São Gabriel da Cachoeira (Amazonie) – Une petite salle au siège de la Fédération des organisations indigènes du Rio Negro (Foirn) a conservé – et partagé – un outil puissant pour la lutte contre la pandémie du coronavirus, la Covid-19 : l’information. Dans cet espace fonctionne le système de radio qui diffuse l’information sur la maladie à plus de 200 communautés du Alto Rio Negro qui font partie de la commune de São Gabriel da Cachoeira, dans le nord-est de l’Amazonie.
Il n’y a pas de registre de cas du nouveau coronavirus dans la région. Marivelton Baré, président de la Foirn explique comment l’association organise la prévention via la radio. 210 communautés disposent de stations de radio et chacune d’entre elles rediffuse l’information à plusieurs autres. « La radio est devenue un modèle de communication efficace le long du Rio Negro. En raison de la grande mobilité entre les communautés, le long des canaux ; cela permet également à celles-ci de faire passer les informations » dit-il.
Au total, environ 750 communautés de 23 groupes autochtones réparties sur un espace de 108 mille kilomètres carrés, sont desservies par la Foirn. Marivelton explique que la crise de la covid-19 a mis en évidence la nécessité d’un renforcement du système de communication. « Nous priorisons les communautés les plus éloignées, les communautés Hupda par exemple, qui ont plus de difficulté d’accès à l’information », explique-t-il.
Dans le studio de la radio, Edneia Teles, du groupe autochtone Arapaso qui fait partie du département de communication de la Foirn. Elle passe environ deux heures par jour à l’antenne. Le système utilisé pour tout type de communication donne la priorité aux clarifications concernant le coronavirus.
Du côté des destinataires, remontent des questions telles que « le corona, qu’est-ce que c’est ? » "la grippe commune peut être une forme de covid-19 ?", « quand peut-on se rendre en ville ? » "quand est-ce que l’école va reprendre ?" « il y a-t-il des cas de coronavirus à São Gabriel ? », « il y a des morts pour cause de coronavirus à Manaus ? » et « quand est-ce que les prestations sociales seront à nouveau versées ? » Voilà quelques une des questions posées par les autochtones qu’Amazônia Real a pu entendre. Par le biais de la radio également, les autochtones font part de leurs revendications ; ils veulent savoir si la municipalité va envoyer des cestas básicas [1] et du savon.
Armée des derniers décrets de la municipalité de São Gabriel da Cachoeira qui a déclaré l’état d’urgence sanitaire, Edneia Teles répond aux questions des autochtones. Par radio elle envoie le message :
"Si vous avez des doutes vous pouvez m’appeler. Les choses ne sont pas faciles. Et il s’agit de notre santé. Notre santé en premier lieu, celle de nos parents et de nos enfants".
Pour ses transmissions, la Foirn a pu compter sur l’aide de professionnels de la santé : biologistes, infirmiers et médecins. Nous avons également tenu à faire intervenir des personnes qui parlent d’autres langues autochtones telles que le Baniwa, le Tukano et le Nheengatu. Afin d’atteindre le plus grand nombre d’autochtones, l’Instituto socio-ambiantal (ISA) a élaboré des brochures d’information sur le coronavirus en Baniwa, Dãw, Nheengatu et Tukano en plus du portugais ; elles devaient être distribuées par les professionnels de la santé du District sanitaire indigène (Dsei) Alto Rio Negro.
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La Foirn tout comme la municipalité, incite les autochtones à rester dans leur village, évitant au maximum les déplacements vers la ville. Le paiement des prestations telles que la Bolsa Família [2] a été reporté.
A São Gabriel da Cachoeira, le 18 mars dernier, le maire Clóvis Moreira Saldanha a décrété l’état d’urgence sanitaire. Les commerces, à l’exception des supermarchés, boulangeries et pharmacies, sont fermés. Les services portuaires ont été suspendus, n’autorisant que quelques bateaux de marchandises. A l’aéroport, les vols ont été réduits. Les manifestations publiques et privées impliquant des regroupements ont été reportées. Les écoles sont fermées. La plage sur les bords du Rio Negro, toujours très fréquentée en fin d’après-midi, est maintenant déserte. Il n’y a pas encore de cas confirmés de covid-19 dans la commune.
