Ne nous leurrons pas une nouvelle fois : notre fragile démocratie est toujours en danger.
Je me souviens du gouvernement de João Goulart et de ses propositions de réformes fondamentales, au début des années 1960. Les ligues de paysans [1] organisaient les soulèvements des habitants du Nord-Est. Les syndicats défendaient ardemment les droits acquis pendant la période Vargas. L’UNE [2] était redoutée pour son pouvoir de mobilisation de la jeunesse.
L’inquiétude de l’élite brésilienne était évidente. Elle a donc commencé à conspirer en se structurant au sein de l’IBAD [3], de l’IPES [4] et d’autres organisations, jusqu’à ses premières manifestations lors des Marches des Familles avec Dieu pour la Liberté [5]. Cependant, le Parti communiste brésilien continuait à rassurer ceux qui commençaient à entendre le bruit des bottes - Jango [6] était censé être soutenu par un dispositif militaire nationaliste. Et pourtant, en mars 1964, se produit le coup d’État militaire. Jango fut renversé, la Constitution piétinée, les institutions démocratiques réduites au silence et Castelo Branco assuma la présidence sans que les putschistes n’aient tiré un seul coup de feu. Où étaient alors les "masses" engagées dans la défense de la démocratie ?
Je connais bien les milieux militaires. Je viens d’une famille militaire du côté de mon père. Mon arrière-grand-père était amiral, mon grand-père était colonel, mes deux oncles étaient généraux et mon père était juge au tribunal militaire (heureusement, il a pris sa retraite au moment du coup d’État).
Ces gens-là vivent dans un monde à part. Ils quittent leur maison, mais pas la caserne. Ils fréquentent les mêmes clubs (militaires), les mêmes restaurants, les mêmes églises. Beaucoup se considèrent comme supérieurs aux civils, alors qu’ils ne produisent rien. Ils ont pour modèle les forces armées américaines et pour idéologie, un anticommunisme farouche. C’est pour cette raison qu’ils ne respectent pas les limites de la Constitution définissant et délimitant leurs responsabilités : la défense de la patrie contre les ennemis extérieurs. Ils sont, en fait, beaucoup plus préoccupés par les "ennemis intérieurs", les communistes.
Bien que l’Union soviétique se soit désintégrée, que le mur de Berlin se soit effondré, que la Chine soit devenue capitaliste, tout ce qui ressemble à une pensée critique est suspecté de communisme. Ceci, parce que, dans le milieu militaire, règne la discipline la plus despotique, le sens critique n’y est pas admis et l’autorité incarne la vérité.
Le Brésil a commis l’erreur de ne pas enquêter sur les crimes de la dictature militaire et de ne pas punir avec fermeté les coupables de torture, d’enlèvements, de disparitions, de meurtres et d’attentats terroristes, contrairement à ce qu’ont fait nos voisins, l’Uruguay, l’Argentine et le Chili. Allez donc voir le film "Argentina, 1985", avec Ricardo Darín, réalisé par Santiago Mitre. C’est ce que nous aurions dû faire. Le résultat de cette grave omission, estampillée "amnistie réciproque", est en fait, cette impunité et cette immunité qui ont fini par accoucher du gouvernement toxique de Bolsonaro.
Je ne suis pas d’accord avec l’opinion selon laquelle la droite brésilienne n’est “ressortie du placard” qu’au cours de ces dernière années. Sans remonter jusqu’à la période coloniale, avec ses plus de trois siècles d’esclavage et le massacre systématique des indigènes et de la population paraguayenne au cours d’une guerre injuste, notre devoir est de nous souvenir de la dictature de Vargas, de l’Estado Novov [7], de l’Intégrisme, du TFP [8] et du coup d’État de 1964.
Le silence assourdissant des militaires face aux actes terroristes perpétrés par les putschistes, le 8 janvier dernier, devrait nous donner à réfléchir. La complicité ne se réduit pas aux agissements, elle inclut aussi les omissions. Et ces agissements étaient bien là, comme dans le cas de l’appui du commandement militaire aux campements autour des casernes et de l’attitude du colonel de la garde présidentielle qui a ouvert les portes du Planalto [9] aux vandales, il a même réprimé les policiers militaires qui ont tenté de les contenir.
"Le prix de la liberté, c’est la vigilance éternelle", dit l’aphorisme que j’entends depuis mon enfance. Nous, défenseurs de la démocratie, ne pouvons pas baisser la garde. Le bolsonarisme a diffusé une culture nécrophile imbibée de haine qui ne donnera jamais de répit ni à la démocratie ni au gouvernement Lula.
Notre réaction ne doit pas être de répondre avec les mêmes armes ou de nous réfugier dans la peur. Il nous appartient de renforcer la démocratie, notamment les mouvements populaires et syndicaux, les revendications identitaires, la défense de la Constitution et des institutions, empêchant ainsi les nostalgiques de la dictature de tenter de la ressusciter.
Le passé n’est pas encore passé. La mémoire ne devra jamais l’enterrer. La seule à pouvoir le faire, c’est la Justice.