Dans le Rio Grande do Sul, des autochtones craignent de quitter leurs maisons et de perdre des territoires à cause des inondations

Source : Agencia Pública
Par Fernanda Canofre, 5 Juin 2024
Traduction : Bertrand Carreau
Relecture : Marie-Hélène Bernadet

À environ 60 kilomètres de Porto Alegre, à Capivari do Sul, au bord de l’autoroute RS-040 et à proximité d’un pont, la rivière Capivari a envahi trois maisons de la communauté Guarani Araçaty, qui vit dans la région depuis près de 40 ans.

Les vidéos qu’ils ont prises montrent de l’eau suffisamment haute pour tremper les lits et les vêtements et endommager les ustensiles et les appareils électroménagers. Les familles ont dû se réfugier dans la petite école du territoire, en attendant que les eaux se retirent. Il s’avère qu’il s’agit d’une zone récupérée , sans démarcation. Quitter le territoire peut signifier ne pas y revenir.

« Ce que nous pensions, c’est que si nous allions là-bas [au refuge] et revenions, ils feraient quelque chose [avec notre terre] pendant ce temps. C’est pourquoi nous n’y sommes pas allés » explique le chef Rafael Cáceres, 34 ans, qui vit dans la région depuis environ 20 ans. « Nous espérons également un autre [territoire] et une délimitation. Le chemin n’est qu’à 10 mètres de la grande route, c’est très dangereux. C’est tout petit. Nous ne pouvons rien planter, nous n’avons qu’un potager à l’école.’’

Avec les pluies répétées de mai, les maisons de la communauté ont été inondées à plusieurs reprises. Depuis 2012, ils attendent les progrès d’un groupe de travail créé par la Fondation nationale des peuples autochtones (FUNAI) pour étudier l’identification et la délimitation des terres, ainsi que les avancées du processus de démarcation. Une histoire qui se répète avec d’autres communautés autochtones à travers l’État.

À Lami, au sud de Porto Alegre, la communauté de Pindo Poty, qui attendait le début de l’étude en 2012 pour entamer le processus de démarcation, a également été touchée par des inondations qui ont contraint les Mbya Guarani à trouver un refuge. D’après eux, une quinzaine de familles vivent sur le territoire. Il y a environ trois ans, le Conseil Missionnaire de l’Indien (CIMI) a dénoncé les tentatives d’invasion et de subdivision de la zone où se situent les terres récupérées.

Les peuples autochtones affirment que les inondations ne sont pas inédites là-bas, mais pas au niveau actuel. Cette fois, après s’être réfugiés quelque temps dans une église, également au sud de la capitale, ils ont préféré regagner le territoire dès que les eaux se sont un peu retirées. Joenia Wapichana, présidente de la Funai, leur a rendu visite début mai, alors qu’ils étaient encore au refuge.

« Tout a été mouillé, l’eau était déjà à l’intérieur de la maison, elle a emporté des chaises, des casseroles. Certains d’entre eux ont perdu des poules, ou des chiots. Les fois précédentes, ce n’était pas aussi dramatique », raconte Andrea Martins, 42 ans, qui vit à Tekoá (village guarani).

« Nous avons besoin de la démarcation, car si notre terrain est délimité, nous pouvons l’occuper plus complètement, là où l’eau n’arrive pas », explique le chef Roberto Ramires.

Un rapport daté du 22 mai, du Secrétariat à la Santé l’Indien (SESAI), rattaché au Ministère de la Santé, souligne que 16 691 autochtones ont été touchés par les inondations du Rio Grande do Sul, directement ou indirectement, soit un total de plus de cinq mille familles. La FUNAI, qui a publié début mai un inventaire de la situation des communautés, cite le cas de villages dont les habitants ont été déplacés, d’autres villages transformés en îles (n’étant plus accessibles en raison de routes coupées ou de ponts effondrés) et de personnes affectées par les inondations. Interrogée par l’Agência Pública pour une mise à jour, la FUNAI n’a pas répondu.

