Education Autochtone (2/2) Le défi de quitter la communauté pour aller à l’université

 | Par Agência Amazônia Real, Jackeline Lima

Manaus (AM) - Dans la sphère académique, les étudiants indigènes sont confrontés à des défis quotidiens : les trajets de leur communauté d’origine à l’université, située en ville ; les préjugés des non indigènes, les difficultés pour financer leur alimentation et le loyer d’un logement, entre autres. L’envie d’apprendre, de se former, accéder à de nouvelles connaissances les encourage souvent à poursuivre dans cette voie.

Traduction pour Autres Brésils : Philippe Aldon
Relecture : Du Duffles

Les photos montrent des membres de l’association des Peuples Indigènes Étudiants de l’UFPA (Université Fédérale du Pará)

Première partie de l’article ici->https://www.autresbresils.net/Education-Autochtones-1-2?var_mode=calcul]

En 2013, le gouvernement fédéral a créé le Programa Bolsa Permanência (PBP) pour offrir un soutien financier aux étudiants indigènes, aux Quilombolas et aux personnes en situation de vulnérabilité socio-économique dans les universités publiques. La dotation provient du Fonds national de développement de l’Education (FNDE).

Malgré les impacts positifs de cette mesure venant favoriser de nombreux étudiants à travers le pays, le programme a été menacé et quasiment interrompu en 2018, ce qui a généré une révolte des étudiants qui dépendent de ce soutien pour survivre dans les villes où ils font des études supérieures.

Le ministère de l’Education affirme avoir accordé 4000 bourses au deuxième semestre 2019 pour un budget total de 194 millions de réaux. Les étudiants indigènes et les Quilombolas reçoivent une bourse de 900 réaux.

L’étudiant Cézar Sarmento est issu du peuple Tukano. Photo : Alberto César Araújo/Amazônia Real

Cézar dos Santos Sarmento ou Doé (son nom en langue tukano) étudiant de 33 ans, bénéficie du programme PBP depuis 2017. Il est en sixième semestre de Sciences comptables à l’Université fédérale d’Amazonas (UFAM). Collaborateur du Centre de médecine indigène Bahserikowi’i, où la population de Manaus recherche des soins selon les connaissances traditionnelles des Kumuã (shamans), il compte obtenir son diplôme en 2021.

Cézar s’inquiète de la suppression des bourses, non seulement pour lui, mais aussi pour les autres étudiants qui dépendent de cette prestation pour rester à l’université.
« Le programme Bourse Permanence est une aide importante qui nous permet de nous concentrer sur nos études, sans nous soucier de savoir si nous aurons de l’argent à la fin du mois. Donc, pour les dépenses de base comme l’argent pour le transport, les photocopies, les vêtements ou tout matériel didactique dont nous aurions besoin. Ou même pour manger, car nous restons souvent à l’université toute la journée. Cette aide financière est très importante ; elle nous permet de nous concentrer spécifiquement sur nos études, ce qui est notre principal objectif quand on entre à l’université, sachant qu’il y a des situations où les étudiants doivent faire preuve de beaucoup de dévouement », a déclaré Cézar.

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En outre, l’étudiant tukano évalue et critique le processus mis actuellement en place pour participer au programme. Il dit qu’au début, il a eu des difficultés à prouver la validité des documents, en raison de l’inadéquation entre les informations figurant sur le site web officiel du ministère et celles transmises en personne, au moment de la remise du dossier d’inscription, et aussi en raison du manque de compréhension de la réalité de la plupart des gens des communautés indigènes, en relation avec les procédures bureaucratiques de l’institution.

« Ils voulaient quelque chose de beaucoup plus informatisé, une déclaration faite sur ordinateur, avec signature authentifiée, tout ça. Pour nous, qui vivons à la campagne, obtenir tous ces justificatifs est compliqué parce qu’il y a des gens, il y a des dirigeants indigènes qui ne vivent pas dans les villes. J’étais ici à Manaus, mes parents ont dû me procurer tout cela, sauf que le trajet de São Gabriel da Cachoeira, situé dans la région de Alto Rio Negro, jusqu’à la communauté où je vivais, prend environ trois à quatre jours de voyage, et il n’y a ni signal téléphonique, ni internet, aucune information. Il faut trouver une autre solution à ce processus", a souligné l’étudiant, exprimant l’immensité du défi que représente, dès le premier instant pour un autochtone, le fait d’entrer à l’université.

