Entretien avec Luiz Eduardo Greenlagh : « Il y a encore des traces claires de la dictature dans la société brésilienne »

 | Par Marilza de Melo Foucher

Source : Correio do Brasil, 02/04/2014
Entretien réalisé par Marilza de Melo-Foucher, journaliste, Docteur en économie, spécialiste du développement intégré et solidaire.

Il est impossible de dissocier ce brillant avocat brésilien de la conquête des droits démocratiques de la République au Brésil. Il a été un combattant inlassable de l’état de droit, ardent défenseur de cette jeune démocratie. Il a assuré tout au long de ces années, la défense des dirigeants politiques et syndicaux qui ont été persécutés, emprisonnés, torturés et de beaucoup de disparus. Luiz Eduardo Greenhalgh a participé à la fondation du comité Brésil Amnistie. Il a également été l’un des coordinateurs du projet "Brasil Nunca Mais" pour dénoncer tous les crimes commis pendant la dictature. Il a été adjoint au maire de la ville de São Paulo (1989-1993) dans le gouvernement d’Erundina Luiza de Souza. Il a été pendant quatre mandatsn député fédéral de l’état de São Paulo.

Luiz Eduardo Greenhalgh croit au processus de démocratisation de l’Etat brésilien

A l’occasion de ces 50 ans du coup d’État militaire, comment analysez-vous aujourd’hui le processus de démocratisation au Brésil ?

Je vois le processus de démocratisation du Brésil comme très sinueux. Avec des progrès et des reculs. Des progrès dans le développement social et des reculs dans la conscience sociale de la population. Des exemples de ce recul : le résultat du référendum sur le statut de désarmement, les propositions insistantes de réduire l’âge de la responsabilité pénale et l’augmentation du nombre de citoyens favorables à la peine de mort. L’impression que j’ai, en ce moment, est qu’il souffle sur le Brésil un vent conservateur, voire réactionnaire.

Tout au long de ces années le processus de démocratisation au Brésil a-t’il forgé un Etat de droit ?

Le processus de démocratisation que nous avons au Brésil a forgé un état de droit avec des institutions en crise, avec pour résultat une distorsion de ces fonctions. Un exemple : le pouvoir judiciaire légifère sur des questions fondamentales, usurpant en quelque sorte, la fonction constitutionnelle et normale du pouvoir législatif. Cela se fait par des actions judiciaires inconstitutionnelles. À mon avis, cette inversion de rôles est en train d’augmenter au Brésil, avec la politisation du judicaire et la “judiciarisation” de la politique. En outre, l’exécutif a exacerbé les obstacles juridiques qui finissent par éclipser ses actions et les rendre de plus en plus dépendantes d’arrangements avec le législatif et le judiciaire. Malgré ces distorsions, nous construisons un État de droit : augmentation de la reconnaissance des droits des exclus, des femmes, des enfants, des noirs, des indiens, des homosexuels etc., etc. En ce sens, il y a effectivement, de part du gouvernement brésilien une plus grande préoccupation pour la légitimité des droits de ces groupes.

Votre biographie est liée à la défense des disparus pendant la dictature militaire. Pourquoi aujourd’hui les militaires ne permettent-ils l’accès à leurs archives ?
 
En ce qui concerne la question des personnes disparues il faut noter les particularités du processus brésilien. En premier, l’amnistie a été conquise sous le régime militaire (28 Août 1979). Ainsi, d’un côté l’amnistie a été une conquête démocratique, résultat d’une lutte concrète des secteurs actifs contre la dictature militaire (avocats, familles, journalistes, artistes, intellectuels, étudiants, travailleurs, religieux etc.), D’autre part, le fait qu’elle ait été adoptée pendant la durée du régime, a permis à l’armée la possibilité d’inclure dans la loi d’amnistie un article à leur bénéfice, permettre l’amnistie de ceux qui ont commis des crimes liés à des crimes politiques. Cela équivaut à une auto amnistie. Et ainsi d’échapper à la responsabilité des tortionnaires et des assassins membres de l’appareil de répression militaire-policier du régime. 

Cependant, comme nous le savons, la disparition forcée de personnes est un crime permanent et ne cesse que lorsque la personne est retrouvée ou son cadavre. Pendant ce temps aucune prescription ne court. D’autre part, la torture est un crime imprescriptible non susceptible d’amnistie, de grâce par la constitution fédérale elle-même. 

Ainsi, il en résulte que les responsables de la torture, des meurtres et des disparitions des persécutions politiques pendant le régime militaire ne sont pas exemptés de poursuites pénales. C’est pourquoi les militaires s’efforcent de dissimuler des informations sur leurs responsabilités pendant cette période.

Pourquoi aucun évènement n’est organisé pour célébrer la démocratie et réaffirmer : la dictature « Nunca Mais » ? Aujourd’hui, nous assistons au retour en force de l’aile droite réactionnaire occupant la rue par des manifestations. Existe-t-il un risque de coup d’Etat au Brésil ?

Je pense qu’il n’y a pas un événement national pour célébrer la démocratie brésilienne, car elle n’a pas été conquise à un moment précis. Elle a été conquise progressivement. Premièrement l’amnistie, suivie par l’assemblée nationale constituante, la réorganisation des partis. Puis les élections directes jusqu’à permettre d’élire comme président un ouvrier et une ancienne prisonnière politique. Il y a sans doute, à mon avis, une avancée de la droite réactionnaire au Brésil (d’ailleurs, phénomène également de plus en plus international), et même si il n’y a pas d’espace pour une célébration du type « la dictature plus jamais » il n’y a pas d’espace, non plus, aujourd’hui, pour un nouveau coup d’Etat militaire - bien que la droite réactionnaire occupe l’espace public avec ses manifestations. C’est inquiétant, mais je crois qu’en ce moment la droite réactionnaire accumule des forces. 
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de risque de coup d’état au Brésil. Il suffit de regarder l’histoire du Brésil pour voir que nous sommes marqués par les coups d’état. Nous devons donc aller de l’avant avec un œil sur les avances démocratiques et un autre sur les faiseurs de coups d’Etat bien connus.

Quel message voudriez-vous donner à la génération qui est née après 1964 ?

Le message que j’essaie de passer à la génération post 64 est de ne pas oublier ce que nous avons vécu de 64 à 85.
 
Je suis impressionné par la profonde méconnaissance de la dictature militaire par la nouvelle génération. La méconnaissance peut souvent amener à des désengagements avec l’histoire. 
 
C’est pourquoi, je cherche toujours à faire des conférences, où je rappelle des épisodes, critique la Loi de Sécurité Nationale, je parle du mouvement pour l’amnistie, des témoignages sur la torture, les meurtres et les disparus politiques. Avec la conviction que rappeler c’est vivre, vivre c’est apprendre et apprendre c’est ne pas oublier.

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