La Défense civile de l’État ne confirme pas s’il y a des autochtones parmi les 172 décès enregistrés ou parmi les 42 personnes disparues confirmées au 3 juin, car aucun détail de profil n’a été communiqué.

Selon le Ministère des Peuples Autochtones (MPI), dans les « polos-bases » [1] de l’État, on a signalé « des impacts sur la communication, sur l’approvisionnement en électricité dans les maisons et dans les centres de santé, les dommages aux systèmes d’approvisionnement en eau (SAA) et aux structures des services de santé, des besoins d’évacuation et des difficultés d’accès aux villages ». Six des sept « polos-bases » du Rio Grande do Sul comportent « des villages partiellement ou totalement isolés, 45 villages au total, où l’on dénombre 11.743 autochtones et 3.581 familles, répartis dans 30 municipalités », selon le ministère. Nous n’avons pas pu obtenir de réponse quant au nombre de villages situés dans des zones non délimitées. Le ministère affirme avoir commencé à distribuer des paniers alimentaires de base le 14 mai et recenser les municipalités qui ont inclus les communautés autochtones dans leurs plans d’urgence.

« A l’heure actuelle, notre préoccupation est la nourriture. Il y a des villages qui n’ont pas été affectés par la pluie, mais qui sont situés loin des villes. La pluie ayant détruit la route, ils ne peuvent pas y faire leurs courses, ni aller y vendre leur artisanat, alors que de nombreuses familles dépendent de ces revenus’’, explique Hélio Gimenez Fernandes, de la Commission Yvyrupa Guarani.

La commission, qui représente les peuples autochtones de six États, a publié dès le mois de Mai une lettre ouverte, avec d’autres mouvements et des soutiens du mouvement « Articulação Indigenista » [2], au sujet de la situation dans le Rio Grande do Sul. Parmi leurs revendications, outre les demandes d’intervention d’urgence et de coordination face à l’urgence climatique, ils demandent que les terres qui appartiennent à l’État de Rio Grande do Sul et qui sont actuellement habitées par des peuples autochtones soient converties en Réserve, ce qui serait rendu possible par la suspension [3] du remboursement de la dette de l’État du Rio Grande do Sul envers l’Etat Central.

« Nous avons 67 villages ou camps, et il n’y a que cinq zones guarani délimitées dans le Rio Grande do Sul. Il y a des zones que l’État nous a prêtées dans le cadre d’accords qui arrivent à expiration, et qu’il pourrait demander à récupérer. La plupart des zones occupées par les Guaranis appartiennent à l’État », explique Hélio.

Dans l’émission Roda Viva, le 20 mai, le gouverneur Eduardo Leite (PSDB), répondant à une question sur les projets de son gouvernement pour garantir l’assistance aux communautés autochtones, a affirmé qu’elles « sont considérées avec la même affection, la même attention que nous devons accorder à chaque citoyen, que ce soit en milieu urbain, en milieu rural ou vis à vis de populations spécifiques ». Dans une note envoyée à Pública, le gouvernement de l’État a déclaré qu’il était au courant de la lettre, publiée par l’Articulação Indigenista, qui liste « les localités et les communautés autochtones dans le besoin et vers lesquels elle demande de flécher les dons ».

Concernant la question foncière, la note souligne que les titres de propriété appartiennent à l’Union [4], mais affirme que [le gouvernement du RS] a soutenu les communautés via le Secrétariat de l’Habitat et de la Régularisation Foncière (SEHAB) et ’’aux côtés du Tribunal Fédéral dans les démarches menées pour que le bois des arbres tombés dans les zones de forêt nationale (FLONA) soit destiné à la production de logements autochtones.

