L’autorisation de nouveaux produits toxiques et les ressources publiques allouées à « l’agro » battent des records. Alors que les sociétés transnationales d’intrants agricoles ne paient presque pas d’impôts dans le pays. Contrer cette logique prédatrice, qui se traduit par une hausse des prix des denrées alimentaires, passe par l’agroécologie.
Répondez à une question simple : si vous pouviez choisir, achèteriez-vous de la nourriture bon marché, mais pleine de pesticides, ou de la nourriture chère, mais sans poisons ? Malheureusement, peut-être qu’aucune des deux options n’est viable pour une grande partie de la population du pays. Oui, bien que l’inflation de janvier 2025 ait fortement ralenti, si nous suivons le mouvement actuel de l’industrie agroalimentaire (qui n’est pas durable) nous nous acheminons vers une seule conclusion : n’avoir sur les marchés que des aliments à prix « salés » et qui nous parviendraient « assaisonnés » des résidus de diverses substances toxiques. Il faut comprendre ce qui nous mène à ce scénario, pour faire demi-tour et aller dans une autre direction, tant qu’il est encore temps.
Nous sommes le grenier du monde, annoncent les publicités que le secteur agroalimentaire diffuse aux quatre vents. Un géant de la production alimentaire, qui nourrit non seulement notre population brésilienne, mais aussi les habitants de nombreux endroits du globe. Si ce délire ruraliste était vrai, comment expliquer le fait qu’il y ait encore tant de gens affamés dans le pays ? Et la pénurie de produits ? Même si les contradictions sont une constante du système capitaliste, comme le disait le bon vieux Marx, il est difficile d’avaler ce discours fantaisiste face à une réalité selon laquelle 8,93 millions d’habitants du pays souffrent d’une insécurité alimentaire sévère et 60,3 millions n’ont pas un accès complet ni régulier à la nourriture nécessaire à une vie digne.
C’est la recette colonialiste, misérable mais incontournable : les territoires du Sud global sont considérés comme des sources bon marché de matières premières de base, telles que les produits agricoles et les minerais, pour l’approvisionnement illimité des pays considérés comme développés. Et les pays du Sud global constituent un marché consommateur (s’ils y parviennent, étant donné le niveau de misère dans plusieurs d’entre eux), pour les produits hautement industrialisés fabriqués par les pays développés. Il va sans dire que la différence de valeur entre le type de produit vendu et le type de produit acheté est absolument énorme et contribue à perpétuer l’existence d’un profond fossé économique entre les soi-disant puissances mondiales et la populace du reste de la planète.
Dans ce processus qui dure depuis des siècles, il existe une division indéniable dans le secteur agroalimentaire entre ce qui est considéré comme une « commodité » [1] et ce qui continue d’être de la bonne vieille nourriture. La première catégorie est constituée de produits agricoles standardisés à l’échelle internationale et négociés sur les bourses du monde entier, qu’ils soient destinés ou non à la chaîne alimentaire, comme c’est le cas des céréales (qui deviendront des aliments pour l’élevage et de l’huile pour l’industrie agroalimentaire), de la canne à sucre (qui peut devenir éthanol), de l’eucalyptus (qui deviendra papier), du coton, qui approvisionne l’industrie textile et même du soja lui-même, qui a été largement utilisé pour le biodiesel, ce qui explique une partie de la hausse du prix de l’huile fabriquée à partir de cette légumineuse. Une fois hors de leur pays d’origine, il est probable que ces produits, même ceux destinés au secteur alimentaire, ne feront jamais partie du régime alimentaire de la population d’où ils proviennent. En résumé : la viande des animaux nourris avec des aliments à base de soja brésilien finira dans l’estomac des gringos.
