Espoir, audace et détermination : les vertus dont nous avons besoin

 | Par Cândido Grzybowski

5 septembre 2016
Cândido Grzybowski, sociologue, directeur d’Ibase
Traduction pour Autres Brésils : Anne-Laure Bonvalot
Relecture : Marion Daugeard

Photo : Carta Maior

Une fois le difficile coup d’État consommé, la seule solution pour ne pas plier est de regarder devant soi. Ce dont nous avons le moins besoin en ce moment, c’est de craindre le gouvernement. Il est, par définition, composé d’un président bionique, qui a un programme, mais sans la légitimité du vote. Voilà pourquoi nous sommes devant un gouvernement qui, à travers ses propositions et ses actions, met plus que jamais en évidence la crise de notre processus de démocratisation. Il renvoie au vieil ordre anti-démocratique du gouvernement des “maîtres”, par la loi ou par la force, et à une définition du progrès basée sur l’exploitation et l’exclusion sociale, ainsi que sur la destruction systématique des territoires et des ressources naturelles. Nous butons sur la résilience de nos structures sociales rétrogrades, nullement démocratiques, où le privilège se confond avec le droit de citoyenneté. Il nous faut nous réinventer en tant que sujets citoyens et citoyennes, et travailler ensemble à la grande tâche de refonte de la démocratie.

D’une attitude craintive nous n’avons pas besoin, mais nous devons nous préparer à faire face aux nombreuses difficultés qui nous attendent. Il s’agit d’un gouvernement qui est venu entraver un processus politique contradictoire, encore balbutiant, d’émancipation sociale de la grande majorité jusqu’alors condamnée à la misère et à l’exclusion. Les réformes structurantes en vue d’un nouveau Brésil ont fait défaut. Il nous faut rappeler ici une vérité : quand nous en avons eu l’occasion avec les gouvernements du Parti des Travailleurs (PT), nous n’avons pas fait les transformations nécessaires en termes de distribution de la richesse – réforme agraire, réforme urbaine, réforme fiscale, etc. –, qui auraient pu modifier les conditions historiques essentielles à l’avancée vertueuse de la démocratie. Nous allons désormais payer pour ces erreurs de stratégies d’un « lulisme » timidement réformiste, comme l’a bien défini André Singer.

Ce qui est fait n’est plus à faire. L’important est de regarder devant soi, ici et maintenant. La première et la plus urgente des tâches qui nous incombent est de construire des tranchées de résistance pour entraver le détricotage de la conquête des droits constitutionnels, aujourd’hui remise en question. Dans notre Congrès National, où sont représentées des fédérations d’intérêts particuliers plutôt que la diversité citoyenne, tout peut arriver, même le néant ! C’est le Congrès le plus illégitime et le plus corrompu de tout le récent processus de redémocratisation. Mais il détient le pouvoir légal, au point de révoquer Dilma Rousseff et de ne pas condamner Eduardo Cunha, si l’on en croit les signes actuels.

Ces tranchées de citoyenneté ont du sens dès lors que les gens croient qu’il est possible de changer les choses. Il est urgentissime de recommencer à rêver d’un autre Brésil, d’une autre société, d’un autre monde. Le gouvernement Temer est une espèce de grand gérant au service de la globalisation néolibérale, des grandes corporations économiques et financières, plus rentières que productivistes, qui dominent, ici et dans le monde entier. Il nous revient de montrer à quel point ce gouvernement est contrôlé par des intérêts qui n’ont rien de brésilien, œuvrant en dernière instance contre une société de bien et contre sa base naturelle. Pour ce faire, nous devons rêver les rêves les plus beaux, analyser et argumenter, débattre des projets et des programmes. Enfin, nous devons montrer une autre manière de vivre et d’agir, entre nous, mais aussi de par le monde.

