Élue députée fédérale pour le PSOL du Minas Gerais avec 101 154 000 voix, Célia est une femme autochtone du Cerrado [2]. Depuis toute petite, elle se bat aux côtés des peuples autochtones, mais aussi des autres populations traditionnelles de ce biome déjà détruit à 50%, alors qu’il est le berceau des eaux brésiliennes. Il n’y a pas de noms plus poétiques que ceux des communautés du Cerrado [3]. : outre les quilombolas et les autochtones, les paysans et les pêcheurs, il y a les « quebradeiras » (casseuses de coco-babaçu), les « raizeiras » (celles qui soignent par les plantes médicinales), les « geraizeiras » (population traditionnelle connue en tant que gardienne du Cerrado), les « fecho do pasto » (communautés vivant en harmonie avec la biodiversité du Cerrado), les apanhadoras de flores sempre-vivas, (cueilleuses de fleurs immortelles), les « benzedeiras » (celles qui bénissent en vue de guérir), les « retireiros » (ceux qui s’occupent du bétail), les « vazanteiras » (habitants des rives du fleuve São Francisco), les « veredeiros » (habitants de « Veredas » espace de végétation entouré d’eau dans les basses terres du Cerrado), les vacarianos (habitants des rives du fleuve Vacaria), les « caatingueiros » (habitants de la caatinga qui est un biome brésilien avec un climat semi-aride) , entre autres. Chacune de ces communautés est un monde connecté à tous les autres. Et tous ces mondes communautaires sont menacés d’extinction, tout comme l’écosystème auquel ils appartiennent et qui est dévasté par l’agronégoce prédateur et les grandes sociétés transnationales. En septembre 2022, le Tribunal permanent des peuples a condamné l’État brésilien pour écocide du Cerrado et génocide de ses peuples.
Célia Xakriabá, la femme qui arrive au Congrès brésilien pour, comme elle le revendique, défendre la Terre, est fille de son ancestralité et de la lutte pour la vie dans l’un des paysages les plus fascinants du Brésil. Pour cette lutte, elle a fait grève de la faim et a dormi sous l’un des piliers modernistes d’Oscar Niemeyer (1907-2012) du Palais du Planalto. Elle a lancé sa campagne électorale à l’endroit exact où s’est déroulé, en février 1987, dans le Nord du Minas, un massacre qui a marqué le peuple Xakriabá ; celui des leaders Rosalino Gomes de Oliveira, Manuel Fiúza da Silva et José Pereira Santana, assassinés pendant leur sommeil.
Célia Xakriabá a reçu l’équipe SUMAÚMA le 3 janvier au Ministère des Peuples Autochtones. Elle a assisté à l’investiture du président Luiz Inácio Lula da Silva, à celles de ministres en phase avec les causes autochtones et climatiques, a fait résonner son chant et sa poésie lors de la première journée de travail informelle de Joênia Wapichana à la présidence de la FUNAI et a aidé la ministre Sonia Guajajara à recevoir les proches qui arrivaient de tout le Brésil avec des demandes et des curiosités sur le nouveau ministère. Célia sait le pouvoir de l’instant. Et sa délicatesse : les autochtones occupent enfin le pouvoir central à des postes stratégiques - et les protagonistes sont des femmes. La nouvelle députée fédérale est l’une des fondatrices de l’Articulation nationale des femmes autochtones guerrières de l’ancestralité (ANMIGA), créée pour faire face à la violence de genre, une question qui recoupe la lutte pour la terre et pour le climat.
Dans cette interview, Célia Xakriabá incarne la différence entre la politique autochtone et la politique conventionnelle. Sa différence est déjà dans la langue - et rien ne change en profondeur sans un changement dans la langue. La poétique de Célia est une sorte de gourdin. Sa mode vestimentaire est ancestrale et non annuelle, comme elle l’explique. Sa tenue est un geste politique.
La parole est à la « parentissima ».
