Pour ceux qui vivent les danses dans la capitale de São Paulo, toutes les promesses - qui allaient de la création d’un festival funk à l’inauguration d’une Fábrica de Cultura [3]- ont été insuffisantes et n’ont pas modifié la manière dépréciative dont le funk est traité par la police militaire et perçu par une partie de la société.
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Vitor Augusto, 20 ans, connu sous le nom de MC [4] Vitin de la DZ7, était au bal, qui porte désormais son nom de scène, le jour de l’intervention de la police : « On ‘mettait le feu’ au bal, et on ne savait pas ce qui s’était passé cette nuit-là. Je me souviens juste que ma mère m’a appelé, pour savoir si j’étais vivant ou non », dit-il.
MC Vitin da DZ7, originaire de Paraisópolis, est dans le mouvement funk depuis 2015 et compte désormais plus de 400 000 fans mensuels sur Spotify. Il est membre du Club de la DZ7, l’une des principales productrices de musique de la communauté. Désormais, l’ancien squatter vit exclusivement de la musique.
"Mon éducation est venue du funk, personne ne me croyait, l’État me considérait comme un marginal. Le funk n’est pas seulement un style musical, il me motive à continuer la lutte".
Ce lien entre funk et marginalité n’est pas un phénomène récent, comme l’explique Thaynah Gutierrez, 23 ans, ancienne étudiante, diplômée en administration publique :
"Je ne pense pas que le gouvernement de l’État PSDB [5], qui a gouverné São Paulo jusqu’à aujourd’hui, n’ait considéré le funk comme une forme de politique culturelle publique."
Thaynah, qui vit à Ermelino Matarazzo, dans la zone Est de la capitale, est maintenant conseillère de projet à Conectas Direitos Humanos [6]. Elle a étudié la dimension politique du funk lors de sa dernière année d’université et s’implique toujours dans le mouvement, que ce soit en soutenant le collectif Nebula Selo ou en assistant aux réunions festives de la banlieue.
S’appuyant sur sa formation en administration publique, Thaynah estime que le funk a du mal à s’articuler collectivement, ce qui finit par créer un problème lorsqu’il s’agit d’exiger des actions. Cependant, elle considère que l’administration de l’État aurait dû faire des propositions auxquelles les mouvements auraient pu concourir.
"Ce dialogue, qui aurait pu connecter des espaces occupés par les amateurs de funks et déboucher sur des politiques culturelles, n’a pas eu lieu entre les espaces que nous occupons en tant qu’amateurs de funk dans l’État de São Paulo", dit-elle.
"L’État ne s’intéresse à nous que lorsqu’il s’agit de la sécurité publique."
En décembre 2019, quelques jours après la mort des neuf jeunes, João Doria a annoncé la création de la Favela Fest, un festival de funk qui se tiendrait au Mémorial de l’Amérique latine. L’idée était d’essayer de créer un espace, en dehors des quartiers, pour se réconcilier avec la partie de la population qui se plaint du bruit des soirées de quartier.
Toutefois, en raison de la pandémie de Covid-19, le projet n’a pas vu le jour. Selon le bureau de presse du Secrétariat de la culture et de l’économie créative, les efforts pour cet événement ont été orientés vers le développement du Museu das Favelas, qui sera inauguré en novembre au Palais Campos Elíseos, dans la région centrale de la capitale.
"Un festival ne répondra pas au besoin que nous avons de prendre du temps libre tous les week-ends, c’est cela la dimension culturelle du funk", dit Thaynah.
"Il n’est pas possible d’arrêter un mouvement qui se déroule sous cette forme depuis tant d’années, depuis que les danses funk ont commencé à être présentes dans et autour de la ville de São Paulo."
"Projet communautaire"
En plus du Favela Fest, le gouvernement de l’État, en partenariat avec la mairie de São Paulo, avait annoncé en 2019 un train d’investissements appelé « Projeto Comunidade », qui allait disposer d’un budget de 250 millions de réaux pour la construction d’espaces dans les régions de Paraisópolis et Heliópolis qui constituent la plus grande favela de la capitale.
Pour Paraisópolis, dans le domaine des loisirs, de la culture et des sports pour, il y avait la promesse de livraison de trois pistes de skateboard, l’implantation de deux terrains de football et l’ouverture d’une Fábrica de Cultura.
