bonifácio e Milagre. Selon l’entrepreneur, la décision d’investir dans ces projets provient de l’enseignement du professeur. « Une chose dont il parle beaucoup est que l’amour de la connaissance est une chose très rare au Brésil » déclare-t-il.
L’entrepreneur souligne que ses investissements n’ont pas pour objectif de promouvoir son entreprise mais plutôt une certaine vision du monde. « Je crois que le rôle de tout bon entrepreneur, au-delà de faire croitre l’économie et de créer de l’emploi, c’est-à-dire de produire, est de contribuer à ce qui fait le plus défaut, et particulièrement au Brésil : le manque d’intelligence », affirme Pereda.
Le film Bonifácio a aussi reçu des fonds de la part du blog Como educar seus filhos, de l’entrepreneur et actuel secrétaire à l’alphabétisation du Ministère de l’Education (MEC), Carlos Nadalim. Le financement participatif compte également sur le soutien du Movimento Avança Brasil, groupe conservateur pro-Bolsonaro dont Olavo de Carvalho est le conseiller, du Bureau d’avocats Panichi Advogados, du juriste conservateur et olaviste, Raphael Panichi, et de l’Institut Realitas, du sociologue conservateur Edgar Leite.
L’entreprise d’architecture Arquiteco, de Paulo Coutinho, élève du cours d’Olavo, a également contribué. Ainsi que l’entreprise de transport et logistique CriarLOG, et l’entreprise 4IT Smart Solutions, qui propose des conseils en technologie de l’information.
L’entreprise Café Patriota, installée dans le quartier d’Aldeota, à Fortaleza, dans l’état du Ceará, se positionne également comme soutien à « la préservation et la dissémination des valeurs fondamentales de la société brésilienne ». Partenaire de Brasil Paralelo, elle offre des réductions pour les abonnés aux comptes (des réseaux sociaux NdT) du studio : 30 jours de café expresso offerts et une remise de 20% sur l’ensemble du menu. Anapuena Havena, associée de Café Patriota, a confié à l’Agência Pública que l’entreprise n’a offert aucune contrepartie financière pour le film Milagre. « C’est la communication que l’on a appuyée » explique-t-elle.
Ivin a également adapté à l’écran le livre d’Olavo de Carvalho intitulé O imbecil colectivo. Ce court métrage, quant à lui, a été financé par ses ventes en ligne pour 14,90 R$.
L’Agência Pública a contacté toutes les entreprises mentionnées concernant les montants cités dans l’article, mais n’a, à ce jour, pas obtenu de réponse.
Certaines pistes peuvent toutefois être suivies pour comprendre les rouages du financement participatif du Jardim das Afliçoes. La campagne proposait trois catégories de récompenses pour les entreprises qui souhaitaient contribuer : celle qui investit 10 mille réaux verra son logo affiché dans le générique aux cotés de trois autres entreprises, pour celle qui investit 20 mille, le logo apparaitra seul, et si vous donnez 40 mille, l’entreprise obtiendra plus de temps d’apparition.
Le film a été sponsorisé par quatre entreprises. La société Como educar seus filhos de Carlos Nadalim a investi pas moins de 20 mille réaux dans la production et a vu son logo exhibé dans le générique, suivi du logo de l’entreprise de Victor Gamarra, entrepreneur de marketing digital et de crypto monnaie, avec la même durée d’apparition. Lors d’une interview avec l’Agência Pública, Gamarra a confirmé la valeur du montant investi et a affirmé que ce don a pu être réalisé grâce à la foi en l’importance de l’œuvre d’Olavo. « Le professeur Olavo a un message très important à transmettre, surtout dans un pays contaminé par l’auto-victimisation, par le crétinisme généralisé, par l’adoration hystérique pour les diplômes, et pour la croyance en l’absence d’intelligence hors du milieu universitaire. » déclare-t-il.
Le film a également pu compter sur le soutien de la société Andrade CG Advogados, spécialisée dans le conseil aux entreprises, et de la maison d’édition Concreta, qui ont investi au moins 10 mille réaux chacun. Germano Costa Andrade, associé de Andrade GC, a confirmé le montant investi et ajoute qu’il s’agit d’une modeste contribution et qu’il n’a bénéficié d’aucun avantage fiscal ou financier pour ce don. « Le film nous a paru aligné sur l’idéologie de notre entreprise concernant les changements à apporter à nos réalités. »
Toutes les entreprises qui ont contribué au financement du film ont à leur tête des olavistes. Nadalim est un élève du cours et prône sur son blog l’école à domicile, un des axes de l’idéologie défendu par Carvalho. Gamarra aussi est un admirateur de l’écrivain, ce qu’il revendique sur les pages de ses réseaux sociaux. L’éditrice Concreta, qui vend des livres de culture classique, de catholicisme et de protestantisme, est également gérée par un élève de Carvalho, Renan Martins dos Santos. Tout comme l’entreprise Andrade, qui a à sa tête les deux associés, Germano Costa Andrade et sa femme, Carolina Ribeiro Botelho,
Au total, la production a collecté 315 mille réaux, 155 mille de plus que l’objectif initialement établi de 160 mille. Au moins 70 mille proviennent d’entreprises et le reste de donations individuelles, à partir d’un montant de 60 réaux par personne. Les donateurs physiques ont été récompensés par du matériel de communication et leur nom dans les remerciements.