SUMAUMA :
Qui est Célia Xakriabá et que peuvent attendre le Brésil et le monde de l’une des plus jeunes parlementaires autochtones de la planète ?
CELIA XAKRIABÁ : Je suis Célia Xakriabá, du peuple autochtone Xakriabá, du biome du Cerrado, de cette force qui vient de racines profondes. Le territoire du Cerrado, le biome du Cerrado, où vivent plus de 70 peuples autochtones. Le biome du Cerrado est présent dans plus de 11 États brésiliens et a pour référence, dans le Nord du Minas Gerais, le peuple Xakriabá, qui constitue la plus grande population autochtone de l’État. Je suis également membre de l’Articulation nationale des femmes autochtones, cofondatrice de l’Articulation nationale des femmes autochtones guerrières de l’Ancestralité (ANMIGA), et je suis maintenant la première députée fédérale autochtone de l’État de Minas Gerais, rompant avec le racisme de l’absence. En tant que plus jeune députée autochtone de la planète, j’ai un engagement envers la plus vieille femme de l’humanité, qui est la Terre.
Comment était-ce d’accompagner Raoni montant la rampe avec Lula ?
C’était très émouvant pour moi d’assister à la cérémonie d’investiture de Lula, parce qu’avant cela, la première et la dernière fois que j’étais au Palais, c’était pour l’avant-dernière rencontre nationale des peuples du Cerrado. J’y avais passé toute la journée et toute la nuit, dormant contre le pilier situé sous le Palais, faisant grève de la faim en soutien à la création de la Réserve de développement durable Nascentes dos Gerais.
C’était très émouvant pour moi de retourner dans les territoires pendant la campagne ; de rencontrer des gens me tapotant l’épaule disant :
"Je me souviens de toi pendant cette grève de la faim ; beaucoup partaient à cause du froid, on n’avait jamais vu un froid pareil à Brasília, beaucoup de gens partaient , mais pas toi. Et ce n’était pas spécialement pour ton peuple, c’était une mobilisation des communautés geraizeiras, et tu étais la seule fille, la seule femme à rester là".
Comment vous préparez-vous à affronter un Congrès majoritairement masculin et blanc ?
Alors que Sonia était encore au Congrès, on me demandait déjà :
"Qu’est-ce que deux femmes autochtones peuvent faire dans un Congrès national de 513 membres ? Ce à quoi je répondais : "Nous sommes moins de 1% de la population brésilienne, nous sommes 5% de la population mondiale et nous protégeons plus de 80% de la biodiversité. Ce n’est pas toujours la majorité qui fait mieux. Nous sommes une minorité, qui améliore un pays, une planète. Au Planalto, nous le ferons pour la planète".
Et quand on me dit : "Mais vous avez beaucoup moins de vécu du Congrès national. C’est une véritable cage aux lions". Je réponds :
"Qu’est-ce qu’un lion pour nous qui sommes des jaguars ? Nous connaissons bien le territoire. Et nous avons peut-être moins de vécu du Congrès national, nous avons peut-être moins de vécu en tant que ministre, nous avons peut-être moins de vécu en tant que secrétaire à la Santé, nous avons peut-être moins de vécu en tant que président de la FUNAI, mais nous avons beaucoup plus de vécu du Brésil. Nous l’avons dit au président Lula lors de la COP27 [4], si le Brésil n’a pas perdu son importance internationale en matière d’environnement, c’est uniquement parce que nous étions ministres de l’Environnement.
Le Congrès national a une salle verte, mais c’est une salle verte déboisée. Nous sommes venues la reboiser avec nos idées, avec nos convictions. Nous sommes peu nombreuses, mais nous ne venons pas seules. Nous comprenons qu’il s’agit d’un tournant pour le Brésil. C’est un tournant pour l’humanité. Et l’humanité doit comprendre notre responsabilité.
