Vendredi 23 août 2019, l’association Autres Brésils a participé à un débat consacré à l’Amazonie lors de l’émission BFM TV Story. Nous remercions l’équipe pour cette invitation.
En présence de Ulysse Gosset et Jérémy Brossard, de la rédaction de BFMTV, et de Luis Fernando Serra, ambassadeur du Brésil en France, Erika Campelo, co-présidente d’Autres Brésils, a rappelé les enjeux majeurs liés à l’exploitation prédatrice de la forêt amazonienne : l’élevage de bétail et le soja Elle a notamment pointé du doigt les mesures prises par le président brésilien et les représentants de l’agrobusiness qui ont abouti à une situation de véritable guerre menée contre les peuples autochtones et qui conduisent le Brésil et le monde vers une catastrophe annoncée.
À cette occasion, l’association a été interpellée directement sur trois points. Vu la gravité du sujet, nous souhaitons apporter des éléments de réponses aux personnes qui ont suivi l’émission.
1. Les faits concernant les actuels incendies en Amazonie
2. Les prisonniers politiques et la censure
3. L’état de guerre contre les peuples autochtones
1. Les faits concernant les actuels incendies en Amazonie
Quelques données chiffrées ont été rappelées sur le plateau. Pourquoi c’est important ?
Il est indéniable, et un difficile consensus a d’ailleurs été atteint lors des Accords de Paris, que tous les pays dans le monde, Brésil inclus, ont adopté un modèle de développement qui a précipité le réchauffement de la planète et mis en danger l’existence de l’écosystème. Néanmoins, depuis janvier 2019, le gouvernement brésilien n’a eu de cesse de s’attaquer à ce constat. Bolsonaro a à maintes reprises nié et censuré les chiffres de la déforestation et des crimes commis contre les peuples autochtones, soutenu en cela par les groupes d’intérêts qui composent son gouvernement et la majorité parlementaire brésilienne. D’ailleurs, Ricardo Salles, le ministre de l’Environnement, a déjà montré par différentes mesures adoptées que son objectif premier n’est pas la préservation de l’environnement.
- Les budgets de l’Institut Brésilien de préservation de l’environnement (IBAMA) pour la prévention des feux de forêt ainsi que la fiscalisation de l’exploitation illégale des ressources naturelles ont été drastiquement coupés. La spéculation foncière en Amazonie est donc en roue libre au profit de la monoculture du soja et l’élevage bovin qui compte 210 millions de têtes de bétail.
- Par ailleurs, en août, un total de 262 pesticides ont été légalisés depuis janvier 2019, empoisonnant les sols, l’eau et les aliments. Le suivi des propriétés latifundiaires des élus brésilien est fait par l’Observatoire de l’agrobusiness et leur impact sur les politiques publiques par Reporter Brasil.
- Une bataille juridique est engagée pour que le ministère de l’Agriculture ne soit pas en charge de la démarcation des terres indigènes et quilombolas. Quoi qu’il en advienne, la Fondation pour l’Indien (FUNAI) et l’Institut National de Colonisation et de Réforme Agraire (INCRA) sont revenus sous le commandement d’un militaire, proche des intérêts de l’agro-négoce. Après la divulgation des données sur la déforestation, le directeur de l’Institut National de Recherche Spatiale (INPE), M. Ricardo Galvão, a été limogé et remplacé par un officiel des Forces Armées.
- Il est ici question de crime environnemental : 70 « fazendeiros » se sont organisés pour célébrer un « dia de fogo » (« Jour du feu ») en hommage à Jair Bolsonaro. La police fédérale a averti le ministre de la Justice, M. Sergio Moro. Le gouvernement est resté totalement inactif.
2. Prisonniers politiques et la censure
La perche a été tendue par l’ambassadeur du Brésil lorsqu’il a évoqué, pour la nier, la question des prisonniers politiques : 500 jours après son arrestation, il nous semble évident que tout le monde a pensé au prisonnier politique le plus connu du Brésil : Lula.
Il y en a bien d’autres.
- Depuis le coup d’État de 2016 qui a destitué la présidente Dilma Rousseff, les discours haineux et les violations des droits humains se sont intensifiés. Il existe des exemples de personnalités politiques,comme Jean Wyllys, et de professeurs universitaires, comme Debora Diniz, ayant décidé de quitter le pays en raison des menaces reçues. L’État, et notamment le pouvoir judiciaire s’acharnent à humilier publiquement certaines victimes de choix. Nous pensons en particulier à Rafael Braga ou à Carlos Luiz Cancellier. La violence politique a drastiquement augmenté pour l’ensemble des partis politiques, mais il est notable que de nombreuses personnalités politiques se voient refuser la protection de l’État, et se trouvent même menacé par l’exécutif de leur État respectif, comme la députée Renata Souza par le gouverneur de l’Etat de Rio de Janeiro ou la candidate au poste de gouverneur de Rio, Marcia Tiburi.
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- Les mouvements sociaux : ce sont les premiers accusés, sans indices. Et souvent incarcérés de manière abusive comme Preta Ferreira, et tant d’autres leaders du mouvement des travailleurs sans toit (MTST) à São Paulo. Les pouvoirs exécutif et judiciaire sont responsables pour la criminalisation des mouvements populaires historiques au Brésil, comme le Mouvement des travailleurs sans terre (MST).
