Covid-19 au Brésil : Oxfam organise un débat en ligne

 | Par Rede Brasil Atual

« C’est maintenant que nous allons payer le prix des inégalités sociales avec lesquelles nous vivons depuis tant de décennies, et acceptées au Brésil comme un fait quasi naturel (...)

Nous ne savons pas ce qui va se passer lorsque les 13 millions de Brésiliens qui vivent dans des conditions de logement et sanitaire précaires vont également être infectés. Mais nous allons l’apprendre douloureusement. » -
Drauzio Varella

Traduction de Patrick Piro pour Autres Brésils
Relecture Luc Aldon

São Paulo - L’oncologue Drauzio Varella affirme que le Brésil va connaître une « tragédie nationale » en raison du nombre de décès causés par la pandémie de coronavirus. « C’est maintenant que nous allons payer le prix de ces inégalités sociales avec lesquelles nous vivons depuis tant de décennies, et acceptées comme un fait quasi naturel. L’heure est venue de la facture », a déclaré le médecin à la journaliste Lígia Guimarães, de la BBC Brasil.

Si la maladie s’est principalement propagée dans le milieu des personnes ayant voyagé à l’étranger, « elle va inéluctablement se répandre dans les couches sociales les moins favorisées ». C’est ce que l’on constate à New York, aux États-Unis, où le virus provoque beaucoup plus de décès dans la population noire, en proportion, qu’en moyenne nationale.

« Nous ne savons pas ce qui va se passer lorsque les 13 millions de Brésiliens qui vivent dans des conditions de logement et sanitaire précaires vont également être infectés. Mais nous allons l’apprendre douloureusement. Je circule beaucoup dans le pays, on peut s’alarmer de la situation des quartiers périphériques de presque toutes les grandes villes brésiliennes. Vous entrez dans ces maisons, et c’est d’une telle pauvreté… », déplore le médecin.

Lieux inappropriés et logement indigne

Les inégalités résultent en grande partie du caractère « inappropriés » des lieux de vie de la population — résidences surpeuplées, chambres uniques, sans séparation division entre les chambres et les autres pièces. S’ajoutent à ces conditions de logement le manque de revenus, ce qui oblige les gens à sortir dans la rue pour trouver de quoi survivre. Selon Drauzio Varella :

Les droits ne peuvent pas être des marchandises. Le logement, la santé, l’éducation et la culture sont des droits fondamentaux pour la survie. Nous n’avons pas besoin de créer quoi que ce soit. Nous avons une constitution fédérale qui nous garantit ces droits. Apprenons à exiger ce qui est dans la constitution. J’entends beaucoup parler de désobéissance civile. Au contraire, nous devons faire preuve d’obéissance civile.

Lors du débat organisé par OxfamBrasil, la coordinatrice du Movimento Sem-Teto do Centro (MSTC) et du Frente de Luta por Moradia (FLM), Carmen Silva, a souligné que le logement décent est la "porte d’entrée" vers tous les autres droits sociaux, y compris la santé. « Un bâtiment abandonné est un problème de santé publique. Le manque de logement est un problème de santé. C’est un droit fondamental qui ne peut être refusé à aucun citoyen ».

Elle a affirmé que la précarité habitationnelle n’est pas une question exclusive des favelas et des périphéries des grandes villes. Elle souligne qu’il existe des cortiços et du sans-abrisme et de la misère dans le centre de São Paulo. Dans la même petite pièce, jusqu’à cinq personnes peuvent vivre, les adultes, les enfants et les personnes âgées partageant le même espace, ce qui facilite la transmission du covid-19 ainsi que d’autres maladies telles que la pneumonie.

Une enquête de l’Association brésilienne des promoteurs immobiliers (Abrainc), en partenariat avec la Fondation Getulio Vargas (FGV), publiée l’année dernière, indique que le déficit de logements dans le pays est de 7,78 millions de logements.

Pour Carmen, après l’occupation d’une propriété abandonnée qui ne remplit pas la fonction sociale de la propriété [1], la première chose à faire est de rendre au site des conditions d’hygiène pour les familles. Outre l’enlèvement des ordures et des gravats, les habitant·es font le calfeutrage des murs, pour contenir la propagation du bacille de Koch, bactérie qui provoque des pneumonies.

