Par Helena Martins [1]
Traduction : Marie-Hélène BERNADET
Relecture : Du ALDON
Des décennies de discours anti-politique, anti-PT et en faveur de l’intolérance ont ouvert la voie aux fascistes pour qu’ils arrivent là où ils sont.
Le juge Joaquim Barbosa recevam, en 2015, le prix "Faz Diferença", des mains de João Roberto Marinho, du groupe Globo
Au cours des dix dernières années, l’essor des candidats d’extrême-droite et même fascistes ont marqué et transformé l’échiquier politique dans plusieurs pays. De la France à la Colombie, des milliers de personnes ont subi cette poussée conservatrice. Au Brésil, nous suivons le même chemin, avec le pendule de la conscience sociale radicalement orienté à droite.
Autres Brésils vous invite à découvrir le débat du 18 octobre 2018, en portugais, sur Internet : https://www.youtube.com/watch?v=h7hNFJYdagU&feature=youtu.be
Un phénomène si profond ne peut s’expliquer qu’à partir de multiples facteurs, comme par exemple le rôle indéniable de la persistance de la culture machiste, raciste et homophobe. A cela s’ajoute l’incitation à l’individualisme qui, dans un contexte d’accroissement du chômage et des inégalités, transforme l’Autre, tel que l’immigré ou les assistés par les politques sociales, en ennemi.
La crise économique permanente s’accompagne de la recherche de réponses faciles, et même fausses. La gauche a aussi sa part de responsabilité, que ce soit par l’adoption de mesures d’austérité ou par son implication dans des affaires de corruption.
Là encore, il faut attirer l’attention sur une autre institution qui a énormément contribué à la construction de cette pensée conservatrice : les médias. On a beaucoup parlé de l’impact des infox et de l’utilisation de données personnelles pour la diffusion de messages fabriqués visant à construire l’extrême-droite brésilienne. Mais il faut se rappeler que ce sont ce qu’on appelle les grands médias qui ont créé les bases sur lesquelles se reposent des candidats comme Bolsonaro.
Médias sans violations de droits ; intervozes.org
La façon d’aborder la politique, le fait que les critiques aient été presque exclusivement dirigées contre le Parti des Travailleurs (PT) et la position des entreprises face à des questions comme la crise économique et la sécurité publique sont les éléments qui ont tissé le canevas de ce scénario.
Les racines de ce problème sont profondes. Les moyens de communication, surtout la télévision en raison de son envergure, fonctionnent historiquement non comme une représentation de la réalité, mais comme la “réalité elle-même”, comme l’écrit un professeur de l’université de Brasilia- UnB Venício Lima dans son livre “Média : théorie et politique”. Au Brésil, le fait d’avoir un fort taux de concentration de moyens de communication entraîne une réduction de la diversité des idées et des opinions, et cela renforce le pouvoir de petits groupes pour construire des significations et des visions du monde particulières.
Un telle construction a lieu quand les médias ont une action sur la définition des sujets importants à débattre dans la sphère publique, dans la production et la transmission d’informations politiques, dans le contrôle des administrations publiques, dans la critique des politiques publiques et dans le filtrage des exigences de la population envers le gouvernement. Il s’agit donc d’une construction progressive, quotidienne, qui trouve à présent d’autres canaux de diffusion, comme l’Internet.
Une partie des électeurs qui votent pour Jair Bolsonaro sont désenchantés par la politique ; ils voient en lui le candidat du changement et de l’éthique ou votent pour lui parce qu’ils le considèrent comme étant l’expression de l’anti-politique. De telles perceptions se basent très peu sur la réalité, car le candidat occupe un poste de parlementaire depuis 1991, s’est servi de son influence pour faire élire ses fils et est également impliqué dans différentes affaires de corruption et de favoritisme politique.
Ce sentiment peut en partie s’expliquer par la posture adoptée par les médias envers la politique. Cela était déjà le cas avant le coup d’Etat militaire de 1964, quand ce qu’on appelait le Réseau de la Démocratie [2], alors dirigé par João Calmon, député fédéral et président de ABERT - l’Association Brésilienne d’Emissions de Radio et de Télévision, assumait la représentation et l’expression de l’opinion publique en desqualifiant les institutions classiques comme les partis, les syndicats, le Congrès, etc..