Ce que l’on continue d’appeler nourriture – comme les légumes, les racines, les fruits, les graines et les céréales traditionnelles – et qui constitue la base de l’alimentation des peuples de la planète depuis des millénaires, n’occupe pas une place aussi valorisée dans le paysage financier mondial. Par conséquent, elle peut être laissée de côté [par les grands décideurs} quand ils décident ce qui sera produit par le secteur agricole de chaque région. En d’autres termes, s’il est plus avantageux commercialement, pour ceux qui sont présents sur ce territoire, de produire du soja et du maïs transgéniques pour nourrir des porcs et des poulets à des dizaines de milliers de kilomètres, plutôt que de produire des haricots pour la population locale, il n’y a aucun doute sur le choix qu’ils feront. À titre d’exemple, la superficie cultivée en soja est passée de 30 millions d’hectares à près de 48 millions d’hectares en seulement 10 ans. Et, si cela ne dépend que de l’enthousiasme de l’Agrobusiness, elle bondira encore de 30 millions, atteignant 78 millions d’hectares- alors que nous avons, selon la PAM (Production Agricole Municipale) de 2023, une superficie totale cultivée de 96 millions d’hectares pour toutes les cultures du pays !
Qui réglemente qui
Si ce que nous appelons le marché agit en fonction des intérêts financiers d’une élite et refuse de regarder les conséquences concrètes de ses choix sur la vie des gens ordinaires, qui serait responsable de contrebalancer cet effet négatif du système économique mondialisé ? On peut penser que l’existence des États nationaux aurait précisément pour but de limiter le plus possible les mécanismes qui alimentent les inégalités au sein de leurs territoires. Ainsi que de prendre des mesures pour empêcher leurs économies d’être dévorées par la domination financière d’un petit nombre de pays sur les autres.
Les États joueraient donc un rôle de régulateurs, s’appuyant sur leurs lois nationales et sur les traités internationaux, pour créer des politiques publiques garantissant les droits fondamentaux de leurs populations. Dans le cas du DHANA [2], le droit humain à une alimentation et à une nutrition adéquates, ces politiques sont basées sur la promotion d’un système de sécurité alimentaire et nutritionnelle capable de garantir que toutes les personnes aient accès à une alimentation en quantité et en qualité suffisantes pour pouvoir se développer physiquement, mentalement, émotionnellement, culturellement et socialement. Cela va bien au-delà du simple fait de ne plus souffrir de la faim.
Cependant, dans une société où le contrôle de ce qui est produit est entre les mains de grandes sociétés transnationales, qui ne connaissent pas de frontières, qui financent des groupes parlementaires, qui achètent des publicités dans les principaux médias, qui entretiennent de solides réseaux d’influence et qui, si nécessaire, utilisent la force des armes pour s’assurer que leurs intérêts ne sont pas contrecarrés, le pouvoir régulateur des gouvernements nationaux a été systématiquement violé – et ceux qui devraient dicter les règles dans le domaine économique finissent par suivre les règles imposées par l’élite internationale.
Pour en revenir au Brésil, comment notre pays peut-il mettre en pratique ce qui est prévu par le SISAN, le Système National de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle, s’il est l’otage d’une politique économique mise sous contrainte par « l’ Arcabouço Fiscal » [3] ? Si cette politique est guidée par un agenda élaboré par des représentants de secteurs du marché spéculatif et mis en pratique (souvent en utilisant le chantage, le boycott et les menaces) par des groupes parlementaires, comme le front ruraliste [4], l’un des plus importants du Congrès national ? Et si elle alloue la grande majorité des subventions à la production de commodités [pour l’exportation] et non de nourriture ?
Nous reconnaissons les différences indéniables entre l’administration actuelle du pays et la précédente, la mauvaise gestion de Bolsonaro étant responsable de 700 000 morts pendant la pandémie de Covid 19 et d’avoir affamé des dizaines de millions de familles brésiliennes – entre autres actions impardonnables. Nous devons cependant admettre que, malgré les politiques de redistribution actuelles et la réduction du chômage, qui ont réduit de 14,7 millions en 2023 le nombre de personnes souffrant de la faim, nous n’avons pas tourné la page de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, comme le montre clairement la crise actuelle des prix élevés et de la contamination de l’eau et des aliments.
Il est vrai que de nombreux facteurs sont impliqués dans la flambée des prix alimentaires. Difficultés de production liées à l’urgence climatique ; résistance aux pesticides développée par les insectes, les champignons et les plantes considérés comme nuisibles ; épuisement des sols dans de nombreuses régions… ce sont des situations réelles et incontestables. Mais ce sont des conséquences directes de la non-durabilité du modèle de production basé sur des monocultures mécanisées et extensives – et ces conséquences ne sont pas apparues sans signaux avant-coureurs, puisque les signes d’une aggravation de la situation sont donnés par la nature elle-même depuis des décennies.