Une partie de ces investissements a été réalisée : la Place de la Citoyenneté a été inaugurée en décembre 2020. En plus d’une piste de skateboard et d’une salle de sport, l’espace dispose d’une aire de jeux pour les enfants et d’une école de qualification professionnelle.
La création d’un espace similaire est prévue à Heliópolisl, le Parc de la citoyenneté, où une autre unité de la Fábrica de Cultura devrait être implantée.
Le Projeto Comunidade comptait également sur l’inauguration du parc Paraisópolis, ouvert au public en septembre 2021, et la participation des deux favelas dans le programme culturel Virada. Organisé à nouveau en 2022, l’événement n’a cependant pas pu compter sur les espaces qui avait été promis.
Garder un œil sur les candidats
Le funk n’est mentionné que dans le programme d’un seul des 10 candidats au gouvernement de l’État. Fernando Haddad (PT), cite le Funk à quatre reprises, notamment en promettant de soutenir cette demande en tant que « manifestation culturelle ».
En ce qui concerne les autres candidats les mieux placés selon les sondages, Tarcísio Freitas (Républicains), ne mentionne pas le funk dans ses propositions pour la culture. L’actuel gouverneur de l’État, Rodrigo Garcia (PSDB) [7], indique qu’il fera la promotion de la culture populaire et traditionnelle, mais n’inclut pas spécifiquement le funk.
Kleine Aparecida, 20 ans, étudiante en relations publiques et habituée à fréquenter les réunions festives et dansantes dans la région de Jandira, grand São Paulo, souhaite que le prochain gouverneur ne considère pas le funk comme un simple outil de campagne électorale.
"Nous avons besoin d’espace, d’investissements et de sensibilisation à notre propre histoire qui a constamment été effacée ou racontée par des personnes qui nous traitent comme des bourreaux."
Pour elle, le prochain gouverneur doit investir dans « des événements décentralisés qui s’adressent directement à la périphérie », et souligne que l’État doit reconnaître la pertinence du funk. « Que le nouveau gouverneur promeuve des événements au sein des favelas et s’assure de ne laisser personne en rade ! »
En l’absence de propositions, les garçons et les filles qui rêvent de vivre du funk ont créé leur propre approche. Edson Souza, 24 ans, connu sous le nom de MC Vigarista, tout comme Vitin, membre du club DZ7, en est un exemple.
"Les politiciens doivent se rendre compte de l’importance de ce mouvement et j’espère que les [prochains] se pencheront sur la culture des favelas, sans violence et avec plus de respect."
Ce « funkeiro », qui compte plus de 4 millions de vues sur YouTube et plus de 200 000 auditeurs mensuels sur les streamings, affirme que grâce à son travail, il a conquis ce qui, pour de nombreux habitants des périphéries, est un rêve presque lointain, celui d’accéder à la propriété. « Grâce au funk, j’ai conquis mon premier appartement, ma vie a changé », dit-il.
De manière indépendante, les producteurs culturels ont créé leurs propres espaces pour la promotion de la culture funk. Lenon Farias, 25 ans, est l’un des responsables du collectif Revoada Funk, à Jardim Ibirapuera, dans le sud de São Paulo.
« Revoada Funk n’est rien d’autre que la communion de garçons et de filles qui produisent leurs textes depuis longtemps sur les bidonvilles dans un collectif qui propose de renforcer, en s’appuyant sur la structure du mouvement culturel, le travail de ces artistes qui bien souvent doivent se débrouiller tout seuls », explique Lenon.
Cette activité existe depuis 2021 et elle a déjà permis à 30 MC’s de toute la capitale de promouvoir des cercles de conversation, des ateliers de passinho [8] et des battles . Pour l’instant, le collectif n’a reçu un appui financier que par le biais du programme VAI (Valorisation d’Initiatives Culturelles) et est en train de faire la promotion de deux artistes et d’un documentaire sur la trajectoire du projet.
« En construisant Revoada, nous comprenons que ces ressources limitées et ce manque d’investissements influencent la façon même dont les MC’s, les producteurs et les DJ’s entrent en relation les uns avec les autres », commente-t-elle.
Kleine, l’étudiante en relations publiques de Jandira, affirme que, bien au-delà de la diversion et des loisirs, le funk ouvre de nouvelles voies à ceux qui viennent des périphéries. « Elle permet à de nombreux jeunes des périphéries de rêver d’une vie meilleure, loin de la pauvreté et de la violence. »