Le voyage de Kretã Kaingang

Kretã Kaingang s’est rendu dans différentes régions de l’État pour vérifier la situation des communautés autochtones touchées par les inondations. Il reconnaît qu’il existe une crainte, parmi ceux qui vivent dans une zone non délimitée, de quitter le territoire récupéré, mais il cite des cas d’urgence qui n’ont pas laissé le choix aux communautés, comme le cas du village de Pekuruty, qui compte sept familles et vit depuis environ 15 ans sur les rives de la route BR-290, à Eldorado do Sul. La commune, voisine de la capitale du Rio Grande do Sul, a eu plus de 90 % de son territoire inondé. "Nous savons que l’État peut utiliser cela pour empêcher ces communautés de retourner sur ces territoires", déclare Kretã, coordinateur exécutif de l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB) pour le compte de l’Articulation de la région Sud ( ArpinSul). « Porto Alegre était une capitale entièrement autochtone, peuplée par les tribus Kaingang et Guarani. Aujourd’hui, parmi les communautés du Grand Porto Alegre, 70 % d’entre elles sont encore en train de régulariser la question de la démarcation des terres, et ce sont celles qui ont été les plus touchées et qui ont subi le plus de problèmes en raison de cette catastrophe », dit-il. Les Mbya Guarani de Pekuruty ont dû quitter la région début mai, après que la rupture d’un collecteur d’eaux pluviales ait inondé les maisons de leur communauté. Pendant que les autochtones se trouvaient dans des abris de la commune, le Département national des infrastructures de transport (DNIT) a démoli les bâtiments du village. Selon le DNIT, il s’agissait d’une action en urgence pour rétablir la connexion entre Porto Alegre et d’autres régions de l’État et permettre l’accès à l’aide humanitaire. L’entité publique déclare que les constructions seront refaites dans une zone sûre, qui sera approuvée par la communauté et par la FUNAI, comme cela était déjà prévu par le Plan Environnemental de Base de l’Indien (PBAI) dans le cadre des travaux de doublement de la BR-290. Le DNIT souligne également que le déplacement des maisons n’est pas lié à ces travaux.

Le Ministère Public Fédéral (MPF) du Rio Grande do Sul déclare avoir entamé une procédure pour exiger des informations sur l’incident. ’’L’objectif du MPF n’est pas seulement d’exiger du DNIT la restauration immédiate du village dans un lieu à définir par les autochtones, mais aussi de tenir l’organisme responsable des dommages matériels et moraux causés à la communauté, qui a vu son école, ses maisons et ses biens meubles détruits’’, déclare le Parquet, dans une réponse envoyée à Pública.

Dans tout l’État, il existe des zones où les familles sont obligées de vivre dans des zones dégradées et à risque, car elles n’ont pas accès à la zone qui doit encore être délimitée, explique Roberto Liebgott, de la coordination du Conseil missionnaire l’Indien (CIMI) pour la région Sud. « S’il y avait un emplacement délimité, ils n’auraient pas besoin d’être déplacés et les communautés seraient installées dans des endroits moins à risque. Nous ne pouvons pas affirmer que cela résoudrait une situation catastrophique comme celle-ci, mais cela apporterait plus de sécurité », dit-il. La communauté de Pekuruty a quitté le refuge d’Eldorado le 19 mai et, avec le soutien de la Commission Yvyrupá et les fonds collectés grâce aux dons, elle a reconstruit quatre maisons pour le village, grâce à un chantier de construction solidaire, dans un endroit proche du précédent. En attendant, ils se sont installés dans un village voisin, avec des tentes de secours fournies par l’armée. « L’État a l’obligation de délimiter ces terres. Le gouvernement de l’État doit, d’une manière ou d’une autre, y participer afin que cela puisse être régularisé, de même que les municipalités. Il faut donc que ce soit une problématique gérée collectivement, aujourd’hui, afin que les peuples autochtones puissent voir leur droit sur leurs terres garanti.

Cela donne pour l’instant l’impression que nous, les peuples autochtones, nous sommes des étrangers dans notre pays ; que celui qui est pourtant le Brésilien authentique est traité comme un envahisseur », dit Kretã. « La végétation a été d’une grande aide, elle n’a pas laissé la rivière passer »

Dans la région nord du Rio Grande do Sul, les communautés situées sur des terres autochtones déjà délimitées ont également été touchées par les inondations du fleuve. La plupart sont des Kaingangs. Dans le TI [5] Serrinha, qui compte une superficie de 12 mille hectares et un territoire à cheval sur quatre municipalités du Rio Grande do Sul, la montée des eaux a affecté des familles dans certains secteurs de la réserve, comme celui du vice-cacique Vanderlei Soares, 36 ans, où se trouvent une dizaine de familles.