Lorsqu’on délimite un territoire autochtone, c’est l’occasion de disposer d’eau à boire. Quand on délimite un territoire autochtone, c’est aussi l’occasion de respirer. Nous sommes des pneumologues. Nous préservons les poumons du monde et des gens. Nous devons cheminer ensemble. C’est un ministère de l’articulation, mon mandat est un mandat d’articulation. Nous voulons préserver la vie de nos leaders, de nos enfants, de nos femmes.
Lors de la réappropriation de la FUNAI, le lundi 2 janvier, vous avez parlé de la "politique du mystère". À quoi ressemble cette dimension spirituelle de la politique ?
Lorsque je suis entrée au Congrès national pour recevoir mon badge de députée fédérale, je me suis souvenue que la dernière fois que nous y étions venus, c’était pour déposer plus de 200 cercueils symbolisant les leaders autochtones assassinés et les projets de loi en recul. Nous avions été accueillis avec du gaz poivré, des balles en caoutchouc ; je m’étais même fait écorcher l’oreille devant ce Congrès.
Et c’est la fervente prière des femmes Guarani qui a fait pleuvoir, seulement à cet endroit. À ce moment-là, en 2015, alors que nous pensions ne pas pouvoir faire barrage au PEC 215 [projet d’amendement constitutionnel qui transfère de l’exécutif au Congrès le pouvoir de délimiter les terres autochtones, les territoires quilombolas et les unités de conservation], ce sont les chants, les maracas, qui ont éteint les lumières du Congrès national. Il s’est mis à pleuvoir et, depuis lors, ils n’ont pas été en mesure de voter cet amendement. Je vais maintenant être dans un lieu où le pouvoir de légiférer, de faire des lois, de pouvoir parler, existe. Mais il faut préciser que, au-delà des lois juridiques, nos lois sont ancestrales. Et il est important d’apporter [au Congrès] cette force des lois ancestrales.
Nous sommes ici, au ministère des Peuples autochtones, pour la première fois dans l’histoire, à cheminer ensemble avec le mystère des peuples autochtones. Le mystère de la terre, le mystère de la forêt, le mystère du Cerrado, de la Mata Atlântica, de la Pampa, de la Caatinga et du Pantanal.
Vous êtes une créatrice de mots : « parentissima », « mulheragem »… J’aimerais que vous me disiez qui est Manuelzão Xakriabá, ce que sont les « loas » et ce que Manuelzão et les « loas » ont à voir avec votre façon de parler ?
Manuelzão est mon arrière-grand-père. Mon arrière-grand-père a été l’un des premiers lecteurs d’écrits reconnu sur le territoire Xakriabá dans les années 1940, à l’époque où l’écrit n’était pas diffusé, où la lecture ne circulait pas. Et à l’époque, lire n’avait pas pour but de devenir enseignant. Cela avait une relation avec le pouvoir. Par exemple lire un document annonçant : " Il y a eu une action en reprise de possession. Vous devez quitter cette zone". Même si cette information était un faux, si elle était lue par un non-autochtone, ce faux pouvait perdurer dix ou vingt ans car l’autonomie nécessaire pour lire les écrits n’existait pas.
Même si les gens ne reconnaissent pas les plus de 305 peuples autochtones, ne comprennent pas les plus de 274 langues, nous avons une façon différente de parler. Il ne s’agit pas de comprendre notre chant, il s’agit de le ressentir. Mon arrière-grand-père était cette référence, puis mon grand-père fût cette référence, la force de l’oralité. Et mon grand-père ne parlait pas, il réfléchissait. Nous ne parlons donc qu’après avoir réfléchi, car la réflexion aussi est une école.
Mon grand-père est le premier livre que j’ai lu dans ma vie. J’ai ensuite appris à lire d’autres livres, mais sans perdre la capacité de lire les gens. Comment continuer à lire des livres et ne pas perdre la capacité de lire le temps ? De lire la terre ? Plus de 522 ans [après l’invasion européenne], un Brésil aussi diversifié ne peut accorder une place moindre à la force du peuple, à ce qui n’est pas visible, à la force de l’oralité. Notre parole est empreinte d’engagement. Je suis également fière car après [Mário] Juruna, je suis la deuxième députée originaire du Cerrado. Il a déjà utilisé le magnétophone, il a utilisé l’oralité, mais les gens ne l’ont pas cru, car ici c’est l’écrit qui fait loi.