Après la fin de la dictature, les médias ont de nouveau oeuvré pour la construction d’un discours opposé à la démocratie qui s’est exprimé par la critique permanente de la politique et des hommes politiques. On a observé la même position ces dernières années, à de rares exceptions près, comme lorsque la presse a adopté une posture complaisante avec le pouvoir central et son projet sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Au début des années 2000, après l’élection de Lula et malgré l’absence d’un affrontement à teneur médiatique de la part du gouvernement fédéral, la règle de la posture opposée aux politiques et à la police a fait son retour, surtout après l’affaire pénale 470, appelée “mensalão” [3], dans l’opération Lava-Jato et dans le procès de l’impeachment de la Présidente Dilma.
Depuis la couverture critique du gouvernement jusqu’à la décision éditoriale de soutenir le coup d’Etat, la procédure d’impeachment de Dilma a été justifiée pour l’opinion publique par une divulgation sélective des accusations, notamment en ce qui concerne les plaintes pour corruption. On a également justifié l’impeachment par l’encouragement de manifestations de protestation favorables à la destitution de la Présidente, par l’ancrage répétitif de ces arguments et en éliminant le débat contradictoire.
Dans ce blog, nous analysons différents moments de cette construction. Nous vérifions pour chacun d’eux le rôle central attribué au PT dans la responsabilité de tous les problèmes et les injustices sociales. Il ne s’agit pas ici de minimiser les erreurs du parti, mais le fait est que la corruption, la crise économique et les autres problèmes ne sont pas uniquement dus aux « pétistes ». Au fur et à mesure qu’ils alimentaient cette perception trompeuse, les médias ont ouvert un espace pour les figures du Mouvement du Brésil Libre, élues au cours des deux dernières élections, et pour les formules ultra-conservatrices, sans exiger de leur part autre chose que des phrases faciles et incapables de résoudre les problèmes complexes.
La répétition des discours autour du thème de la défense des réformes du code du travail et de la sécurité sociale, présentées par Globo et par d’autres médias comme nécessaires et fondamentales pour assainir les comptes publics, justifie aussi maintenant les propositions de retrait des droits et de privatisation défendues par Bolsonaro. Il n’y a aucune analyse de faite sur l’expérience des différents pays qui n’ont pas réussi à sortir de la crise en adoptant des politiques d’austérité.
Ainsi, le pays manque d’un débat de fond sur le programme et reste sensible aux discours creux qui circulent sur les réseaux sociaux et se sont infiltrés dans l’esprit de millions de Brésiliens rivés au triplé anti-politique, anti-PT et conservatisme.
En abordant les sujets de la sécurité publique et de la situation économique du pays d’une manière biaisée, les moyens de communication ont également contribué à la construction du “mythe” et de ses suppôts. Aujourd’hui, nous sommes toutes et tous effrayés par les discours violents proférés par Bolsonaro, mais cela fait des années que de telles paroles occupent l’espace audiovisuel. N’est-ce pas au travers de programmes à connotation policière que des expressions comme “un bon bandit est un bandit mort”, “des droits de l’homme pour des hommes droits”, etc.. ont gagné en popularité ? Tout ceci a eu lieu sans que la société et les organismes publics responsables de la protection des droits humains - qui, il est bon de le rappeler, sont des concessions de service public - agissent contre tant de violations des droits.
C’est ce même pays qui, parce qu’il n’a pas fait le bilan de la période militaire ni du soutien que celle-ci a reçu des principaux moyens de communication, ignore ce qui s’est réellement passé pendant la dictature et de ce fait se prête à des discours qui favorisent son retour.
C’est dans cette étendue de risque que nous vivons. Et pourtant, Record et Band ont déjà défini leur soutien à Bolsonaro, allant jusqu’à violer la loi électorale. Les rédacteurs et les présentateurs de Globo suivent la ligne qui dit qu’il n’y a rien de pire pour le pays que le PT. Tour porte à croire que si la démocratie doit en pâtir davantage, ce sera également à cause des effets du système médiatique.