Communauté de destin

<img242|left> En France, ils sont les descendants des colonisés. Au Brésil, leurs ancêtres étaient esclaves. Jeunes des favelas et des banlieues sont victimes d’une même stigmatisation.

Quelles sont les similitudes entre les favelas et certaines banlieues françaises ? En apparence aucune. Les favelas sont des quartiers conçus et construits par les habitants eux-mêmes. Une architecture vernaculaire - des petites maisons, des ruelles, aucune planification urbaine - qui s’oppose à l’architecture moderniste, celle des grands ensembles, barres d’immeubles regroupées par quartiers et quadrillés par des axes routiers.

Les premières favelas sont apparues au début du XXe siècle, lorsque, inspirée par le modèle haussmannien, la ville de Rio trace de larges avenues dans le centre, détruisant plusieurs quartiers populaires, faisant flamber les prix immobiliers. Les pauvres partent alors s’installer sur les collines ou dans les marais alentours. Les autorités tentent de raser ces quartiers. En vain. Cette politique d’éradication empêche cependant les favelas de sortir de la précarité. Les occupants ont interdiction de construire en dur. Un flou juridique règne (toujours) sur leur statut foncier, ce qui permet à la mairie de ne développer aucune infrastructure.

Aujourd’hui encore, quand on regarde un plan de la ville de Rio tel qu’il est proposé au grand public, on ne trouve aucune trace des 700 favelas, comme si elles n’existaient pas. Et leur 1,5 million d’habitants avec elle.
« Les favelas devenaient un problème urbain et politique central à cause de leur vertigineuse croissance et de la « menace rouge » due au succès électoral que le Parti communiste a remporté dans les favelas pendant les élections de 1947 », explique Rafael Soares Gonçalves, avocat et historien brésilien, enseignant à l’université Paris VII. La dictature brésilienne (1964-1986) va tenter de régler définitivement ce problème. Environ 130 000 personnes sont alors expulsées et relogées de force - incendies criminels, tortures et assassinats des leaders locaux sont monnaie courante - dans des grands ensembles, en périphérie, comme la fameuse Cidade do Deus, la « Cité de Dieu » construite dans le Nord de Rio.

La politique urbaine pratiquée par la dictature répond à deux objectifs : « Les zones centrales sont destinées au marché immobilier et la banlieue à l’industrie et à la classe la plus pauvre », résume l’universitaire. Si nombre de familles relogées dans les grands ensembles accèdent au confort offert par la société de consommation (le frigo, la télévision...), l’équilibre fragile des foyers est déstructuré.

Cette politique est menée avec d’autres moyens dans les agglomérations parisienne, lyonnaise ou lilloise. Dans les années 1950 et 1960, bidonvilles, quartiers populaires et cités de transit pour travailleurs immigrés sont peu à peu transformés en ensembles HLM. A Paris aussi, les pauvres sont chassés du centre ville vers la petite couronne. Comme à Rio, un apartheid social se met en place. Sa géographie est différente. A Rio, les favelas parsèment le centre-ville, le plus souvent adossées à la ville formelle où hommes et femmes des favelas se rendent pour travailler au service de la classe bourgeoise. L’architecture circulaire de Paris fait que les banlieues, où viennent s’installer les classes les plus modestes, se développent de manière concentrique, de plus en plus éloignées du centre.

Le plus frappant, c’est la manière dont les favelas cariocas et les banlieues françaises sont désormais considérées par les classes moyennes et aisées du centre-ville, ainsi que par les médias. « Quartiers sensibles », dit-on pudiquement en France, qui deviennent vite des « zones de non droit » où sévissent les « jeunes de banlieue », auteurs de « violences urbaines ». « De l’insulte au meurtre, tout est appelé “violence”. Du tag tracé sur un mur jusqu’à l’émeute d’un quartier, tout exprime l’“escalade de la violence urbaine”. Du regroupement d’adolescents dans les halls d’immeubles jusqu’au braquage de banque, tout témoigne de la “montée de l’insécurité” », décrypte le sociologue Laurent Mucchielli.

Les favelas sont, elles, le fief des « gangs ». La presse brésilienne n’en parle que sous l’angle des faits divers - forcément sanglants - ou du dernier affrontement entre trafiquants et policiers. Comme si les quartiers populaires n’étaient constitués que de délinquants et que la vie n’y était rythmée que par la violence. Il ne s’agit pas de nier ces problèmes, largement causés, en France comme au Brésil par l’absence de perspectives sociales. Mais une étrange similitude laisse perplexe : la majorité de la population des favelas est noire ou métisse, et souffre des mêmes préjugés que les « jeunes de banlieue », souvent « issus de l’immigration ».

Au Brésil, Noirs et métis sont les descendants des anciens esclaves, déportés par les colons portugais. En France, les « jeunes de banlieue issus de l’immigration » sont les descendants des peuples colonisés d’Afrique, puis des travailleurs immigrés que la France a fait venir durant les trente glorieuses pour accomplir les travaux pénibles. Ils sont, chacun à leur manière, stigmatisés par les classes dominantes, très majoritairement blanches. Et lorsqu’ils dénoncent ces discriminations, on les taxe de communautaristes, en se posant en défenseur du multiculturalisme et de l’universalisme. Ce n’est malheureusement qu’un masque.

Par Ivan du Roy


Article publié dans le n°0 du magazine Basta ! (mai - juin 2005)


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