Descendant la rivière Madeira, avant et après les barrages 2/2 Reportage spécial _ Reporters Autochtones

 | Par Agência Pública, Márcia Mura

« Aujourd’hui, la rivière ne coule même plus. Elle est déjà morte ! » Ixe Tanamak de la paranã Iruri…

Je suis Tanamak. Ce nom m’a été donné par Namatuyky, le grand créateur pour le peuple autochtone Mura, auquel j’appartiens. Je suis fille de la rivière qui tremble, région ancestrale des Mura et d’autres peuples qui se disputaient des territoires, comme les Munduruku et les Parintintin.

L’Iruri est actuellement appelée rivière Madeira. Elle prend sa source dans les Andes, en Bolivie, et passe par Rondônia et Amazonas, pour se jeter dans le fleuve Amazone en territoire pindorama [1].

Traduction et relecture pour Autres Brésils : Du DUFFLES et Philippe ALDON

Je suis Tanamak. Ce nom m’a été donné par Namatuyky, le grand créateur pour le peuple autochtone Mura, auquel j’appartiens. Je suis fille de la rivière qui tremble, région ancestrale des Mura et d’autres peuples qui se disputaient des territoires, comme les Munduruku et les Parintintin.

L’Iruri est actuellement appelée rivière Madeira. Elle prend sa source dans les Andes, en Bolivie, et passe par Rondônia et Amazonas, pour se jeter dans le fleuve Amazone en territoire pindorama. Le sujet de ce texte, la vie avant et après les barrages sur la rivière Madeira, a déjà été abordé par d’autres journalistes. La différence, par rapport aux autres reportages, réside dans le fait que celui-ci a été écrit du point de vue autochtone.

Première partie du reportage disponible ici

L’inondation de 2014, le bassin versant

En 2014, peu après le début de l’endiguement de la rivière en raison de la construction des centrales hydroélectriques de Jirau et de Santo Antônio, une importante inondation s’est produite sur la rivière Madeira, affectant les territoires des peuples autochtones, des populations traditionnelles et des zones urbaines depuis la Bolivie. Du côté brésilien, les Etats de Rondônia, Amazonas et Acre ont été particulièrement touchés, mais indépendamment de cette division, tous les habitants des rives de l’Iruri et des autres rivières liées à ce bassin hydrographique ont été affectés.

Des animaux, comme les serpents sucuris, les caïmans et les poissons, sont morts en grand nombre, ainsi que des tapirs, des pécaris, des pacas et des agoutis, entre autres. Les peuples Mura, Tenharin, Parintintin, Mura Pirahã, Torá, parmi d’autres, ainsi que les populations des espaces territoriaux riverains et extractivistes ont été impactés.

D’après les conversations que j’ai eues avec des habitants du district de Nazaré, il nous faudrait environ 50 ans pour récupérer les pertes des animaux, des arbres entre autres vies causées par l’inondation de 2014. Selon les communautés riveraines, cette inondation a été provoquée par les barrages hydroélectriques qui, érigés sur notre rivière ancestrale, se sont aussi érigés en travers de nos vies.

Selon les données du Service géologique du Brésil, la rivière Madeira a atteint son niveau record absolu de 19,69 mètres en 2014, dépassant de plus de deux mètres le niveau maximal précédent de 17,44 mètres. Les sociétés qui ont construit les centrales hydroélectriques qui ont endigué le fleuve - Jirau Energia et Santo Antônio Energia - n’ont pas assumé la responsabilité des tragédies causées par l’inondation, l’attribuant aux précipitations sans précédent en amont de la rivière Madeira.

Outre les dommages liés à la destruction des biens personnels, des animaux et des cultures, l’inondation de 2014 a provoqué la perte des équipements publics des communautés riveraines de la Basse Madeira. Les écoles et les postes de santé détruits n’ont pas été réhabilités dans certaines communautés. C’est le cas de Maravilha, qui est une ancienne plantation de caoutchouc située sur le territoire Mura. Les inondations y ont détruit une école et un poste de santé.