Tragédie nationale

Drauzio Varella explique avoir été « optimiste » au début de la crise, alors que les premières informations révélaient que le fort risque de létalité face au coronavirus concernait très majoritairement les personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques. Mais désormais, il se dit convaincu qu’il faut s’attendre à un très grand nombre de morts. « Et il y aura un impact considérable sur l’économie, sur le long terme ».

Selon le médecin, il n’est pas possible de prédire quand les mesures d’isolement physique pourront être assouplies. « Deux mois ? Trois ? Six ? Personne ne sait. Personne n’ose prendre une telle responsabilité. Nous ne savons pas. Il s’agit d’un nouveau virus, et nous n’avons jamais connu une telle situation. »

Létalité

Le médecin infectiologue Evaldo Stanislau Afonso de Araújo, de la Faculté de médecine de l’Université de São Paulo (FMUSP), souligne également que la létalité du coronavirus est plus élevée dans les quartiers périphériques, qui disposent de moins de structures de santé. Selon le bulletin présenté vendredi 17 avril par le service de santé municipal de São Paulo, les trois quartiers où l’on comptabilisait le plus grand nombre de cas font partie des plus riches de la ville. Et pourtant, les trois secteurs où l’on relève le plus grand nombre de décès se situent en périphérie.

« Cette inégalité devant la maladie est une autre de ses caractéristiques. La contamination affecte certes tout le monde, mais les classes les plus humbles et les populations des zones périphériques seront les principales touchées, plus que les personnes de meilleure condition sociale », commentaient Marilu Cabañas et Glauco Faria au Jornal Brasil Atual du lundi 20 avril (à partir de 33’25’’).

Confinement

Le confinement de la population, qui enregistrait mi-avril les taux les plus bas depuis le début de la pandémie, avec à peine 46,2 %, est aussi « parfaitement inquiétante », selon Afonso de Araújo. Il attribue ce recul aux discours « irresponsables » de certaines autorités, en particulier du président Jair Bolsonaro qui, dimanche 19 avril, ignorait une fois de plus les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en se portant à la rencontre de partisans rassemblés devant le siège des forces armées, à Brasília.

« Il semble que les gens se rallient à une telle position, qui défend une reprise généralisée de l’activité faute de quoi l’économie va souffrir. Mais pour que l’économie soit vivante et se développe, il faut d’abord qu’il y ait des gens vivants, ce que certains ne semblent pas comprendre… Notre première engagement, c’est de sauver des vies. D’abord gagner cette guerre contre le covid-19, et ensuite, rétablir le pays. »

Avec l’attitude de Bolsonaro, juge-t-il, le Brésil s’est aligné « sur les pires postures sanitaires dans le monde » face à la pandémie. Des rassemblements tels que celui du 19 avril à Brasília, et ailleurs dans le pays, réunissent les conditions d’une « chaîne parfaite » de transmission du virus, selon l’expert.

Drauzio Varella souligne également que la politique « d’isolement vertical », prônée par Bolsonaro et qui préconise de limiter le confinement sanitaire aux personnes âgées et aux malades chroniques, n’a été adoptée nulle part dans le monde. « Il n’y a aucune preuve qu’un tel isolement soit efficace, et c’est même probablement le contraire, parce que les Brésiliens sont grégaires et vivent proches les uns des autres, que vous pouvez être jeune, attraper le virus dans la rue puis le rapporter chez vous. À ce stade, ce que nous savons faire, c’est nous confiner tous. Et la crise économique, disent certains ? Mais elle est déjà là, la crise économique… »

Voir en ligne : Coronavírus : Drauzio prevê tragédia em função das desigualdades no Brasil

[1La Constitution Citoyenne de 1988 n’utilise pas l’expression «  droit à la ville  », mais réaffirme la fonction sociale de la propriété et introduit le concept de «  fonction sociale de la ville  ». Il s’agit de l’ensemble des mesures pouvant promouvoir l’amélioration de la qualité de vie moyennant l’organisation adéquate de l’espace urbain, afin d’assurer aux habitants l’accès non seulement au logement, mais aussi à l’ensemble des bénéfices économiques et sociaux très souvent restreints aux quartiers les plus aisés des villes brésiliennes. Dans la Constitution, le Statut de la ville est aussi reconnu mais la loi nº10257 n’a finalement été promulguée qu’en 2001, treize ans après la Constitution.

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