En Amazonie, le travail communautaire comme moyen de lutte contre l’orpaillage

 | Par Agência Amazônia Real

Dans cet article, nous montrerons qu’un travail communautaire en profondeur, s’appuyant sur des organisations locales et des leaders engagés en faveur des forêts, est l’arme principale pour empêcher l’avancée de l’exploitation minière en Amazonie. Pour pénétrer dans une rivière, l’exploitation minière a besoin de la connivence des habitants locaux, de telle sorte que, sans bénéficier de l’appui de ces populations, les mineurs ne trouvent pas les moyens de mener à bien leur activité. L’orpaillage à grande échelle est nécessairement incompatible avec une économie communautaire durable, car il entraîne la destruction de la rivière elle-même.

Par Hugo Loss et Manoel Cunha, spécial Amazônia Real.

Traduction de Roger Guilloux pour Autres Brésils
Relecture : Martina Maigret

Aujourd’hui l’exploitation minière en Amazonie se développe de manière systématique et selon une méthode très précise. Lorsque l’on parle de stratégie d’implantation des garimpos [1], on comprend que leur insertion ne se fait pas au hasard, mais de manière organisée et planifiée. Il n’est plus possible aujourd’hui de penser que l’activité minière, par ailleurs illégale, se déroule sans planification et sans stratégies très bien définies. L’exploitation minière illégale dans la région amazonienne requiert d’énormes ressources matérielles et un tel investissement ne peut se concevoir sans perspective de retour sur investissement. Par conséquent, l’activité doit être organisée, planifiée et exécutée méticuleusement.

Parmi les différentes approches concernant l’introduction du garimpo en Amazonie, nous soulignons ici l’une de ses composantes essentielles, la cooptation communautaire. D’une certaine manière, tous les rivières amazoniennes sont occupées, dans une plus ou moins grande proportion, par des populations qui y développent leurs activités productives et culturelles de manière communautaire et ceci, à travers leurs organisations locales. En conséquence, pour que l’exploitation minière pénètre dans les rivières occupées par ces communautés, le racolage et la cooptation sont les moyens utilisés auprès des habitants de ces communautés.

La cooptation est clairement visible dans plusieurs garimpos de l’Amazonie. Les équipes d’inspection environnementale sont souvent reçues de manière hostile par les communautés locales lorsque celles-ci sont impliquées dans l’exploitation minière. Les manifestations, les barrages routiers contre la venue des inspections environnementales ou même le soutien direct à des activités criminelles telles que la couverture des personnes impliquées et la facilitation de l’accès aux lieux et aux ressources nécessaires à l’exploitation minière, sont fréquents.

La destruction des rivières entraîne également la destruction du mode de vie de la communauté. La destruction progressive de la rivière par l’exploitation minière entraîne avec elle la destruction de toutes les alternatives productives jusqu’à ce que seule subsiste l’exploitation minière. En détruisant la rivière, l’exploitation minière élimine tout l’horizon de possibilités d’existence et se présente alors comme la seule alternative pour la survie des communautés. La rivière est un lieu d’approvisionnement en nourriture et en eau, un moyen de transport et un lieu de loisirs. En détruisant la rivière, toutes les activités qui en dépendent sont détruites et la seule alternative qui reste aux communautés pour leur existence est de rejoindre les mines. Et c’est ainsi que l’exploitation minière illégale veut se présenter en Amazonie, comme étant la seule alternative de revenus et de travail, éliminant la diversité et la production communautaire.

Ne se contentant pas de contaminer les rivières, l’exploitation minière contamine également les mentalités et l’esprits des gens. Le garimpo retire aux hommes et aux femmes tout ce qu’ils ont et ne leur offre en échange que l’illusion de la richesse. Au lieu d’une vraie vie en contact avec la forêt et permettant une production qui génère réellement des revenus, l’exploitation minière n’offre que l’illusion et la cupidité.

L’exploitation minière est donc une activité totalement incompatible avec une économie durable. Par conséquent, plus les activités productives des communautés sont développées, plus leurs organisations locales sont solides et plus il sera difficile de mettre en place une exploitation minière.

A titre d’exemple de ce qui peut se faire, nous avons trouvé un cas où la communauté elle-même et ses organisations locales, représentées également par leurs dirigeants, a cherché à stopper l’avancée de l’exploitation minière sur ses territoires. Il s’agit de la tentative d’invasion du Juruá moyen par une drague minière en novembre 2022. (voir Balsa de garimpo invade o Juruá, área mais preservada da ...).