Les services n’ont jamais été rétablis : les riverains ont commencé à être pris en charge dans un village construit pour reloger tout un quartier de l’autre côté de la rivière, atteint par un port de vraquiers de soja. Toutefois, les habitants de Maravilha ont expliqué la difficulté de se rendre dans ce nouveau village, surtout pour qui ne dispose pas de moyen de transport propre. Ils ont expliqué s’être maintenus en vie, pendant la pandémie, avec des remèdes traditionnels de la forêt, sans aucune aide publique.

Lorsque nous avons demandé à ces personnes si, dans cette situation en 2014, elles avaient reçu une aide du gouvernement ou des entreprises hydroélectriques, elles ont répondu n’avoir reçu aucun dédommagement pour ce qu’elles avaient perdu. Et les pertes ont été énormes : de nombreuses personnes ont perdu tout ce qu’elles possédaient et n’ont bénéficié d’aucune aide publique pour récupérer quoi que ce soit.

Dans le cas de Dona Nair, elle a déclaré : "Les entreprises responsables ne sont pas du tout venues ! Le gouvernement lui, a quand même envoyé un panier alimentaire de base, un peu d’eau, voilà ce qu’ils ont apporté". Elle a raconté qu’elle avait même contracté le paludisme et avait été très malade : "J’étais sur le point de mourir. Je suis partie à Porto Velho. La dame de la pharmacie a même cru que j’allais mourir là".

Lors de l’inondation de 2014, de nombreux habitants de la Basse Madeira ont perdu leurs champs et les familles de ces communautés ont été amenés à s’impliquer dans l’orpaillage pour vivre. "Nous avons perdu des avocats, d’autres choses, des jacquiers... Des noix de cocos cupuaçus, il y en avait beaucoup, puis plus rien, il n’y en a plus du tout ! Il ne reste qu’un seul arbre qui ne donne rien", dit Dona Nair. "Et si vous plantez quelque chose après cette inondation, je ne sais pas si c’est à cause du sable. Je sais que ce qui pousse bien, c’est le manioc et le cassave ; mais, quant aux autres plantes, vous les plantez, quand vous croyez qu’elles vont pousser, elles meurent. Nous n’avons pas réussi à récupérer quoi que ce soit après l’inondation".

Selon Dona Nair, les riverains ont entendu des rumeurs à l’époque selon lesquelles ils recevraient une indemnisation en raison de la perte de leurs plantations. "Ils ont dit qu’ils allaient tout indemniser pour que nous puissions reconstruire nos maisons. A ce jour, rien ne s’est passé ! Rien ! Un juge est bien venu chercher nos noms, prendre des photos, pour faire un rapport d’expertise, mais cela n’a rien donné ", dit-elle. Elle a ajouté que ce qui a été récupéré est le fait des riverains eux-mêmes : "Les petites choses qui ont été faites, c’est avec ce que l’on a sorti de nos poches "

La construction de barrages hydroélectriques sur la rivière Madeira, qui a débuté en 2008 - après une procédure d’autorisation environnementale contestée par la société civile, des chercheurs indépendants et le Ministère public fédéral - apparaît comme un tournant dans la vie des personnes avec lesquelles j’ai parlé dans la région de la Basse Madeira. Ils parlent tous de la perte de qualité de vie, de la destruction des terres agricoles, du déclin de l’éducation scolaire, de la santé, de la contamination et du manque d’eau potable et, ce qui est le plus ironique, du manque d’électricité de qualité. À quelques kilomètres en aval des deux grands barrages hydroélectriques, d’une puissance installée de plus de 7 300 mégawatts, les populations traditionnelles et les peuples autochtones vivant le long du fleuve n’ont pas accès à l’électricité. Les communautés utilisent, jusqu’à aujourd’hui, des groupes électrogènes alimentés au gazole.

Lorsque nous avons rendu visite à Raimundo Junior, leader de la communauté de Bonfim (qui fait partie du district de Nazaré), il travaillait à la construction de sa nouvelle maison. "Avant cette inondation, avant ce barrage hydroélectrique qui a fait tous ces dégâts, c’était très beau ici, beau paysage, c’était la forêt, on ne l’abattait pas. On la préservait. Puis, cette inondation est arrivée et a tout détruit. "

Júnior calcule les dommages qu’il a subis en raison de l’inondation de 2014 : "J’ai perdu à moi seul plus de 6 000 pieds d’açaí, des bananiers, des châtaigniers. Le gibier ! A la chasse, on tuait le gibier pour manger. Il n’y a plus rien. Notre source de revenus était l’agriculture, on faisait des bananes, de l’açaí, nous vendions les lianes de titica, le caoutchouc. Il n’y a plus rien ! Il n’y a plus rien, juste du "capoeirão", des arbustes, des lianes. Et maintenant, alors que ça revient, le commerce de l’açaí et du caoutchouc a disparu. Et les poissons du lac sont partis.