L’œuvre de reconstruction de la démocratie se fera, littéralement, pas à pas. Il nous faut reconnaître que les grands projets sont en crise, les sujets collectifs fédérateurs sont en crise, les espaces de débat politique démocratique subissent de grandes transformations (sous l’influence des nouvelles TICs) et constituent de nouveaux défis, comme les réseaux sociaux : les partis et toutes les formes de représentation de la politique sont en crise et doivent être réinventés. Face à un tel contexte, le risque est de rester paralysés dans l’attente de quelque chose qui peut aussi bien ne jamais arriver. La conjoncture aura beau être dure, évaluons, à partir de nos tranchées citoyennes, toutes les brèches de l’agir, tous les espaces.

Autrement dit, il nous faut mettre les pieds dans le plat et sortir la tête de l’eau. Sans se décourager. Cela va être difficile, mais pas impossible. Joignons nos capacités et nos énergies pour que l’impossible devienne possible. Les temps difficiles qui nous attendent ne sont pas seulement des temps de destruction : ils peuvent représenter des occasions de rupture et de recherche de nouveaux chemins.

Le plus important est de garder présent à l’esprit qu’il nous faut immédiatement construire un nouvel imaginaire inspirant, mobilisateur et fédérateur, faisant de groupes concrets les sujets d’un projet commun. De mon point de vue, cela serait plus facile si nous mettions nos biens communs et nos droits de citoyenneté au centre de tout, comme référence sine qua non, nous guidant toujours à l’aune des grands principes et des valeurs éthiques de la démocratie substantielle et radicale : la liberté, l’égalité, la diversité, la solidarité et la participation. Il s’agit d’une révolution culturelle, de l’élaboration collective d’un projet fédérateur autour d’un Brésil tourné vers le bien-vivre et la durabilité socio-environnementale, et qui inclue tout le monde sans exception. Biens communs et droits de citoyenneté appartiennent à toutes et à tous ou ne sont pas. C’est pourquoi les mettre au centre de notre tâche de reconstruction démocratique d’une société du bien-vivre implique de nous libérer de la logique perverse imposée par le règne du marché et de l’accumulation privée des richesses, que détruisent et dépossèdent. Plus d’attention, plus vivre-ensemble, plus de partage des territoires sur lesquels nous vivons et moins de recherche effrénée du succès individuel, en vue d’avoir toujours plus de biens de consommation.

Pour être fédérateur et mobilisateur, ce projet de reconstruction doit traduire la dense diversité qui est la nôtre, nos identités collectives, nos rêves et nos désirs, nos réalisations. La force créatrice capable d’insuffler un nouveau dynamisme à la démocratie peut jaillir de la manière dont nous organisons nos territoires de citoyenneté, nos biens communs immédiats et vitaux, du Nord au Sud, d’Ouest en Est – enfin, de manière horizontale. Les émergences et les résurgences de la citoyenneté dans des territoires concrets, une fois connectées, peuvent gagner la force d’une vague irrésistible, définissant les chemins et les caps de l’action démocratique transformatrice. Au sein de ce processus, nous pouvons gagner en capacité d’organisation, de participation et d’incidence politique, et conquérir de nouveaux droits et de nouvelles politiques.

J’énonce ici quelques éléments, mais un vrai projet ne pourra se faire qu’au travers de l’élaboration collective. Le fait est qu’il est urgent que nous nous dressions, que nous regardions devant nous et que nous ouvrions la voie. En tant que membres des forces politiques démocratiques de la gauche radicale, nous sommes, certes, blessés, désorientés et divisés. Mais nous devons dépasser le plus vite possible cette configuration difficile. Les élections municipales qui ont lieu en ce moment sont une confusion supplémentaire, dont nous ne pourrons pas tirer grand-chose de stratégique en termes de reconstruction. Les chemins se font en marchant. Les possibilités dépendent de circonstances que nous ne contrôlons pas. Mais notre volonté politique, déterminée et audacieuse, d’extraire les possibilités des occasions qui se présentent, ou l’ouverture de notre chemin au vent d’une nouvelle vague démocratique, pourront signifier de longues années de reculs politiques dans notre pays.

Voir en ligne : Ibase

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