À l’heure actuelle, des voix dénoncent également le fait que des tonnes de nourriture produites par l’agriculture brésilienne seraient jetées à la poubelle. Il s’agit d’une pratique connue, qui vise à peser sur la valeur du produit en question, en réduisant son offre sur le marché. Il se peut qu’il y ait eu une action orchestrée, depuis les derniers mois de 2024, comme un moyen de critiquer le gouvernement actuel et d’appuyer la thèse selon laquelle, avec lui, la vie est pire qu’avant. Il faut encore enquêter sur ce qui s’est réellement passé, car les vidéos sur les réseaux sociaux, aussi convaincantes soient-elles, peuvent être manipulées. Mais, compte tenu des tentatives de coup d’état dont nous avons été témoins ces derniers temps, il est tout à fait possible que ce gaspillage criminel de nourriture ait eu lieu de manière concertée, à des fins clairement politiques, et ait donné un coup de pouce à l’inflation sur les prix de certains fruits et légumes.
Ajoutez à cela ce qui se passe dans l’économie et la géopolitique internationale (les guerres, les menaces trumpistes et la hausse du dollar par rapport au real l’année dernière) – tout en rappelant que les entreprises qui produisent des machines, des engrais et des produits toxiques pour l’agriculture sont étrangères, qu’elles dictent des prix libellés en dollars et captent une part substantielle du revenu de l’agriculture – et nous disposons de davantage d’éléments pour déchiffrer cette énigme. Pour conclure ce petit aperçu, nous ne pouvons pas oublier de mentionner la CONAB, une entreprise publique qui contrôle les stocks réglementaires au Brésil. Elle a été sévèrement attaquée par le gouvernement précédent, qui a non seulement éliminé les stocks stratégiques, mais a également démantelé une grande partie de la structure de l’organisation.
Quand on y pense, la flambée des prix et la difficulté de la population à se procurer de la nourriture, dans un pays fertile comme le nôtre, n’ont pas beaucoup de sens, n’est-ce pas ?
Payer pour être empoisonné
Lorsqu’un secteur de l’économie bénéficie de crédits abondants, d’exonérations fiscales, d’un assouplissement des règles de rémunération de ses travailleurs et d’autres avantages, vous attendez-vous à ce que ce qu’il fournit devienne plus cher ou moins cher ? Eh oui… la dénommée AGRO brésilienne a eu accès au plus grand « Plan Récolte » de l’histoire du pays, d’une valeur de plus de 400 milliards de réaux ; elle est dispensée de payer la plupart des taxes liées aux intrants, tels que les engrais et les pesticides industriels, ou aux exportations, grâce à la tristement célèbre loi Kandir ; elle ne supporte pas un certain nombre des coûts de personnel qui correspondraient à sa structure économique. Et, aussi incroyable que cela puisse paraître aux gens ordinaires, comme vous et moi, elle nous récompense (nous qui la soutenons financièrement) avec des produits chers et pas sains du tout. Oui j’ai bien dit « pas sains du tout ».
Malheureusement, dans la foulée du record d’ aides publiques accordées aux grandes entreprises agroalimentaires, notre pays a battu un autre record en 2024. Dépassant le score du lamentable gouvernement de Bolsonaro – qui a autorisé 652 nouveaux pesticides en 2022 -, le gouvernement actuel a autorisé, au cours des 12 mois de l’année dernière, 663 nouvelles substances toxiques. Pour nous, mouvements sociaux agroécologiques, qui luttons avec acharnement pour mettre fin à la gestion agrofasciste du clan des milices, c’est un coup dur. La conclusion est évidente : les forces ruralistes continuent à hypnotiser le pouvoir exécutif du pays et nous payons pour devenir les victimes d’un processus d’empoisonnement massif.
Ce constat est appuyé par le fait que les pesticides autorisés l’année dernière ne sont pas moins nocifs que ceux qui étaient déjà autorisés à circuler sur notre territoire jusqu’alors. La grande majorité d’entre eux sont constitués d’ingrédients anciens dont il a déjà été prouvé qu’ils étaient nocifs pour la santé humaine et la nature. Et un petit 2,3 % des nouveaux produits, Orandis et Miravis, ont été considérés comme hautement toxiques par Anvisa et peuvent même entraîner la mort en cas d’inhalation, selon leurs producteurs.