Comme Dona Nair, Junior dit qu’il n’y a eu aucun retour suite aux pertes causées par l’inondation de 2014, . Il nous explique comment des personnes comme lui ont commencé à se consacrer à l’orpaillage après les pertes : "Avant, nous vivions de l’agriculture, maintenant nous devons travailler dans les mines. Avant, il n’y avait pas d’orpaillage ici. "

Malgré les hausses et les baisses de prix du carburant et du prix de l’or lui-même, il explique que l’orpaillage s’est bien implanté ces dernières années parmi les habitants de la rivière. "Si vous ne travaillez pas, vous ne mangez pas, vous comprenez ? Vous pouvez voir à quel point le prix du diesel est élevé alors que le prix de l’or a baissé. Et ici, c’est comme ça, on continue à vivre. On fait ici, on travaille là-bas, on gagne là-bas, on perd là-bas, c’est comme ça", dit-il. "Nous avons été obligés d’aller dans les mines, c’est sûr. C’est où nous avons retrouvé un peu de ce que nous avions perdu". Pour Junior, il s’agit d’une "exploitation minière familiale" : "C’est ce qui nous permet de faire vivre notre famille, c’est tout. "

Le leader de la communauté a renforcé l’impression que, depuis le début de la construction des barrages hydroélectriques, la qualité de vie s’est dégradée dans la région : "Il y avait un bateau [au poste de santé] là-bas à Nazaré. Il y avait un poste de santé là-bas. Il y avait des médicaments. Maintenant, il n’y a plus rien. Depuis la construction des barrages jusqu’à aujourd’hui, la situation n’a fait qu’empirer", déplore-t-il. "Pour eux, c’est bien, ils envoient plein d’énergie aux étrangers. Mais pour nous, cette énergie là... On paie cent cinquante réaux ici, mec ! Et si vous dites quelque chose, le lendemain, ils vous arrêtent.

De nouveaux projets de mort

Qui assume la responsabilité de deux barrages sur la rivière et tous les problèmes qui en découlent ? "Où sont les droits humains ? Ne sommes-nous pas humains ?" : cette question a été posée par notre parente Neuzete, qui autrefois était fière d’être riveraine et qui, lors de nos dernières conversations, m’a dit que sa grand-mère était du peuple Parintintim. Elle n’a pas négocié avec les barrages hydroélectriques et, même après qu’ils ont eu démoli sa maison, elle a continué à se battre. Elle a été la dernière à quitter la communauté Trata Sério. Après cela, elle n’était plus heureuse, elle ne s’est pas adaptée aux rives de la rivière Garças, sa Madeira et les relations de parenté sur les rives de la grande rivière lui manquaient. Début 2020, sa grand-mère est morte sans voir ses droits dédommagés en rien.

En naviguant sur les eaux de la rivière Iruri, nous avons rencontré de grands connaisseurs et connaisseuses de la vie, qui perçoivent les changements intenses de ces dernières années à travers leurs expériences, en interprétant les mouvements des oiseaux, l’altération de la couleur de l’eau, les signes qui marquent le moment des plantations et des récoltes, le moment où les eaux claires se transforment en eaux sombres, le moment des basses et hautes eaux. Ils étaient consternés par ce changement dans notre temporalité, tout se passant désormais hors époque ; maintenant, avec deux barrages et l’ouverture et la fermeture des vannes, ils essaient de contrôler la rivière et nos vies.

Comme si cela ne suffisait pas, ils veulent nous faire avaler deux autres barrages : un binational, à Cachoeira do Ribeirão, à la frontière du Brésil et de la Bolivie, et un autre sur la rivière Machado, affluent de la rivière Madeira, qui affecterait la communauté traditionnelle de Tabajara. Mais, comme la rivière, nous résistons, malgré tous les projets de mort, appelés projets de "développement". C’est pour cette raison que, lors de la deuxième étape des entretiens, en août, nous nous sommes rendus à la communauté de Demarcação, au bord de la rivière Machado, touchée par l’inondation de 2014 et souffrant d’une pénurie de poissons.