Brasil Paralelo se finance grâce à ses abonnés
Fière de ne pas utiliser d’argent public, Brasil Paralelo finance ses activités grâce aux contenus réservés à ses abonnés. « Être dépendant de grands sponsors ou de financements publics n’était pas une option pour nous. Les conflits d’intérêts sont trop présents. » explique l’un des associés, Filipe Valerim, dans une interview pour le Boletim da Liberdade. Le premier abonnement, qui coute 478,88 réaux par an, offre l’accès à l’ensemble des contenus exclusifs, séries et films, de la société. Quant au plan Master, il propose pour la somme de 687,48 réaux, en plus des contenus exclusifs, différentes formations avec des cours en ligne et en direct sur la plateforme, appelées Nucléo de Formação, des conférences, ainsi que des rencontres présentielles avec d’autres abonnés, les membres de l’équipe et les conférenciers.
Lors d’une interview pour le blog Saída Pela Direita, en février, l’entreprise a affirmé avoir plus de 20 mille abonnés, ce qui génèrerait une recette annuelle d’au moins 9,6 millions de réaux, en considérant l’abonnement le plus économique. On ne sait rien des entreprises contributrices, à l’exception du groupe Liberta, qui a réalisé la série O dia depois das eleições, en partenariat avec le studio en 2017.
Le groupe Liberta a été fondé par Leandro Ruschel, économiste et élève d’Olavo de Carvalho, également conférencier pour Brasil Paralelo et frère de l’un de ses fondateurs, Bruno Ruschel.
À travers les posts sponsorisés de sa page, Carvalho a invité à plusieurs reprises ses abonnés à devenir membre de Brasil Paralelo et à investir dans le projet « A última cruzada ».
Les leis de incentivo font polémique
À cause de difficultés logistiques rencontrées pour réaliser des campagnes de financement participatif, Josias Teófilio a décidé de créer une entreprise afin de bénéficier de subventions à travers les leis de incentivo. Deux projets de Lavra Filmes ont été approuvés par l’agence Ancine en 2019. Ces lois permettent aux entreprises et aux particuliers l’abattement de l’impôt sur le revenu en reversant directement une partie à des projets audiovisuels.
Un des projets de Teófilio qui a été approuvé est Nem tudo se desfaz, enregistré sous le nom de Sinfonia nº2 auprès d’Ancine. Il s’agit d’« un long-métrage documentaire sur l’histoire récente du Brésil, entre 2013 et 2018, et sur les tensions politiques et les agitations sociales croissantes qui ont amené à une modification de l’axe de la politique nationale ainsi qu’à une crise de la représentativité sans précédent – dans la relation de la population avec le gouvernement ainsi que dans sa relation aux médias. » Le projet pourra capter 530 milles réaux d’ici la fin de cette année. Le directeur prétend encore financer la distribution grâce à une campagne de financement participatif.
Le second projet autorisé à bénéficier d’ici décembre d’un financement d’un montant de 1.306.660,60 réaux est Espelho do tempo, une série qui examine l’architecture des villes du brésil « de Ouro Preto a Brasília ». À l’Agência Pública, Teófilio confie qu’il ne souhaite pas profiter de ce financement.
Teófilio considère les leis de incentivo comme positives, mais reste sur ses gardes.
« Il existe aujourd’hui au sein de l’actuel gouvernement un grand questionnement quant au cinéma national brésilien, et c’est le résultat d’une mauvaise utilisation des leis de incentivo, avec également des irrégularités. Mais tout cela ne discrédite pas la loi en soi. C’est une bonne loi. Grâce à elle, l’entrepreneur, au lieu de payer des impôts au gouvernement, investit dans un projet culturel. Vous privatisez ainsi le choix des projets culturels » explique-t-il.
À la différence du studio Brasil Paralelo, les producteurs de Ivin ne sont pas non plus contre cet outil pour acquérir des subventions. « Les leis de incentivo, ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. Le fait qu’il existe un certain pluralisme est positif, mais il est toutefois nécessaire de rompre l’hégémonie de la gauche » défend Ventura.