L’indifférence dans l’espace privé

Clotilde est étudiante dans une Ecole d’infirmières (Photo : Fiche personnelle)

Clotilde Mendes Bastos, également connue sous le nom de Clotilde Tikuna, du nom de son groupe ethnique, a 42 ans et a suivi son dixième semestre d’études d’infirmière à Fametro, une université privée de la capitale de l’Amazonas. Cette année, elle a temporairement interrompu ses études par manque de ressources, mais elle n’a pas renoncé à son rêve de devenir infirmière. Elle a déménagé de la communauté Umariaçu- I, située dans la municipalité de Tabatinga, dans la microrégion d’Alto Solimões, à la frontière de l’état d’Amazonas avec la Colombie.

Elle se rappelle qu’à son arrivée dans la capitale, sa situation était difficile et inquiétante, car sa famille ne connaissait personne pour la soutenir dans ce nouveau défi. De plus, elle a aussi subi des discriminations en raison de son origine indigène.
"J’ai souffert pendant cinq ans. Lorsque des groupes de collègues se forment, il est difficile pour eux de s’unir, de m’inclure dans le groupe. Une fois, même la professeure m’a fait souffrir, pensant que je ne savais pas comment expliquer tout ce qu’elle me demandait d’expliquer, parce que mon portugais est difficile à comprendre. Ma note était insuffisante, j’ai échoué. Et je suis ici, tête haute", dit-elle avec fierté.

Bien que les situations se soient répétées au cours des années d’étude, Clotilde se montre forte et souligne deux choses. La première est que les autres membres de la famille doivent être à l’université pour avoir plus de professionnels qui comprennent vraiment les différentes conditions culturelles des populations indigènes, car cela apportera des avantages et aux communautés et aux futurs enseignants. La seconde est que toutes les connaissances, des blancs et des indigènes, peuvent et doivent être additionnées, et que cela ne doit pas être limité par les préjugés de la société en ville.

"Ce que je veux dire de plus, c’est que cela ne doit pas forcément arriver, car tous les Amazoniens sont indigènes. Il faut que les efforts s’additionnent, que l’on discute ensemble, que l’on s’unisse, que l’on s’instruise mutuellement", souligne Clotilde.

Les obstacles de la Bourse Permanence

Des étudiants indigènes et des Quilombolas manifestent à l’Université Fédérale de l’ouest du Pará (UFOPA) en 2018
Photo : Josemir Moreira/UFOPA

Selon le ministère de l’Education (MEC), depuis mai 2016, les inscriptions au Programme de bourses permanentes (PBP) sont exclusivement destinées aux étudiants indigènes et aux Quilombolas. Cette année-là, 24455 étudiants étaient inscrits. En 2017 : 24076 étudiants, en 2018 : 19454, et au mois de septembre 2019, 19428 étudiants ont bénéficié du programme. En ce qui concerne le contingentement de fonds du gouvernement fédéral dans le PBP, le MEC a déclaré que "le budget du programme n’a pas subi de contingentement".

Dans les états de la région Nord, le PBP touche 6458 étudiants soit :

  • 133 à Acre ;
  • 1180 à Amazonas ;
  • 581 en Amapá ;
  • 2573 au Pará ;
  • 273 à Rondônia ;
  • 652 à Roraima ;
  • 1066 à Tocantins ;

Malgré les chiffres, à l’Université fédérale du Pará (UFPA), les Indigènes ne représentaient que 0,37 % du nombre total d’étudiants inscrits aux cours proposés en 2019. Le processus de sélection spécial pour les Indigènes et les Quilombolas fonctionne avec la réservation de deux places supplémentaires pour les Indigènes dans les cours proposés.

Le bureau du recteur de l’UFPA reconnaît la nécessité d’une politique complémentaire au système général de quotas. Dans une note envoyée à Amazônia Real, l’institution a précisé « qu’il s’étudie avec un intérêt croissant les politiques de maintien de qualité de ces étudiants, et leurs représentations au sein de l’institution. Le retour de ces représentants avec une qualification, soit pour la société en général, soit pour leurs communautés d’origine, représente la garantie d’une représentation historiquement refusée à ces groupes. »

À la Fondation de l’Université fédérale de Rondônia (UNIR), jusqu’à présent, un seul autochtone bénéficiant du système de quotas a terminé le cours de pédagogie. L’université souligne que le nombre peut être plus élevé, car il peut y avoir des Indigènes qui ne se sont pas inscrits à travers le système de quotas de leur ethnie, puisque le processus n’est devenu obligatoire qu’à partir de l’année 2018.
Actuellement, 139 étudiants sont inscrits par le biais de quotas pour les Indigènes, ce qui représente 1,30 % du nombre total d’étudiants inscrits à l’Unir, qui compte des Indigènes de plus de 30 ethnies différentes, selon l’établissement.