En chemin sur les eaux de la rivière Preto puis de la rivière Machado, le jeune pilote, très expérimenté, pilotait prudemment le bateau, certaines parties de la rivière étant très peu profondes pendant la saison sèche. Nous avons pu voir de grandes zones déboisées, jusqu’aux berges des rivières ; à certains endroits, il y a encore des arbres, mais à quelques mètres de la rive, ils dévorent tout. Aller dans ces endroits nous donne l’impression d’être mangés vivants.

Malgré tout cela, nous avons croisé des personnes comme Zé Bob, un homme d’une grande sagesse. Même s’il ne se considérait pas comme tel, il est un chaman et connaît la médecine de la forêt. Il a reçu en rêve une pierre que son tuteur spirituel lui a donnée, et depuis, il a reçu le don de prier pour les gens et de préparer des remèdes en bouteilles, connus sous le nom de "garrafadas". Les membres de notre équipe de travail et moi-même avons reçu ses prières. Il nous a fait part de ses inquiétudes face à la menace que représente la construction du barrage hydroélectrique de Tabajara - d’ailleurs, ce devrait être considéré un crime de donner le nom d’un peuple autochtone à une telle entreprise.

Demarcação est également un ancien territoire autochtone, où une plantation d’hévéas avait été établie. Depuis que les pressions pour la construction du barrage hydroélectrique de Tabajara ont commencé, l’une des choses qui m’inquiètent ce sont les parents libres, appelés "isolés" par la FUNAI. Les personnes âgées de la Basse Madeira disaient les avoir vus lorsqu’elles allaient chasser, pêcher ou pratiquer une autre activité extractive dans la forêt.

Nous avons rencontré Antônio Lacerda, un homme de 64 ans qui vit à Demarcação depuis 50 ans. Il était originaire de la région connue sous le nom de Kapanã Grande, sur les rives de la rivière Madeira, entre Manicoré et Humaitá, municipalités de l’Etat d’Amazonas, où se trouvait l’un des anciens territoires des Mura, marqué sur la carte ethno-historique de l’ethnologue allemand Curt Nimuendaju, qui reste encore aujourd’hui un territoire Mura. Antônio est arrivé à Demarcação avec son père, originaire de Maranhão, et sa mère, fille de juifs, quand il avait huit ans, pour travailler dans la plantation d’hévéas. Il a raconté que quand il était enfant, il voyait encore les Mura qui vivaient librement à Kapanã et venaient près des maisons des familles de seringueiros, des collecteurs de caoutchouc. Le tableau qu’il dépeint fait référence à l’époque où les plantations d’hévéas ont été créés sur les territoires mura, sur les rives de la rivière Madeira.

À son arrivée à Demarcação, où lui et sa famille vivent encore aujourd’hui, Antônio raconte qu’il est entré en contact avec un autochtone et sa famille qui y vivaient et qui faisaient déjà partie de la zone de plantation d’hévéas, vivant aux côtés des récolteurs de caoutchouc - cet homme s’appelait Vermundo. Outre ce contact, il dit avoir également eu connaissance de l’existence d’un groupe "isolé" dont on ne voyait que des signes dans la forêt.

Lorsque je lui ai demandé s’il existait encore un peuple autochtone isolé dans la région, il a répondu très précisément : "Oui, il en existe un ! Nous entrons dans la forêt et nous voyons de la paille coupée, cassée, c’est leur arrimage", décrit-il. "Mais ça fait longtemps qu’on n’en a pas vu : genre un an. Il y a eu une invasion de terres, cela a tout détruit. Ici, il y a longtemps, il y avait une très grande forêt. Aujourd’hui, on ne voit plus de forêt, il n’y a plus que des champs d’exploitants agricoles. Avant on ne voyait pas de jaguars, aujourd’hui on en voit au bord du ravin parce qu’ils n’ont nulle part où se cacher. Ils viennent donc au bord de la rivière.