Et les « loas » ?
Les « loas » sont ces manières d’entonner la parole Xakriabá, qui a une mélodie dans son parler. Récemment, on m’a dit : "Celinha, tu as gagné cette élection parce que tu as une façon différente de parler. Tu es plus poétique". Dorénavant, on va voir la poésie devenir un gourdin au Congrès National, parce que la poésie est quelque chose qui impacte, non pas la vitesse, ni la force avec laquelle nous parlons, mais la sensibilité. Désormais, alors qu’une existence autochtone se fait présente dans différents espaces, ici aussi, arrive cette mélodie de mots, cette manière différente de parler. Il s’agit également de reboiser. Reboiser c’est quand on fait renaître l’espoir chez des gens qui étaient endormis. Le Brésil n’est pas mort, le Brésil est endormi, et avec notre présence, notre façon d’être différents, avec la force de notre peinture, avec la force de notre voix, de notre oralité, de notre chant, nous continuerons à faire la loi sans perdre la mélodie de la parole. Nous continuerons à faire la loi tout en entonnant notre chant.
En janvier 2021, interviewant le geraizeiro Braulino Caetano, je lui avais demandé qui avait donné le nom à Articulação Rosalino. Et il m’avait répondu la chose suivante : "Nous avons créé cette articulation pour rassembler tous les peuples dans la lutte. Il y avait alors une fille Xakriabá, une fille qui s’appelait Célia. C’est elle qui avait défendu le nom de Rosalino. Notre mouvement s’appelle Articulação Rosalino Gomes précisément grâce à cette fille. Elle a étudié, obtenu son diplôme, un master, et j’espère qu’elle sera une véritable force pour le Brésil. Que demain ou plus tard, elle pourra être députée fédérale. Quel est le rapport entre l’histoire de Rosalino et votre histoire politique en politique ?
Rosalino était un grand leader Xakriabá assassiné en 1987, avec deux autres compagnons. Ce n’est qu’alors que le territoire Xakriabá a été reconnu. Malheureusement, tous les territoires autochtones que je connais au Brésil n’ont été délimités qu’après l’assassinat d’un leader autochtone. C’est comme si l’un des membres de votre famille devait mourir pour posséder une maison, pour avoir un appartement. Personne ne pense ainsi : "Est-ce que chaque fois qu’on pense au droit d’avoir sa maison, son lieu de vie, quelqu’un de votre famille doit mourir ?
Le processus de la lutte Xakriabá est marqué par ce massacre, mais en même temps, c’est par la douleur que nous avons gagné la liberté du territoire. Rosalino disait : " Plutôt se transformer en fumier que de partir d’ici". Rosalino a été tué le 12 février 1987, dans un massacre qui a marqué l’histoire du peuple Xakriabá, qui a marqué l’histoire du Brésil. Il s’agit du premier crime jugé comme un génocide autochtone au Brésil. Rosalino a été assassiné ainsi que sa compagne, dona Anísia, qui était enceinte. Lorsque, au cours de mes recherches de maîtrise, je suis retournée sur le territoire Xakriabá interroger les femmes sur leur contribution à la lutte, elles me répondaient : "Ah, ma fille, je n’ai pas beaucoup contribué. Mon mari était un leader, il allait à Brasília à pied, il pouvait mettre trois mois pour y arriver, et tout ce que j’avais à faire, c’était de cultiver un grand champ pour nourrir mes enfants". J’ai demandé à Dona Elisa, à Dona Nena, dont les maris ont également été tués lors du massacre. Et j’étais très frustrée parce que les femmes disaient qu’elles n’étaient pas les protagonistes de leur lutte. Les contributions [des femmes] semblent invisibles. Aujourd’hui, sur le territoire Xakriabá, bien que les quatre caciques soient des hommes, ils m’ont construit une place parmi eux. Et 33 ans après le massacre qui a tué Rosalino, nous avons lancé notre pré-campagne, en février 2022, à l’endroit même où Rosalino a été tué en 1987. Et ce jour-là, le fils de Rosalino m’a dit : "Ici, cette terre a été délimitée avec du sang et vous aurez l’occasion de tenir en main le stylo qui pourra empêcher que le massacre des peuples autochtones continue d’être un élément responsable de l’extermination des peuples autochtones au Brésil".