Dans ce cas, c’est la communauté elle-même qui, par le biais de ses organisations et de ses dirigeants a articulé avec les organismes de l’État, l’expulsion de l’entreprise aurifère. Cela n’a été possible que parce qu’il existait déjà dans ces communautés, une économie communautaire forte, basée sur les produits forestiers, l’extractivisme ainsi qu’une bonne gestion des ressources.

Dans le Juruá moyen, les entreprises aurifères sont arrivées avec une grande drague scarificatrice [2]. Elles ont remonté la rivière depuis l’embouchure du Juruá jusqu’aux limites entre les municipalités d’Itamarati et d’Eirunepé, dans l’État d’Amazonas, là où la drague a été détruite par les services de contrôle de l’environnement. C’est la première fois que l’on constate la présence d’une drague dans le Juruá moyen.

Grâce à une intervention très bien coordonnée de la part de la communauté, il a été possible à l’équipe de protection de l’environnement d’entrer dans la rivière. Sans le soutien des communautés, il aurait été très difficile de mener à bien cette action. Il est fort probable que les organismes de contrôle n’auraient découvert la présence de la drague qu’après qu’elle ait causé d’importants dégâts sur cette rivière, car ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle aurait été observable sur les images satellites et que l’alerte minière aurait pu être donnée. Les communautés ne se sont pas contentées de dénoncer la présence de la drague, elles ont offert du carburant, des bateaux, de la nourriture et tout le soutien nécessaire pour que la drague soit détruite dans la rivière Juruá, les libérant ainsi du garimpo.

Dans le Juruá moyen, il existe deux unités de conservation pratiquant l’utilisation durable des sols [3], il s’agit de la réserve extractive (Resex) du Juruá moyen et la réserve de développement durable (RDS) Uacari. Les populations qui vivent le long de la rivière Juruá organisent une série d’activités communautaires productives telles que la pêche raisonnée du pirarucu [4], l’extraction de l’andiroba, du muru-muru [5], du caoutchouc et de divers autres produits forestiers.

Le Juruá moyen était une région historiquement occupée par les barons du caoutchouc qui avaient soumis la population à un système d’esclavage. Au milieu des années 1980, le Mouvement d’éducation de base (MEB), lié à l’Église catholique, a initié un travail de conscientisation des droits et des devoirs de la population du Juruá moyen. Cela a favorisé le renforcement des capacités des communautés, les aidant à créer leurs propres organisations, l’Association des producteurs ruraux de Carauari (ASPROC), par exemple, dont l’objectif premier était de libérer la population de la domination des barons du caoutchouc.

A l’époque, la libération de la population du joug de ces entrepreneurs passait également par l’organisation productive. Alors même que cette organisation se consolidait, les entrepreneurs se sont également organisés en « suspendant » le droit des récolteurs de latex à pénétrer sur les sites d’extraction. Concrètement, ils ont interdit à tous ceux qui avaient rejoint l’ASPROC de continuer à récolter le latex, leurs droits ayant été « suspendus ». Au début des années 1990, en raison de cette situation, la lutte de la population s’est orientée vers l’obtention du droit au territoire et la demande de création de la Resex du Juruá moyen. Leur demande a été déposée auprès des autorités compétentes. Après ce processus, les Unités de conservation ont été créées.

La lutte pour la consolidation des chaînes de production, mise en place à cette époque, se poursuit. Actuellement, toute la production est organisée et réalisée par les communautés par le biais des associations ou de la coopérative. La Coopérative d’économie mixte du Juruá moyen commercialise les huiles végétales ; les autres productions (caoutchouc, pulpe de fruits, açaí, poisson conditionné, farine de manioc, pastèque, pomme de terre, …) sont commercialisées par l’ASPROC.

Il existe donc des filières de production organisées et autonomes sur le territoire du Juruá moyen. La conséquence de ceci est que la communauté n’a pas besoin d’échanger ces atouts contre quoi que ce soit, pas même de l’or. Les communautés et leurs organisations locales veulent maintenir ce système productif qu’elles maitrisent bien, qui est à la fois plus durable et garant de stabilité pour les générations actuelles et futures.
Dans le cas de l’intervention sur du garimpo du Juruá moyen, il est possible d’observer comment l’organisation de la communauté a fonctionné. La population a constaté la présence de la drague, elle en a informé les directeurs des organisations locales et ceux-ci ont réuni un ensemble de partenaires qui ont fait appel aux institutions responsables et ont apporté un soutien sans faille aux services d’inspection. On constate que le même système d’organisation productive a également été activé pour protéger le territoire. Au cœur de ce dispositif on trouve donc la production et l’organisation de l’activité productive.