Afin d’éviter le non-respect des normes, des opérations de police sont menées auprès de ceux qui insistent pour se regrouper.
En Amazonie, entre le 13 mars et ce jeudi (23 avril), le Secrétariat spécial de la santé indigène (Sesai) du ministère de la santé, a confirmé 38 cas de covid 19 parmi les populations autochtones relevant des districts sanitaires spéciaux (Dseis) de Manaus (19), Alto Solimões (12), Parintins (4) et Médio Purus (3). Trois autochtones des groupes Kokama, Tikuna et Sateré-Mawé sont morts du coronavirus en Amazonie. La population autochtone qui vit dans les zones urbaines n’est pas prise en charge par ces districts et c’est pour cela que les données concernant leur mort ne sont pas prises en compte dans les statistiques du Sesai.
Le médecin du Dsei, Guilherme Monção fut l’un des derniers invités de la Foirn. Il est également le médecin référent du Dsei, au sein du Comité de lutte contre le covid 19, créé par la municipalité de São Gabriel. « Ce que nous craignons, c’est l’information erronée. Les informations qui sont retransmises sont-elles justes ? La question des fausses nouvelles est également très fréquemment évoquée » explique-t-il.
Au cours de l’émission, Monção a répondu à plusieurs questions. Parmi celles-ci, la situation à Manaus et dans les villes de la région du Haut Rio Negro au-delà de São Gabriel da Cachoeira et de Santa Isabel do Rio Negro. Il a également parlé de l’importance de la prévention, du lavage des mains. Il a apporté des informations sur les symptômes de la maladie, donné des conseils aux professionnels de la santé. Il a apporté des précisions sur l’isolement social et insisté sur la nécessité de ne pas traverser les frontières avec la Colombie et le Venezuela.
Guilherme Monção est arrivé récemment à São Gabriel da Cachoeira après avoir passé 40 jours dans l’Alto Uaupés. Il a visité une vingtaine de communautés, certaines d’accès difficile et avec lesquelles la communication est compliquée. Il a rapporté que même dans les localités les plus isolées, l’information sur la covid-19, la « maladie de l’homme blanc », arrivent.
Le médecin explique que les autochtones ont en mémoire les autres maladies auxquelles les parents et grands-parents ont dû faire face, la rougeole par exemple. « Nous savons que n’importe quelle infection respiratoire a un impact très grand dans la communauté autochtone. Cette question d’immunité, de la grippe également, est transmise d’une génération à l’autre. Actuellement, ils ne sont pas préparés pour affronter cette maladie. Tout symptôme grippal peut conduire à une pneumonie. Et face à la covid, qui est plus grave, personne ne sait ce qui va se passer. Nous luttons pour qu’elle n’arrive pas jusqu’ici », dit Guilherme Monção.
L’idéal, selon le médecin serait de réaliser le test de la covid-19 dans au moins trois situations : celle où les patients présentent des symptômes grippaux et qui ont voyagé au cours des 14 derniers jours dans des lieux où sévit le coronavirus, celle où l’on a constaté des symptômes grippaux et des contacts avec des cas suspects, celle de patients porteurs de symptômes grippaux et de personnes ayant été en contact avec des personnes contaminées.
D’après lui, les peuples autochtones devraient recevoir une attention plus grande de la part des autorités. On crée un risque en appliquant les tests uniquement dans les cas graves comme on l’a fait à Manaus où le système de santé s’est effondré. « Nous n’allons pas réussir à contrôler ce qui va se passer dans les communautés. Car les gens veulent savoir quelles sont les communautés contaminées, celles qui ne le sont pas, et en cas de contamination, celles où l’on applique l’isolement collectif, l’isolement individuel. Notre réalité est différente, c’est celle de peuples autochtones. Elles sont d’accès difficile et demandent une logistique importante. Ce doute ne peut pas continuer », dit le médecin.