De la lutte sociale à la lutte raciale (2)

Brésil : la couleur de l’exploitation

Dans le passé, le besoin d’inclure des Non-européens au système de domination coloniale portugaise a empêché que les classes dominantes assoient également leur domination sur la rhétorique de l’exclusivisme racial, comme dans les colonies anglo-saxonnes. L’Empire brésilien, bien que pareillement fondé sur l’exclusivisme racial, a au moins inclu dans sa Constitution des références à la diversités des races.

Après 1930, surtout, le discours dominant au Brésil a été l’idéologie de l’identité nationale, ce qui n’excluait pas des propositions de hiérarchie raciale et sociale. Le concept de communauté nationale a développé un contenu progressiste dans le contexte de conformation multiraciale des classes travailleuses brésiliennes, formée de descendants d’Européens, d’autochtones, d’Africains et de multitudes d’individus nés du mélange de ces communautés-là et d’autres.

Dans le Brésil moderne, il n’y a jamais eu d’exclusivisme racial dans l’exploitation du monde du travail, bien que dans certaines régions le rôle de sous-prolétariat incombait essentiellement à la population noire. La division du pays en Blancs exploiteurs et Noirs exploités est une bêtise idéologique basée sur une grossière manipulation des statistiques, tel que l’a signalé César Benjamin dans le brillant article "Racismo não" (Caros Amigos, septembre 2002). Il est aussi boiteux de laisser entendre que le travailleur blanc est privilégié par la sur-exploitation du Noir ce qui, en réalité, disqualifie la valeur et la capacité contractuelle générale du travail.

La racialisation de la société brésilienne est un exotisme politique introduit dans les années 1990 par des organisations américaines désintéressées comme la Fondation Ford. Elle a annoncé la fin des classes sociales et a proclamé que le Brésil, tout comme son grand frère du Nord, serait composé non pas de classes sociales mais de communautés de descendants d’Africains, de Portugais, d’Italiens, etc., avec des valeurs culturelles uniques et différentes de celles des autres groupes ethniques.

Lutte raciale

Dans le nouveau scénario de la lutte raciale, la question ne serait pas de mettre fin à l’exploitation sociale, mais de démocratiser le privilège sur le plan racial. La lutte raciale justifie l‘avancement d’individus en particulier même au prix de l’oppression, ne serait-ce que pour améliorer l’estime de soi des membres de sa communauté qui resteront plongés dans la marginalité. Un descendant d’Africain ou de Portugais qui habiterait le long de la Vieira Souto serait une revanche pour ses frères de race condamnés à vivre jusqu’à la mort dans des baraques dans la favela de Rocinha.

La proposition de racialisation de la société brésilienne est rentrée comme une lame chaude dans du beurre frais, étant donné la forte perte des valeurs universalistes, rationalistes, socialistes, etc., causée par le succès de la contre-révolution néolibérale à la fin des années 80. De larges pans de la gauche l’ont acceptée sans critique, comme faisant partie des nouvelles et anciennes sensibilités environnementalistes, féministes, anti-racistes, etc.

Le mouvement noir qui, comme les autres pans de la gauche au Brésil, a toujours peiné à établir des liens avec la population marginalisée, prend à coeur la proposition de racialisation de la société qui lui promettait des fonctions représentatives face à l’Etat et des victoires ponctuelles surtout pour ses classes moyennes, même si elle ne propose rien à l’immense population d’afro-descendants marginalisés. Dès lors, pour la joie du grand capital, s’affirme la proposition de la lutte sociale isolée par la division raciale de la misère, à la place d’un combat unitaire pour des droits étendus pour l’ensemble de la population.


Par Mário Maestri, qui se consacre depuis trente ans, à l’histoire sociale de l’esclavage noir au Brésil. Il a écrit, entre autres, “O escravismo no Brasil”, publié par l’Editora Atual.

Source : Correio da Cidadania - juillet 2006

Traduit par Monica Sessin pour Autres Brésils


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