Il a également parlé de l’abandon subi par la communauté en relation aux politiques publiques. " C’est difficile, ici c’est un village oublié, il n’y a plus aucune structure. Ce qui nous reste de bon, c’est cette lumière, mais le reste... À l’école, un professeur vient un mois, les cinq mois suivants personne ne vient. Au poste [de santé], le service est honteux. C’est pénible", dit-il.

Antônio a raconté qu’à l’époque, il avait perdu deux hectares de terre, des plantations de bananes, des cupuzeiros, ce qui était énorme. L’eau a emporté un grand champ et de nombreuses cultures. Lui et Dona Maria, une femme noire de 66 ans venue du Minas Gerais qui y vivait également, ont déclaré qu’après 2020, il n’y avait plus eu de grandes inondations. Autre préoccupation des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenus en ce qui concerne l’assèchement de la rivière, qui selon elles est également un changement environnemental qui s’est intensifié après la construction des barrages hydroélectriques. Je l’ai remarqué moi-même, au cours des cinq années que j’ai passées à remonter et descendre fréquemment cette rivière. J’ai constaté la difficulté de naviguer sur le fleuve en été, à cause du bas niveau des eaux, et des divers bancs de sable qui apparaissent à la même époque. En hiver, lorsque le volume d’eau dans le réservoir monte, les vannes des centrales hydroélectriques sont ouvertes, provoquant en aval des accumulations de troncs qui rendent difficile le passage des bateaux.

Les nouveaux barrages hydroélectriques prévus, en plus d’affecter directement divers territoires autochtones, comme ceux des parents Arara et Gavião à Ji-Paraná (à environ 370 km de Porto Velho), pourraient également avoir un impact sur les familles des Mura, des Apurinã et d’autres groupes autochtones vivant dans les communautés riveraines des fleuves Machado, Preto et Madeira et de tout leur bassin hydrographique. Ils peuvent également affecter directement les parents des Tenharim et, par conséquent, d’autres peuples autochtones des environs, comme les Mura eux-mêmes qui vivent sur les rives des rivières Madeira et Itaparanã dans l’Etat d’Amazonas, les Mura-Pirahã, les Jiahui et les Parintintim, ainsi que les groupes libres qui vivent encerclés d’envahisseurs dans cette région.

Une jeunesse séquestrée

Marlon, un jeune Mura de 24 ans qui connaît la forêt et les eaux, porte en lui, malgré son jeune âge, les enseignements transmis par son grand-père et sa mère. Il ne s’est toutefois pas retrouvé au sein de l’éducation formelle et fait partie des jeunes qui ont abandonné l’école à Nazaré. Bien qu’il continue à travailler dans les champs, à fabriquer de la farine et à extraire des ressources naturelles, lorsque la situation économique devient difficile, il se risque dans l’orpaillage.

Marlon voit cette activité comme un élément qui fait bouger l’économie des communautés : "Ceux qui ont un commerce vendent bien quand l’orpaillage est en activité", raconte-t-il. Malgré cela, il reconnaît les dommages causés par cette activité. " Ça contribue à détruire, non ? Je travaille dans les mines parce que c’est un moyen pour moi de survivre, mais je sais que cela nuit beaucoup à la nature, à la rivière, à l’environnement, à ceux qui survivent grâce aux poissons", admet-il. "Parfois, on déverse un peu d’’azougue’ [du mercure], ça s’échappe, ça tombe dans la rivière.

Outre le mercure, il a mentionné d’autres problèmes. "Vous creusez, vous arrivez à un certain point à une île. Vous creusez cette île et elle va finir par s’effondrer, et c’est là que les dégâts commencent. On dit que nous polluons aussi la rivière, que nous y déversons beaucoup de carburant", dit-il. "Il y a le diesel, il y a l’azougue qui nuit aux poissons, qu’on déverse, que les poissons mangent, puis on va manger ce poisson infecté. Je vois ça comme ça, sans orpaillage, pas de mercure qui pollue. Mais c’est comme ça, que peut-on faire ? Si je ne travaillais pas dans les mines, où est-ce que je travaillerais ?

Il nous raconte que les orpailleurs ont "dû quitter" la région en raison de la récente opération de police qui a eu lieu en octobre : "Personne n’était au courant de cette opération ordonnée par le gouvernement. Du bord de la rivière, ils ont menacé de tout faire sauter, nous ordonnant de partir, et que si nous ne partions pas, ils allaient nous faire exploser”.