Il raconte que les habitants ont vu leurs maisons inondées et perdu leurs meubles, mais sont restés sur place. Comme beaucoup de personnes touchées dans le Rio Grande do Sul, il affirme également n’avoir jamais vu l’eau atteindre les niveaux où elle est arrivée. « Il y a des gens dans mon secteur qui ont souffert deux fois. Ils ont subi la première catastrophe, ont tout nettoyé, sont rentrés chez eux et il a encore plu quelques jours plus tard, alors ils ont encore tout perdu », dit-il.

L’un des résidents les plus touchés est Miguel Sales, 61 ans, qui vit avec cinq autres membres de sa famille dans sa maison inondée par les eaux. « Nous n’avons pas les moyens de construire une autre maison, donc nous dépendons des uns ou des autres pour nous aider avec une couverture, d’un matelas. Mais c’est devenu précaire. Chez moi, j’avais laissé le lit, le matelas, la table, la cuisinière à gaz, et tout a disparu », raconte-t-il.

Dans le TI Rio da Várzea, d’une superficie d’environ 16 mille hectares et à cheval sur cinq municipalités, le débordement de la rivière a laissé certaines personnes de la communauté isolées pendant quelques jours et d’autres ont vu leurs maisons atteintes par les eaux. Le chef Antônio Moreira Venrog, 59 ans, souligne que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres terres autochtones délimitées de la région, il n’y a pas de location de terres pour les cultures dans la zone approuvée depuis 2003. Il se souvient d’une inondation historique dont ses parents ont été témoins, mais affirme n’avoir lui-même jamais rien vécu de tel sur le territoire.

« Nous sommes ici parce que nos grands-parents nous l’ont laissé. Nous devons respecter la nature. Parce que sans cette forêt et sans cet environnement, tout aurait pu disparaître avec cette inondation ; mais, Dieu merci, la forêt elle-même a retenu le fleuve", dit-il. « La brousse a été d’une grande aide car elle a résisté avec tous les moyens dont elle disposait, elle n’a pas laissé la rivière prendre le dessus. Nous sommes reconnaissants car nous prenons soin de cette forêt, afin que plus tard nos enfants et petits-enfants n’aient pas à passer par des difficultés comme nous. Nous ne savons pas si dans 15 ou 20 ans la même inondation ne se répètera pas.

Lors de sa première visite dans l’État en pleine période d’inondation, début mai, la Présidente de la FUNAI, Joenia Wapichana, a déclaré au journaliste que la nécessité de prévoir les effets du climat, et d’avoir une discussion sur des plans d’atténuation des risques et d’adaptation, aide à prendre conscience que les communautés autochtones sont parmi les plus touchées par la crise climatique. Interrogée sur l’importance de discuter de la démarcation dans le contexte actuel, elle a déclaré que la démarcation est un droit des peuples autochtones et une obligation prévue dans la Constitution. ’’Il est donc nécessaire de régulariser les terres autochtones, pour que les peuples continuent à exercer leur gestion durable, ainsi que leurs pratiques, qui aident la forêt à rester debout, qui protègent les sources d’eau, et qui font que la culture se transmet de génération en génération’’, a-t-elle déclaré.

Voir en ligne : Article original en portugais

[1centre de Santé Publique localisé dans les villages et destiné à fournir des soins aux populations autochtones

[2Association des entités représentant les peuples autochtones du Brésil. Existe au niveau national (APIB) et au niveau de l’Etat du Rio Grande do Sul (ArpinSul)

[3Pour permettre à l’Etat du Rio Grande do Sul de faire face aux besoins de reconstruction, l’Etat central lui a accordé en Mai 2024 un moratoire de 3 ans sur le remboursement de sa dette.

[4l’Etat Fédéral ou Central du Brésil

[5Terre / Territoire Autochtone

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