Un tapis roulant pour la rétention des particules d’or dans une drague saisie sur le Juruá (Photo : Hugo Loss)
Nées de la lutte pour la défense de leurs droits face aux barons du caoutchouc, les organisations communautaires de la région du Juruá moyen luttent aujourd’hui contre les entreprises aurifères pour éviter d’être à nouveau asservies, car ces dernières détruisent tout, ne retenant, comme seule activité possible que la recherche de l’or.

Selon les membres de la communauté, lorsque ces entreprises ont envahi le Juruá avec une drague, elles ont offert à la population locale des paniers alimentaires de base et autant de carburant qu’elle le souhaitait. L’équipe d’inspection environnementale a même identifié un moteur installé sur un petit radeau d’orpailleur. Celui-ci était utilisé par un habitant de la région qui a déclaré que le moteur lui avait été donné par un membre de l’entreprise. Dès lors que le système productif de ces communautés est très efficace, qu’il génère des revenus suffisants pour ses membres et qu’il est encadré par les organisations telles que les associations, les orpailleurs n’ont aucune chance de s’y installer, quelque soient les techniques de manipulation qu’ils peuvent utiliser. Car le prix à payer pour l’installation de l’exploitation minière dans la région serait la destruction des activités productives.

Le fait est que, en dépit de toutes les tentatives de cooptation et d’embrigadement, il existe, dans le bassin du Juruá moyen, une économie communautaire et des organisations solides. C’est ce qui a amené les dirigeants locaux et la plupart des résidents à comprendre que l’orpaillage est davantage une menace pour leur existence qu’une opportunité.

Heureusement, les forces de l’ordre ont été sollicitées à temps, avant que la rivière ne soit détruite et que le garimpo n’ait pris racine. Les organismes ont donc effectué leur travail en se rendant sur place et en mettant fin aux dégâts et la communauté a également joué son rôle en dénonçant cette initiative et en servant d’appui à l’action de la police.

Dans le bassin du Juruá moyen, les entreprises aurifères sont arrivées avec une grande drague équipée de scarificateurs. La méthode employée pour tenter de séduire les membres de la communauté était très claire. La distribution de paniers alimentaires de base et de carburant ainsi que la tentative de transformer un habitant de la rivière en mineur, lui offrant un moteur pour travailler, tout cela montre bien que l’activité minière ne s’arrête pas seulement à la destruction de l’environnement physique, des rivières et des forêts par exemple, mais qu’elle a aussi et surtout un fort biais socio-économique, détruisant le mode de vie communautaire, les organisations et la production durable.

On comprend donc que, pour freiner l’exploitation minière en Amazonie, il est essentiel de consolider les productions communautaires en s’appuyant sur des organisations fortes. Elles sont le principal moyen permettant de contrer l’exploitation minière. C’est pourquoi il est important d’apporter une aide aux communautés permettant de consolider leur production et leur organisation et d’éviter qu’elles se retrouvent dans le besoin, condition sine qua non pour ne pas les rendre plus vulnérables à la cooptation.
En ce qui concerne la réhabilitation des zones déjà dégradées par le garimpo, il est nécessaire de penser non seulement à la réparation des dommages directs causés aux rivières, mais aussi - et de toute urgence - à ceux qui ont déjà été causés aux populations aujourd’hui piégées par l’extraction de l’or comme seule activité possible. Il faudra leur garantir des alternatives pour qu’ils puissent vivre dignement.


  • Hugo Loss est analyste environnemental et contrôleur à l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama).
  • Manoel Cunha est récoltant de latex, gestionnaire, leader communautaire et responsable de l’ICMBio dans la réserve extractive du Juruá moyen, en Amazonie.

Voir en ligne : Fortalecimento da produção comunitária como forma de combate ao garimpo na Amazônia

En couverture : La Réserve Extrativiste du Médio Juruá, à Carauari, dans l’État du Amazonas
Photo : André Dib/Instituto Juruá

[1Garimpo : terme utilisé pour indiquer le lieu où se pratique l’orpaillage. Au cours de ces dernières années la pratique artisanale a laissé place, en bonne partie, à l’arrivée d’entreprises disposant de grands moyens financiers.

[2Le système de scarification utilisé se compose d’une couronne rotative qui a pour but de détruire les fonds de rivières, de lacs, etc., là où le système conventionnel ou le système de pompe à injection ne peut pas percer ces fonds.

[3Les unités de conservation pratiquant l’utilisation durable des sols sont des zones naturelles dont l’objectif est de rendre compatible l’utilisation durable des ressources naturelles locales et la conservation de la nature.

[4Gros poisson d’eau douce de la famille des osteoglossidés, vivant en Amazonie.

[5Espèce de palmier à feuilles pennées.

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