Il convient de rappeler que le PARA, le Programme d’analyse des résidus de pesticides dans les aliments, a révélé la présence de produits toxiques dans 26 % des aliments analysés en 2023, avec 31 types différents de pesticides dans l’ananas et 25 dans le riz, dont beaucoup sont interdits dans les pays du Nord. Il s’agit d’un cocktail toxique qui est directement lié non seulement à l’explosion de diverses maladies dans le pays (principalement parmi les populations rurales, plus exposées aux avions d’épandage sur les cultures), mais aussi à l’augmentation du prix des aliments, puisque, comme je l’ai mentionné, ces produits sont fabriqués par des entreprises extérieures au Brésil et leur prix est fixé en dollars, une monnaie qui s’est considérablement valorisée par rapport au real au cours des derniers mois de 2024.
Au niveau international, la FAO, organisme des Nations Unies pour l’alimentation, a déjà reconnu, par le biais d’une enquête réalisée en 2021, que notre pays est le champion des produits toxiques et qu’il utilise une quantité de pesticides supérieure à celle utilisée par les États-Unis et la Chine réunis – y compris si l’on prend pour critère la quantité par hectare ou par habitant. Et nous parlons de deux pays-continents qui sont des partenaires commerciaux majeurs du Brésil, et dont dépend notre modèle de production actuel.
En parlant de la Chine, l’information selon laquelle elle a suspendu l’importation de soja produit par de grandes entreprises sur notre territoire a eu un fort impact il y a quelques jours et semble indiquer que le marché international n’est pas disposé à acheter des produits contenant des doses aussi gigantesques de pesticides. L’ironie de cette suspension est que, l’année dernière, l’entreprise du secteur des produits toxiques qui a reçu la plus grande exonération fiscale du gouvernement brésilien - 1,77 milliard de R$ - était Syngenta, contrôlée depuis 2017 par ChemChina, une entreprise publique chinoise. Et c’est précisément l’entreprise qui fabrique les deux nouveaux produits hautement toxiques -Orandis et Miravis- autorisés par le gouvernement parmi les 663 nouveaux produits du lot de 2024. Cela met en évidence une contradiction de la part du Communisme de Marché (ou du Capitalisme d’État) pratiqué par la superpuissance asiatique.
Basf, Bayer et d’autres géants du secteur figurent également sur la liste des entreprises qui ont été alimentées (et continuent à l’être abondamment) par les traitements de faveur des autorités brésiliennes, bénéficiant de rabais de centaines de millions de réaux sur ce qu’elles devraient nous payer en impôts en 2024. Et elles vendent ici des produits qui ne sont pas autorisés dans leurs propres pays, faisant clairement comprendre que, pour elles, nous sommes un peuple d’une catégorie inférieure aux peuples européens, et que nous pouvons avaler les substances dont la toxicité est avérée et qu’ils interdisent avec sagesse sur leur territoire.
Des terres pour ceux qui produisent de la nourriture
Allons-nous devenir de la « viande hachée » dans l’assiette des grands représentants du marché des produits toxiques ? Le fait que la CONAB ait repris la constitution de stocks alimentaires issus de l’agriculture familiale dans ses entrepôts est une chose à célébrer et à encourager, pour qu’ils augmentent encore plus rapidement. Après tout, face aux tragédies socio-environnementales croissantes ou aux attaques spéculatives du marché, il est nécessaire de disposer de réserves pour que la nourriture parvienne à ceux qui rencontrent des difficultés à y accéder. Et l’information selon laquelle le gouvernement fédéral a réduit le pourcentage maximum d’aliments ultra-transformés autorisés dans les repas scolaires (qui est passé de 20% à 15% et diminuera encore à 10% l’année prochaine) améliore les perspectives, car cela signifie que les agriculteurs familiaux fourniront des aliments plus nutritifs au PNAE, le Programme national d’alimentation scolaire, qui bénéficie à 40 millions d’élèves et sert environ 10 milliards de repas par an. Moins d’aliments ultra-transformés dans ces repas signifie moins d’utilisation de soja, de maïs et de canne à sucre dans l’industrie alimentaire pour la fabrication de ces produits et donc moins de culture de ces commodités dans les champs.