C’est la raison pour laquelle on défend le nom de l’Articulação Rosalino de Povos e Comunidades Tradicionais, depuis plus de 10 ans. Quand j’ai rencontré [le geraizeiro] Braulino, j’avais 13 ans, et il disait déjà : "Ma fille, un jour tu seras une représentante politique". Mais je n’étais qu’un enfant et je riais. Plus tard, il a dit : "On ne se moque pas de son père, je te le dis". L’Articulação Rosalino est l’une des seules que je connaisse au Brésil et dans le monde qui rassemble 8 peuples, les peuples autochtones Xakriabá et Tuxás et les communautés quilombolas, geraizeiras, vazanteiras, veredeiras, caatingueiras et cueilleuses de fleurs [peuples traditionnels du Nord de Minas Gerais]. Il existe une articulation dans laquelle la douleur est unifiée, mais dans laquelle la force est également unifiée. Plusieurs fois, nous avons participé à la reprise de possession des peuples quilombolas, plusieurs fois, le quilombo s’est montré solidaire de nos reprises de possession.
Qui est Sonia Guajajara et que représente-t-elle pour vous aujourd’hui ?
Pour moi, Sonia est une référence, une inspiration, une sœur, une parentissima, une ministre au tempérament de guerrière qui vient aussi de ce rassemblement de femmes. Nous sommes cofondatrices de l’Articulation nationale des femmes autochtones guerrières de l’ancestralité. J’ai rencontré Sonia quand j’avais 14 ans. Et puis, en 2018, alors que je terminais mon master, Sonia m’a demandé : "Celinha, j’aimerais que tu viennes me prêter main forte dans la campagne, je vais être coprésidente de la République avec Guilherme Boulos ». Et je lui ai expliqué : "Sœur, je viens de finir ma maîtrise, je suis épuisée, je ne peux pas". Et elle m’a proposé : "Viens juste une semaine ! ». Et j’ai passé trois mois avec Sonia, lors de la campagne de 2018. Lorsque les gens lui demandaient si elle était prête, elle répondait : "Nous sommes prêtes. Nous nous sommes préparées dans la lutte". Et lors de cette élection lorsque les gens demandaient : "Mais êtes-vous prêtes ? Vos candidatures sont-elles valides ? Je répondais : "Nos candidatures ne sont pas seulement valides, elles sont déposées. Parce qu’il y a maintenant un message de la Terre . Puisque les gens n’écoutent pas la Terre, ne comprennent pas que la Terre est l’autorité supérieure, nous allons concourir avec la Terre. Et quand les gens disaient : "Mais est-ce le bon moment ? Il n’y a pas de fait politique qui vous fera élire", je leur demandais : "Violer les filles Yanomami, n’est-ce pas un fait politique ? Le viol des filles Guarani-Kaiowá n’est pas un fait politique ? Tuer des femmes n’est pas un fait politique ? L’écocide n’est-il pas un fait politique ? Le génocide n’est-il pas un fait politique ? Qu’est-ce qu’un fait politique ?".
Est-ce Sonia Guajajara qui vous a invité à devenir députée ? Comment était cette invitation ?