Il nous a expliqué que ce sont les petits orpailleurs qui ont le plus souffert de cette opération : " Ce sont les ’balsinhas’ (petits radeaux) qui ont le plus explosé, les dragues n’ont pas été nombreuses à être explosées, et les ’ricão’ (très riches) ne se sont pas fait exploser. "Ils gagnent beaucoup d’argent, beaucoup plus que nous ; on est loin de ce qu’ils gagnent. Et la police s’est concentrée sur nous, les habitants de la rivière ", a-t-il protesté. Les petits orpailleurs, selon lui, ont dû fuir. "Ceux qui ont pu partir, sont partis, en laissant leurs vêtements, en laissant tout", a-t-il raconté.

Je laisse les mots de Marlon Mura clore ce reportage. Comme tant de jeunes, il a été " séquestré " par l’orpaillage, car aucune autre possibilité de vie ne s’offrait à lui. Cela ne justifie pas la pratique de l’orpaillage, car, comme ses propos le montrent, une fois de plus, ceux qui ont le plus souffert, ce sont ceux qui ayant tout perdu avaient investi dans la construction d’un "radeau familial", comme l’appellent les riverains qui travaillent dans l’orpaillage.

Pour retourner à Porto Velho, comme il n’y avait pas de bateau qui descendait la rivière, nous sommes remontés en bateau et avons voyagé une partie d’une pituna puranga (belle nuit) de pleine lune très étoilée, jusqu’à ce que nous débarquions à Humaitá, dans l’Etat d’Amazonas. Puis, le bateau a poursuivi sa route en amont de la rivière jusqu’à Manicoré, où vivent de nombreux Mura. Quant à nous, nous avons pris un bus pour retourner par voie terrestre à Porto Velho, ville où les Mura renaissent, pour nous rappeler notre territoire de mémoire.

Autres côtés

Près de neuf ans après les grandes inondations de 2014, avec des conséquences qui, comme nous l’avons vu dans le reportage, impactent encore aujourd’hui les riverains et les autochtones de la Basse Madeira, les tribunaux n’ont pas définitivement décidé s’il y avait une quelconque responsabilité des centrales hydroélectriques de Jirau et Santo Antônio concernant les dommages causés par les inondations.

Une action civile publique (ACP) déposée par le Ministère public fédéral est toujours en cours devant la Cour fédérale à Rondonia, demandant, qu’en raison des inondations, les études d’impact environnemental liées aux centrales (EIA/RIMA) soient refaites, élargissant éventuellement les zones d’influence directe prévues dans ces documents. Dans la décision la plus récente, en juillet 2022, le juge Dimis da Costa Braga a ordonné une nouvelle expertise pour déterminer si l’EIE/RIMA a été effectivement refaite, conformément à l’injonction précédemment émise dans l’affaire, et quelles populations, selon les nouvelles études, devraient ou non être intégrées dans les processus de compensation et de relogement.

Santo Antônio Energia a envoyé une note à Agência Pública, soulignant que "plusieurs expertises engagées" ont prouvé que les inondations de 2014 étaient le résultat de volumes de pluie élevés observés dans le Centre-Nord de la Bolivie et le Sud-Est du Pérou. La centrale fonctionnant au "fil de l’eau", la société a précisé qu’au moment des inondations, le réservoir a simplement maintenu son niveau stable.

La société a également cité deux procès récents, intentés individuellement par des habitants de la région touchée par les inondations, dans lesquels, dans des décisions collégiales, à la majorité, la Cour de justice de Rondônia a reconnu qu’il n’y avait aucun moyen d’établir un lien de causalité entre le fonctionnement des usines et les inondations de 2014.

Jirau Energia a déclaré avoir compris que, selon "l’interprétation des organismes de réglementation", il n’y a "aucun lien entre les inondations et l’existence de projets hydroélectriques sur la rivière Madeira".

Voir en ligne : Descendo o rio ancestral – a vida antes e depois das hidrelétricas no Madeira

Couverture : Glissement de terrain dévorant une partie de la berge dans le district de Calama, après la construction d’un barrage hydroelectrique. - Agabawe (Iremar)

[1Ce mot d’origine Tupi est la dénomination du Brésil par les peuples autochtones des Andes et de la pampa.

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