Mais, bien qu’importantes, ces actions ne suffisent pas à inverser la situation critique de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Brésil. Et la raison en est simple : la nutrition commence dans le sol, comme nous l’a enseigné notre professeure Ana Primavesi, qui nous a quittés il y a cinq ans, début 2020. Seul un sol sain permet l’existence de plantes saines et d’une alimentation saine pour les humains. Et, dans le modèle Agro-Ogro [5] actuel, il est impossible d’avoir des sols sains. Ils dépendent de l’existence de la biodiversité, qui est étroitement liée à la présence humaine dans les champs, aux eaux et aux forêts des territoires productifs. Rien à voir avec les déserts verts inhabités, survolés par des drones et des avions qui sillonnent nos biomes.
Dans l’une de ses déclarations relatives à la lutte contre la hausse des prix alimentaires, le président Lula a déclaré que « beaucoup d’argent dans les mains de quelques-uns signifie l’appauvrissement et qu’un peu d’argent dans les mains de beaucoup signifie une meilleure qualité de vie pour tous ». Le raisonnement semble cohérent (et c’est ce qu’on attend d’un dirigeant qui se positionne comme défenseur des travailleurs), mais il bute sur un fait indéniable : personne ne mange de l’argent. Comme nous l’avons déjà dit, une alimentation saine n’est viable que lorsque la terre est en bonne santé. En revanche, il est impossible que les terres soient saines sur les propriétés des latifundia en monoculture. Il est nécessaire de mettre fin à cette concentration foncière.
Pour reformuler le discours du président, il faut dire qu’une grande quantité de terres entre les mains de quelques-uns signifie la faim et la destruction de l’environnement, cela signifie une nourriture chère et empoisonnée. Et qu’un peu de terre entre les mains de beaucoup d’hommes et de femmes signifie la possibilité d’avoir des sols fertiles, des cultures biodiversifiées, des circuits de commercialisation locaux et solidaires ; cela signifie de la vraie nourriture à des prix abordables sur les tables des gens. Ce n’est qu’en menant à bien une vaste Réforme Agraire Populaire basée sur l’agroécologie que nous pourrons échapper aux cartels agricoles, aux entreprises de produits toxiques, aux entreprises de transport routier roulant au pétrole ou au biodiesel, aux chaînes de distribution et aux industries de produits alimentaires ultra-transformés, responsables des prix exorbitants et des déséquilibres sociaux et environnementaux qui nous assaillent.
Récemment, lors d’une réunion de sa Coordination nationale à Belém (PA), le MST, Mouvement des travailleurs sans terre, a publié une lettre déclarant : « Nous nous sommes réunis en Amazonie pour définir la voie de notre organisation pour la prochaine étape de la lutte pour la Réforme agraire populaire, l’accès à la terre et la justice sociale et environnementale. Nous sommes venus ici nous nourrir de l’histoire et de la mémoire des résistances indigène, noire, paysanne et populaire ». La référence aux peuples traditionnels démontre que, sans le respect de leurs modes de vie et de leurs savoirs, qui sont inextricablement liés aux territoires qu’ils habitent, il est impossible d’avoir un avenir autre qu’une plongée dans l’abîme.
Au lieu de gaspiller 400 milliards (ou 500 milliards, selon ce qui est prévu pour la période 2024/2025) pour financer l’OGRO et ses réseaux toxiques, dans ce que j’appelle le « Plan Sofra [6] », (car il ne mène qu’à des souffrances pour la population), et au lieu d’accorder des exemptions fiscales de plusieurs milliards de dollars aux entreprises agro-industrielles transnationales, impliquées jusqu’au dernier cheveu dans des complots contre la démocratie dans le monde entier, comme le montrent les enquêtes sur les tentatives de coup d’État de 2023 [7] (et même depuis 2016, année où le nombre de nouveaux produits agrochimiques autorisés a commencé à augmenter fortement), le gouvernement fédéral devrait utiliser les ressources financières du pays pour structurer et étendre le réseau de colonies paysannes, la délimitation des terres indigènes et la reconnaissance des communautés de peuples traditionnels.