C’était une construction commune. Nous nous sommes dit : "Puisqu’il y a un groupe parlementaire de l’agronégoce, lançons un groupe parlementaire de la coiffe". Qui est mieux à même d’affronter le groupe parlementaire de l’agronégoce que le groupe parlementaire de la coiffe, qui tient sa force de la terre ? Et c’est là qu’elle m’a dit : "Celinha, on y va ! Nous n’y arriverons que parce d’autres personnes ont déjà ouvert le chemin, même sans être en mesure d’arriver. Et puis, l’année dernière, les instances dirigeantes ont déclaré : "Vous devez y aller". C’est alors que nous avons décidé d’y aller.
C’était quand ?
Au Campement Terra Livre, lors de la Marche des femmes autochtones, des parents Krenak nous ont interrogés et ont dit : "Il est temps d’y aller ! Xakriabá n’a pas encore décidé d’y aller ? En novembre 2021, les instances dirigeantes Xakriabá ont pris une décision et en mars 2022, nous nous sommes lancées exactement sur le site du massacre de Rosalino. Sonia a mis un peu plus de temps à se décider, car elle devait décider si elle se présentait pour le Maranhão ou pour São Paulo et si elle allait changer ou rester dans le même parti. J’ai compris que, de la même manière qu’il avait fallu 33 ans pour élire Joênia Wapichana comme deuxième autochtone au Congrès national, après Juruna Xavante, la première femme autochtone, nous risquions également de ne pas avoir d’autochtones élus pendant 10 à 20 ans si nous n’étions pas élues maintenant. Il s’agit d’une lutte contextuelle, car le contexte du gouvernement Bolsonaro a placé la question autochtone dans un état d’urgence existentielle humanitaire et non humaine.
De nombreuses personnes nous ont dit : "Si vous n’êtes pas élues maintenant, ne soyez pas tristes ! Vous réessayerez. Un jour, vous y arriverez". J’ai répondu : "Si vous voulez des révolutionnaires, capables de défendre avec leur corps la question territoriale, environnementale, votez maintenant. Il est hors de question de remettre cela à plus tard". Ce à quoi ils répondaient : "Ah, j’aimerais vraiment voter pour vous mais je n’ai pas deux voix. Et j’ai malheureusement déjà un autre candidat". Sonia et moi avons beaucoup entendu cela.
Durant la dernière semaine, j’ai rétorqué : "Vous n’avez pas deux voix, mais nous n’avons pas non plus deux planètes. Le moment est venu". C’est alors que nous avons lancé l’Appel de la Terre [slogan de campagne utilisé par les candidates autochtones]. Même si Sonia était à São Paulo et moi dans le Minas Gerais, nous avons fait beaucoup de choses ensemble. Le moment est venu, l’Appel pour la Terre mobilisant également d’autres candidatures autochtones. Il y a eu plus de 180 candidatures autochtones au Brésil, se renforçant. Nous devons encore progresser, nous renforcer, car nous devons avancer au niveau des États. Nous n’avons réussi à faire élire aucune candidature au niveau des États.
Nous sommes ici, au siège du ministère des Peuples autochtones où nous avons assisté, avant la décision du président Lula, à un véritable derby. Il y avait des supporters pour Joênia, pour Sonia et pour Weibe. L’APIB a transmis la liste des trois candidats ; le président Lula a fait son choix et a fini par retenir tous les noms. Quelle est votre évaluation de ce processus ?
On parle beaucoup des ambassades, de l’Itamaraty, où la diplomatie est reine. Mais je ne connais pas de peuple plus diplomate que nous, les peuples autochtones, qui avons tout construit par le dialogue. On va faire la différence parce que nous sommes plus de 305 peuples différents, 274 langues différentes. La journée d’hier [2 janvier] a été un moment historique pour moi : je me suis retrouvée avec Sonia, ministre, Joênia, présidente de la FUNAI, et nous au Parlement, où Weibe a également pris ses fonctions, au sein de l’important secrétariat de la Santé autochtone. Les gens disaient que nous allions nous diviser, mais notre liste de trois candidats a été la nomination la plus démocratique jamais faite pour un ministère. Aucun autre ministère n’a jamais été désigné à partir d’une liste de trois nominés. Les personnes sont nommées directement. Même s’il y avait trois noms, il s’agissait d’une consultation avec les mouvements et avec l’APIB elle-même. Ainsi, cela démontre également notre façon différente de faire les choses. Et cela ne nous a pas divisé, au contraire : Sonia devient ministre, Weibe devient secrétaire à la Santé [autochtone], Joênia devient présidente de la FUNAI.