Critique quant aux leis de incentivo, le président Jair Bolsonaro en a réprouvé le recours pour le film Nem tudo se desfaz. « J’ai récemment appris que 530 mille réaux vont être débloqués via l’agence Ancine pour réaliser le film sur ma campagne électorale. Par souci de cohérence, j’ai suggéré qu’il réfléchisse à deux fois à la question. Je ne suis pas d’accord pour que de l’argent public soit utilisé à ces fins. » publie-t-il sur son compte twitter. Il a également annoncé son intérêt de démanteler l’agence Ancine, mais est par la suite revenu sur sa décision.
À cette occasion, Carvalho a défendu son élève. « Premièrement, il ne s’agit pas d’un film sur Bolsonaro. Deuxièmement, Ancine n’a jamais donné et ne donnera jamais le moindre centime à Josias. Elle lui a seulement donné l’autorisation légale de tenter d’obtenir des sponsors privés. » a-t-il publié sur son compte facebook.
Le directeur de Lavra Films s’est félicité du recul du président concernant le démantèlement de l’agence Ancine. « La droite brésilienne a de nombreux préjugés à l’encontre des leis de incentivo, d’ailleurs elle ne comprend pas vraiment comment elles fonctionnent ».
Lire aussi dans l’Observatorio da imprensa, l’analyse de Rui Martins Retour de la censure dans les cinémas et les théâtres
Ventura s’oppose également à la menace de suppression de l’agence Ancine. « Notre cinéma est encore fragile. Il doit encore se développer, se renforcer, et si l’on abandonne l’une des uniques possibilités d’obtenir un avantage dans ce jeu, c’est un véritable retour en arrière. » affirme-t-il, en ajoutant qu’il ne voit pas d’un bon œil la mise en place de « filtres » au sein de l’institution. Le réalisateur de Ivin Films envisage d’avoir recours à des financements de la part des différents états. « Nous considérons toutes les formes possibles de financement, dont le financement par les entités fédérées. » dit-il. Jusqu’à présent, son studio de production n’a pas encore présenté de projets afin d’acquérir des subventions par le biais des leis de incentivo.
La guerre culturelle : l’audiovisuel
« Participez à la guerre culturelle » scande Ivin Films dans une vidéo promotionnelle avec la participation d’Olavo de Cravalho pour lors la campagne de financement du film Bonifácio. Dans un discours similaire, Filipe Valerim, membre fondateur socio-créateur de Brasil Paralelo, remercie ses abonnés d’aider Brasil Paralelo à réveiller « la conscience de ceux qui n’auraient jamais eu une vision systémique des problèmes que le Brésil affronte aujourd’hui et de la révolution culturelle dans laquelle nous nous trouvons. »
Questionné par l’agence Publica sur la signification des termes guerre culturelle, Ventura dénonce une hégémonie de la gauche sur la culture et indique que les films du studio s’insèrent dans cette logique dans la mesure où ils offrent au public quelque chose qui n’est plus valorisé depuis longtemps. »
Josias Teófilio n’embrasse pas complètement l’idée de guerre culturelle, mais admet que ses films peuvent être utilisé au sein de cette rhétorique.
« J’ai quelques réserves quant à cette idée de guerre culturelle, mais en même temps je remarque qu’elle existe bel et bien, contre moi, contre les films. Et s’affirmer signifie prendre part à cette guerre culturelle, n’est-ce pas ? »
Avec des équipes formées majoritairement par des sympathisants et de élèves d’Olavo de Carvalho, les trois studios de production jonglent avec des thèmes significatifs ardents au sein de cette guerre culturelle prônée par le professeur, tels que l’histoire du Brésil ou la religion. En plus de ces thèmes, les studios reprennent également les propos du professeur, du député fédéral Luiz Philippe de Orléans e Bragança ainsi que du professeur de philosophie et d’histoire Rafael Nogueira.
En désaccord avec le positionnement politique de son studio, Mauro Ventura explique : « nous ne produisons pas la droite, nous produisons du cinéma », et complète : « ceux qui sont imbus de leur savoir et de leur croyance, bien qu’ils réalisent des performances très techniques, influencent leur travail par leur idéologie. L’impartialité totale n’existe pas, mais la sincérité, si. »
Pour Teófilio, ses productions tentent de fuir les idéologies.
« La rhétorique commence par tuer l’art, rare sont les œuvres qui réussissent à survivre à la propagande. Dans le cas de Nem tudo se desfaz, je veux être le plus descriptif possible, « qualifier » le moins possible. Essayer au maximum de donner une expérience au public et non une information. » explique-t-il.
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Contacté par téléphone et par message, Brasil Paralelo n’a pas répondu aux sollicitations de l’Agencia Pública à la date de publication de cet article. Aucune actualisation à ce reportage depuis août 2019.