Sans ces mesures essentielles, il ne sera pas possible d’atteindre notre Souveraineté Alimentaire, base nécessaire pour garantir la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle et condition irréfutable d’une bonne alimentation, exempte de substances toxiques mais pleine de saveurs et de significations culturelles, pour nourrir à nouveau les corps, les âmes et les territoires, quel que soit le prix du dollar ou du pétrole, ressources qui ne peuvent être et ne seront jamais digérés par les estomacs humains.
Confluence des luttes
Pour revenir à la question initiale du texte, il est encore possible aujourd’hui d’avoir accès à une alimentation sans poison de deux manières : il existe une élite qui paie des prix élevés pour les aliments biologiques vendus dans les supermarchés haut de gamme, et il existe des circuits de commercialisation solidaires basés sur ce qui est cultivé de manière agroécologique par les familles d’agriculteurs. Alors que les protestations contre le coût élevé de la vie se faisaient entendre dans les médias commerciaux, Armazém do Campo, une chaîne de magasins gérée par le MST, vendait du maïs biologique pour un real dans son magasin du centre-ville de São Paulo le week-end dernier. Et il était même possible de manger sur place un épi de maï cuit, pour seulement deux réaux !
Le contraste avec l’OGRO est flagrant : alors que l’agriculture paysanne propose des aliments nutritifs, biologiques et sans OGM à un prix qui peut convenir aux plus petites bourses, ceux qui se disent exploitants déversent des camions de leurs produits - subventionnés par l’argent de la population - sur des routes désertes où personne ne pourra les récupérer.
Il est clair que si nous ne luttons pas pour un changement du modèle de production dans un avenir proche, les risques de devoir acheter des aliments chers et empoisonnés, comme je l’ai annoncé, augmenteront considérablement. Comme nous le savons, rien dans la nature ne peut être isolé et les avions qui déversent des pesticides continuent de survoler une zone de plus en plus grande de notre territoire. Le sol, l’eau, les plantes, les animaux et notre corps sont de plus en plus contaminés. Comment peut-on cultiver une terre biologique ou agroécologique s’il n’y a pas d’eau non contaminée pour l’irriguer ? Si les vents qui passent sur les plantations de soja apportent des pluies toxiques ? Si les abeilles et autres pollinisateurs sont décimés par des substances déjà interdites dans les pays des entreprises qui les fabriquent ?
C’est pourquoi il n’y a qu’une seule voie : la transition agroécologique maintenant. Pour que cela devienne une réalité, le PRONARA, le Programme National de Réduction des Produits Agrochimiques, doit être mis en œuvre rapidement. Il a été inclus dans le lancement du PLANAPO, le Plan National d’Agroécologie et de Production Biologique, après une forte mobilisation sociale, à la fin de l’année dernière. Mais, comme le montrent le nombre record de produits toxiques autorisés, et l’attaque contre la « loi Zé Maria do Tomé » – qui interdit les épandages aériens au Ceará –, le lobbying des entreprises du secteur a pris le pas sur les droits de la population. Il faut donc les affronter. Il est urgent de secouer les rues et les réseaux !
Cependant, contrairement aux hypocrites en service, qui portent maintenant des casquettes demandant le retour du fasciste inéligible [8] (sous le gouvernement duquel la fameuse file d’attente des os [9] s’est formée, tel était le niveau de désespoir des gens affamés), nos mouvements agroécologiques sont engagés dans la lutte pour la vie. Nous sommes pleinement conscients qu’il s’agit d’une bataille herculéenne et constante (comme le suggère le nom même de Campagne Permanente Contre les Pesticides et pour la Vie), car le pouvoir des 0,01% de la population du globe se chiffre en milliers de milliards et cette élite de l’élite semble plus disposée à faire imploser l’existence humaine une fois pour toutes qu’à renoncer à sa concentration sanglante de richesses.