Nous montrons l’importance d’avoir des parents autochtones partout. Nous venons d’avoir une réunion avec Joênia Wapichana, pour établir un plan de travail, [que nous sommes] en train de tracer collectivement. Nous ne sommes pas dans des petites boîtes. La présidente de la FUNAI vient de quitter le ministère, le secrétaire à la Santé autochtone est ici dans la pièce voisine, la parlementaire autochtone est ici, parce que nous savons comment faire les choses ensemble. Même si nous faisons les choses différemment, même si nous prenons certaines décisions en fonction des indications de la base d’écoute, quand il s’agit de chercher le meilleur chemin, nous sommes ensemble.
Nous sommes ici, dans un ministère présidé par une femme autochtone, la Parentissima ministre Sonia Guajajara, [avec] la Parentissima présidente de la FUNAI Joênia Wapichana et le Parentissimo secrétaire à la Santé autochtone Weibe Tapeba. Nous sommes également au Congrès national et le groupe parlementaire des coiffes est en place, semé à différents endroits. Notre investiture, le 1er février, sera un moment historique. Je ne serai pas seule au Congrès national, car nous occuperons ces rampes là-bas avec de nombreux parents autochtones, avec des femmes autochtones et avec des enfants. Le groupe parlementaire de la coiffe, c’est le peuple.
Qu’est-ce que ANMIGA ? Voyez-vous ANMIGA comme un courant politique autochtone ?
ANMIGA, Articulation nationale des femmes autochtones guerrières de l’ancestralité, est une articulation qui rassemble la force des femmes de tous les biomes. Femmes de la terre, femmes des semences, femmes de l’eau, femmes des racines. Et je dis que nous ne sommes pas seulement des femmes, nous sommes des femmes-semences. Le XXIe siècle appartient aux femmes autochtones.
En 2018, je disais : "Sonia, je crois que pour consolider ce mouvement politique et pour que les instances dirigeantes ancrent à nouveau la politique dans les territoires, nous devons nous rendre dans les territoires. Nous avions déjà envie de penser aux caravanes ANMIGA. En 2019, nous avons commencé à construire le projet ici à Brasilia, mais trois jours plus tard, la pandémie explosait au Brésil et dans le monde, nous empêchant de réaliser notre projet.
En 2019, Sonia a lancé la campagne "Sang autochtone : pas une goutte de plus", traversant 12 pays et 20 villes en 35 jours, dénonçant ce qui se passe au Brésil. Nous avons déposé plainte contre Bolsonaro pour crime d’écocide de l’humanité devant la Cour de La Haye, aux Pays-Bas, et on nous disait : "Pourquoi allez-vous en Europe ? Ne savez-vous pas qu’ils sont une grande partie du problème ? Et nous leur répondions : "Cette grande partie du problème doit devenir une grande partie de la solution".
Nous avons également remis en question la ratification de l’accord du Mercosur, , qui récompensait le gouvernement de Bolsonaro, et nous avons souligné l’importance pour le Parlement européen et tous les pays, ainsi que le Royaume-Uni, de créer des lois sur la traçabilité afin de s’assurer que ces produits ne proviennent pas de territoires autochtones, qu’ils ne soient pas issus de l’esclavage. Grâce à cette pression, aujourd’hui, lors de la COP, le Parlement européen était en faveur de la loi anti-déforestation.