Au-delà de ces violences directes, l’actuel gouvernement se montre également partisan d’un contrôle accru des opinions qui lui sont contraires. Ainsi, les exemples de censure se multiplient :
- Intervention irrégulière de l’exécutif dans la nomination des recteurs des universités fédérales (bastion de la recherche indépendante au Brésil).
- Remise en question de l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique lorsqu’il publie des données sur le taux de chômage et la censure de l’étude conduite par la fondation Fiocruz sur la consommation de drogues au Brésil. Les chiffres contredisaient le gouvernement.
- Plus récemment, le gouvernement brésilien et sa base parlementaire déploient l’ensemble de leur force pour censurer le journaliste Glenn Greenwald, rédacteur en chef du journal The Intercept et figure de proue des récentes révélations qui font chavirer l’image publique et la validé juridique de la campagne Lava Jato. Ce n’est pas le seul journaliste menacé, la journaliste Patrícia Campos Mello, autrice de l’enquête sur les campagnes de désinformation contre le Parti des Travailleurs sur Whatsapp a aussi subi des menaces. L’Association Brésilienne du Journalisme d’Investigation (Abraji) recense plus de 140 cas de menaces en 2018. Le programme Tim Lopes est une réponse des journalistes pour élucider les assassinats des journalistes au Brésil.
3. Guerre aux peuples autochtones et aux minorités politiques
La protection des citoyen.ne.s fait partie des devoirs de l’État. Les assassinats de leaders autochtones deviennent des assassinats politiques à partir du moment où ils sont perpétrés pour cause de leur activisme, destiné à la défense et à la préservation de leurs territoires.
- Candidat zélé de l’agro-business, des lobbies de l’armement et encensé par les lobbies néo-pentecôtistes, Jair Bolsonaro a mené une campagne présidentielle explicitement raciste et haineuse envers les minorités politiques. Une violence structurelle contre les peuples autochtones et les quilombolas, avec la population LGBTQI, qui est antérieure au nouveau président, mais qui s’intensifie du fait de la “nécropolitique” d’un gouvernement "carbo-fasciste".
- Emyra Wajãpi, assassiné par les orpailleurs au mois de juillet, rejoint une longue liste d’assassinats de leaders indigènes et de défenseurs des droits. Ils sont en augmentation comme les attaques contre les membres de la société civile, notamment le Mouvement des Sans Terre. Une campagne politique "Pas une seule goutte de plus" a été lancée au Brésil ; unetribune co-signée par des leaders du mouvement indigéniste du monde entier a été publiée sur le journal Le Monde [10 avril 2019].
Lors du 15ème Campement Terre Libre (CTL), en avril dernier à Brasília, l’Articulation de peuples indigènes du Brésil (APIB) affirme ainsi : « La Constitution fédérale de 1988 a établi le caractère multiethnique de l’État brésilien. Cependant, nous vivons le scénario le plus grave d’atteintes à nos droits depuis la re-démocratisation du pays. Regroupant les déclarations de plus de 300 peuples autochtones, l’APIB dénonçait les politiques d’extermination du gouvernement Bolsonaro. (« Nous résistons depuis 519 ans et nous continuerons à résister » [document final du CTL])
Au moment fort de ce rassemblement, un Front parlementaire mixte pour la défense des droits des peuples autochtones a été formé, composé de 219 parlementaires, agissant au Sénat et à la Chambre des Députés. C’est ce front qui a fait pression pour que des enquêtes soient menées sur l’invasion meurtrière de plus de 20 milles orpailleurs dans les territoires Yanomami et Wajãpi. C’est pour cela que l’association Autres Brésils a co-signé, en juillet, une tribune demandant au président Emmanuel Macron de ne pas signer l’accord de libre-échange entre les deux blocs, EU-Mercosur. Un accord qui met en danger la préservation de la forêt amazonnienne et le mode de subsistance des peuples autochones.
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La politique agricole et commerciale du Brésil, en tant que responsable de l’exploitation sans limite des ressources naturelles, de destruction de l’environnement et d’extermination des populations et groupes prêts à la défendre, n’a eu de cesse d’être pointée du doigt par l’association depuis ses débuts.
Porter la contradiction et le débat n’est pas une question de famille politique. Depuis une quinzaine d’années, Autres Brésils propose des traductions d’articles et des analyses de l’actualité brésilienne en français et organise des projections et des débats ainsi qu’un festival de cinéma documentaire, « Brésil en mouvements ». La question environnementale, l’Amazonie et les populations qu’y habitent sont, dans toute leur complexité, présents sur le site internet de l’association depuis bientôt 20 ans, que ce soit dans les films de la vidéothèque ou les nombreuses traductions.
Lorsque des groupes sont directement menacés, qu’il s’agisse de leur représentativité politique au travers des restructurations gouvernementales, ou d’une mise en danger réelle et imminente de leur vie par les actions directes de groupes d’intérêts associés au gouvernement, il est primordial de porter leur voix et montrer les atteintes subies, au regard des principes démocratiques et des droits humains.