La terreur suscitée par les représentants du marché pour déstabiliser le gouvernement Lula, comme s’ils subissaient d’énormes pertes à cause de la politique du ministre Fernando Haddad – alors qu’en réalité beaucoup d’entre eux battaient des records historiques de bénéfices en milliards de dollars, comme c’est le cas des banques Itaú et Pactual – montre clairement qu’ils sont capables non seulement de nous renvoyer faire la queue pour manger des os, mais même de retirer de nos assiettes les os (et la moelle qui s’y trouve et qui peut encore nous donner quelques nutriments). Les pleurnicheries de l’industrie des agrumes de São Paulo pour maintenir ses bénéfices, à un moment où elle se régale déjà avec le prix exorbitant des oranges, reflètent parfaitement l’absence de limites de ceux qui voient l’agriculture comme une simple entreprise.
Les grands médias n’hésitent pas non plus à attaquer toute action qui s’oppose à la logique d’exclusion imposée par le capitalisme. Non seulement ils diffusent sur leurs chaînes les mensonges de l’OGRO, comme s’ils étaient des vérités, mais ils déforment également les événements, les données, les discours... pour accentuer l’impopularité du gouvernement Lula par rapport au prix des aliments et même pour déstabiliser les programmes sociaux en cours. Récemment, malgré le coût de la vie élevé, ils ont attaqué les cuisines solidaires avec des accusations biaisées, qui discréditaient les efforts déployés par tout un réseau dévoué pour continuer à nourrir la population vulnérable,. Il existe 2 370 cuisines solidaires répertoriées, en activité dans tout le pays, dont certaines existent depuis des années.
Cette attaque injuste a incité le CONSEA, le Conseil national pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, à s’exprimer, appelant la société à exercer un contrôle social dans le suivi du Programme fédéral - créé par le gouvernement actuel pour soutenir une initiative sociale née dans les communautés - pour le renforcer, compte tenu de son importance pour l’exercice de la citoyenneté et la lutte contre la faim. Cela vaut également la peine de lire l’article et de regarder la vidéo, produite par le portail internet GGN [10], pour comprendre l’ampleur de l’arnaque médiatique. Si vous souhaitez contribuer à empêcher l’injustice visant à détruire une politique publique si durement conquise, vous pouvez signer la pétition que fait circuler le MTST, le Mouvement des travailleurs sans-abri.
Et, en ce qui concerne l’espoir de voir la hausse des prix freiner, grâce à la possible récolte record de cette année, qui devrait atteindre 322,6 millions de tonnes (une augmentation de 10% par rapport à 2024), il convient de se rappeler des années de la pandémie, où nous avions enregistré un double record dans le pays : celui de la récolte agricole et celui de la faim, car l’exportation est le moyen le plus simple de se remplir les poches. De plus, récolter toujours plus de soja génétiquement modifié et contaminé peut être rentable pour cette mafia agrofasciste, mais c’est très néfaste à tous points de vue pour la société et pour la planète.
Il faut garder à l’esprit que, même si les prix des aliments conventionnels baissent réellement dans les rayons des supermarchés et deviennent financièrement accessibles aux gens modestes, ils resteront très, très chers pour le pays, car leur méthode de production, pleine de pesticides, entraîne des coûts incalculables pour la santé publique et l’environnement... des coûts qui sont payés avec l’argent de la population, par l’intermédiaire de la puissance publique. Et pire encore : nous les payons avec notre propre vie, car les maladies causées par ce modèle agricole peuvent être mortelles et les tragédies climatiques qu’il déclenche atteignent un niveau d’intensité très grave. En résumé, les pertes sont supportées par tous, mais les profits sont toujours privatisés et, pour ceux qui les obtiennent, ils se doivent d’être de plus en plus élevés, quelles que soient les conséquences sociales et environnementales.
Face à une telle voracité pour toujours plus d’argent et de pouvoir, nous devons exercer une pression sur les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire pour qu’ils mettent à l’ordre du jour nos propositions ; dénoncer, dans tous les espaces où nous pouvons nous faire entendre, le système qui nous vampirise ; répandre et arroser les graines d’une autre façon de vivre. C’est pourquoi nous continuerons à mobiliser les habitants des villes (qui constituent la majorité de notre population) pour qu’ils s’unissent aux habitants des campagnes, des rivières et des forêts dans ce voyage contre la faim, le poison et la destruction de notre Terre Mère, la véritable et unique source de tout ce qui nous nourrit.