Nous nous sommes également interrogés sur le fait que la loi anti-déforestation ne considérait que l’Amazonie, sans tenir compte des autres biomes, la Mata Atlântica, le Cerrado, la Pampa, le Pantanal. Lorsqu’il n’existe pas de lois sur la protection de l’environnement pour tous les biomes, cela revient à légaliser, ce qui accroît encore la pression sur l’expansion agricole dans ces autres biomes. En agissant de la sorte, vous soumettez l’Amazonie à davantage de conflits territoriaux et à une plus grande pression également en termes de production et de déforestation.
Nous ne connaissons aucun projet qui ait visité toutes les régions du Brésil, tous les biomes brésiliens, dans cette écoute sensible pour comprendre que si la scène n’est pas suffisante pour écouter toutes les femmes autochtones, notre microphone sera le maraca, notre scène se déplacera sur le terrain du territoire. Et c’est ce que nous avons fait avec le projet de la caravane, en comprenant que le micro le plus large que nous ayons est d’écouter les femmes autochtones à travers la bioéconomie. Le projet central d’ANMIGA est de lutter contre la violence à l’égard des femmes autochtones dans les territoires. Au ministère des Peuples autochtones, nous avons cette intention : avoir ce noyau lié à la violence et à la violation des femmes autochtones.
Toujours pour ANMIGA, lors de la Marche mondiale des femmes, vous avez organisé un grand défilé. Qu’est-ce que les vêtements ont à voir avec la politique ?
Nous avons parlé de décoloniser la mode, parce que pour nous, ce n’est pas exactement la mode. Je dis qu’en musique comme en mode, la tendance annuelle n’est pas celle qui accroche, ce qui accroche, pour nous, c’est une tendance plus ancestrale. Donc, plus on est ancien, plus on est beau. Notre mode n’est pas annuelle, notre mode est ancestrale. Pour moi, cet habit est un vêtement qui se porte, se revêt et se sublime.
Toute la conception de ma campagne dans le Minas Gerais a été inspirée par mes vêtements. C’est ce lieu d’enchantement, de beauté, parce que la politique n’a pas besoin d’être ce lieu truculent. La politique c’est un lieu que nous faisons avec la culture. Là, où je ne pouvais pas parler de la campagne, je faisais de la poésie, je faisais connaître la lutte, l’émergence des peuples autochtones. Et ce, sur des scènes importantes, avec plusieurs artistes, avec Nando Reis, avec Gilberto Gil. C’est donc ce lieu que nous mettons en avant, comprenant cette façon de faire une politique avec les voix du territoire, avec les couleurs du territoire, avec les couleurs de notre biome.
J’ai toujours conservé mon autonomie pour m’habiller. Je portais une robe peinte lors du procès du STF. Pendant que nous étions de garde, je prenais le temps de m’arrêter pour peindre mes vêtements. Je ne le fais pas parce que j’ai le temps, mais parce que nous devons avoir l’autonomie de notre temps, et que seuls ceux qui prennent le temps, ont du temps. Je dis que la lutte pour la liberté, pour la véritable autonomie, ce n’est justement pas pour qui a le plus d’argent, c’est pour qui a la liberté du temps.
Comment être parlementaire, comment être ministre, comment être présidente de la FUNAI, comment être enseignante, avocate sans perdre notre autonomie vestimentaire, sans perdre notre autonomie alimentaire ? Parce que nous pouvons être beaucoup de choses, mais le premier livre que j’ai lu, c’est mon grand-père, le premier stylo que j’ai tenu, ce n’était justement pas pour faire une croix mais pour écrire sur mon propre corps, avec le génipapo. Ainsi, même au Congrès national, j’ai toujours l’autonomie de m’habiller avec le génipapo. C’est le pouvoir de la coiffe qui guide notre pensée, qui guide notre prise de décision. La coiffe, pour nous, c’est comme une maison pour la tête. Cela aide à se situer. Ensemble nous allons peindre le Congrès National de génipapo et d’urucum. Le Congrès ne sera plus gris, le Congrès aura notre couleur.
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