Quand les préjugés deviennent une menace

Le professeur Francisco Marikawa est originaire du peuple Kokama (Photo : Personnelle / Facebook)

Le professeur Francisco Braga Marikawa, plus connu sous le nom de Professeur Marikawa, 46 ans, est le chef du peuple Kokama, une communauté située dans la partie Est de Manaus, la capitale de l’Amazonas. Artiste plasticien, Francisco est étudiant en 7e semestre de pédagogie à l’Université de l’État d’Amazonas (UEA).
Dans une interview avec Amazônia Real, il a dit qu’il pensait qu’il ne pourrait pas entrer dans une université et que sa motivation pour y rentrer était d’acquérir plus de connaissances pour travailler à la revitalisation de la langue maternelle de son peuple, qui fait partie du tronc linguistique Tupi-Guarani. Marikawa, qui vivait auparavant sur la Terre Indigène Barro Alto, dans la région d’Alto Solimões, à l’ouest de l’Amazonas, a déménagé à Manaus en 1984, avec ses parents et ses frères. Il a parlé des souffrances qu’il a subies en raison de son origine indigène.

« La pression était grande, principalement à cause du nom de famille, car les gens savaient tout de suite que j’étais Indigène. Ma manière de parler leur permettait de m’identifier. Aujourd’hui, je parle mieux le portugais qu’auparavant, les préjugés étaient grands ; et mes frères et moi étions également menacés. On n’arrivait pas à rester où l’on était. On allait d’une école à l’autre, et tout recommençait, et on finissait par abandonner. C’était une situation très difficile de rester dans la ville », a déclaré l’étudiant universitaire.

A cela s’ajoute un facteur que les dirigeants du peuple Kokama soulignent, par rapport aux difficultés rencontrées, le peu de places spécifiques offertes dans les cours par rapport au grand nombre de demandes des Indigènes désireux de suivre un cursus d’enseignement supérieur. Cela signifie que peu d’autochtones ont accès aux universités publiques et n’acquièrent pas de connaissances importantes pour leur vie, tant dans la ville que dans leur communauté d’origine.

"Le nombre de personnes autochtones inscrites a augmenté, et si vous n’avez qu’une place par cours, c’est difficile", a déclaré Francisco.

En fin d’interview, le leader a fait une déclaration sur le moment politique actuel au Brésil sous Jair Bolsonaro, notamment en rapport à la façon dont il traite les peuples traditionnels.

« Je crois que la société doit analyser un peu plus le profil des candidats au gouvernement. Nous savons qu’il y a des gens qui sont engagés pour le Brésil, n’est-ce pas ? Mais il y a des gens qui n’ont aucune responsabilité, même envers eux-mêmes, parce qu’un type comme lui (Bolsonaro), qui attaque publiquement toute une société indigène, non indigène et noire, c’est fou », a déclaré le professeur.

L’étudiant de l’UEA a rappelé les histoires de ses ancêtres pendant la dictature militaire, en faisant une comparaison avec le présent et en signalant la résistance des peuples indigènes du pays.

« Je me souviens que mes grands-parents disaient qu’ils ne pouvaient pas parler leur langue maternelle en ville. La Police les arrêtait et ne les libérait que s’ils apprenaient à parler portugais. Il est regrettable que le Brésil soit riche en cultures et que nous ne puissions pas maintenir la nôtre ; il y a toujours beaucoup de pression de la part de ceux qui devaient nous soutenir et nous protéger. C’est pourquoi nous devons utiliser cette stratégie (les études), pour survivre. C’est ce qui se fait aujourd’hui, à travers moi et d’autres collègues qui suivent ce mouvement. Pour moi, cela signifie en fait se battre pour la vie, car jusqu’alors nous n’avons jamais été considérés comme des êtres humains », a souligné Francisco Marikawa.

Selon le recensement 2010 de l’IBGE, la région Nord a la plus grande population indigène du pays : elle compte plus de 264 mille personnes. Mais les organisations indigènes affirment que la population est actuellement de 306 mille personnes. Malgré leur nombre, les élèves ont toujours des difficultés à reconnaître leurs spécificités dans la vie quotidienne, et cela vaut également pour l’éducation. Selon les éducateurs, cela est dû au fait qu’un système n’a pas encore été structuré dans les universités pour répondre aux besoins éducatifs des peuples indigènes.

Jackeline Lima est diplômée en journalisme par la Faculté Martha Falcão. Elle a participé à la 4e formation de journalisme indépendant et d’investigation de 2019 de l’agence Amazônia Real.

Voir en ligne : Amazonia Real

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