Comment l’exploitation minière illégale transforme l’or en lingots et bijoux légalisés

 | Par DW Brasil

L’or est la principale cause de la tragédie qui touche le peuple Yanomami. L’activité des orpailleurs laisse un paysage de destruction et de désolation. L’activité illégale est favorisée par une législation peu rigoureuse et un contrôle précaire qui permettent au métal précieux de quitter les profondeurs de la forêt pour être vendu sous forme de lingots ou de bijoux dans les grands centres urbains du Brésil et de l’étranger.

Par Guilherme Henrique DW — 07 février 2023
Traduction pour Autres Brésils : Roger Guilloux
Relecture : Marion Daugeard

La loi en vigueur stipule que l’orpailleur qui vend de l’or à une entreprise doit remplir lui-même une facture papier indiquant le lieu d’extraction du métal. Qui plus est, selon cette norme, la bonne foi du vendeur est présumée, ce qui dispense l’acheteur de vérifier l’origine de l’or ou de répondre en justice à d’éventuelles fausses déclarations.

Le Brésil ne dispose pas d’un système efficace de traçabilité de l’or. Si la police fédérale (PF) reçoit une plainte ou est informée d’un soupçon de fraude, elle doit vérifier une à une les informations indiquées sur les factures et les mines d’où l’or est censé provenir — un type d’enquête qui a du mal à produire des résultats.

Pour ces raisons, des experts ont déclaré à DW qu’à long terme, une meilleure traçabilité de la commercialisation de l’or au Brésil serait presque plus efficace que l’interdiction pour les orpailleurs de pénétrer dans les réserves indigènes, comme c’est le cas dans le Territoire Indigène (TI) [1] Yanomami.

Le circuit de l’or illégal

Actuellement, l’orpailleur vend l’or qu’il a extrait à des Distributeurs de titres de valeurs mobilières (DTVM) qui sont des sociétés autorisées par la Banque centrale et l’administration fiscale à acheter le métal précieux. Il indique ensuite sur la facture le lieu d’extraction. Celle-ci est ainsi assimilée à un Permis d’exploitation minière (PLG).

L’Agence nationale des mines (ANM) autorise les particuliers (sur un espace d’un maximum de 50 hectares) et les entreprises (1 000 hectares) à réaliser des opérations minières. Dans les deux cas, il est nécessaire d’obtenir une licence environnementale de l’agence où se trouve la mine, signée par un géologue, et l’orpailleur doit fournir une description technique de la façon dont elle sera exploitée.

Théoriquement, le document d’autorisation d’exploitation minière sert à identifier la provenance de l’or. En fait, sous sa forme actuelle, celui-ci sert, dans de nombreux cas, à masquer une exploitation illégale. C’est ce qu’on appelle le « garimpo fantasma » — la mine fantôme — expression inventée par des chercheurs de l’Université fédérale du Minas Gerais (UFMG) pour une étude réalisée en partenariat avec le Ministère public fédéral (MPF) et publiée en août 2020.

À l’aide d’images satellites, les chercheurs ont croisé l’origine déclarée de l’or avec la géolocalisation des mines. Ils ont constaté que dans de nombreuses « mines », là où il aurait dû y avoir une extraction du métal, il n’y avait que de la forêt sans aucune activité humaine. Ils se sont ainsi rendu compte que les zones mentionnées n’ont souvent servi qu’à « légaliser » de l’or extrait de manière irrégulière, dans une réserve indigène, par exemple.

Le système d’investigation développé par les chercheurs en partenariat avec le MPF, montre que, de 2019 à 2020, 6,3 tonnes d’or produites dans le pays provenaient de mines fantômes ont généré environ 1,2 milliard de réaux [2]. Vendre de l’or dont l’origine est frauduleuse peut être considéré comme un crime de blanchiment d’argent et de fausse déclaration.

La difficulté à punir les personnes impliquées

Au moment de vendre de l’or à un DTVM, l’orpailleur inscrit sur la facture ses données personnelles, la quantité et l’origine du métal. « Il s’agit d’une auto-déclaration. Il ne dira pas qu’il a extrait de l’or du territoire autochtone Yanomami, mais il placera le lieu d’extraction de l’opération minière dans un endroit où celle-ci n’est pas interdite », explique Larissa Rodrigues, directrice de l’institut Escolhas, une organisation de la société civile qui réalise des études et des analyses économiques en faveur du développement durable.

Selon les données d’une enquête dirigée par cette organisation, sur la base de 40 000 enregistrements de commercialisation du métal, environ 229 tonnes d’or vendues dans le pays entre 2015 et 2020 présentaient des preuves d’irrégularités. « Ceux qui achètent cet or de provenance illégale, en l’occurrence, les DTVM, se protègent derrière la loi en vigueur. Il est donc très difficile de demander des comptes aux personnes qui commettent des illégalités. Il est important que nous puissions améliorer rapidement la législation », déclare-t-elle.

En août dernier, un projet de loi présenté par les députés fédéraux de l’époque, Joênia Wapichana (Rede-RR), actuelle présidente de la Funai [3], et Vivi Reis (PSOL/PA [4]), proposait de renforcer les règles relatives à la vente et à l’achat d’or et d’améliorer sa traçabilité. Ce texte a reçu le soutien de l’administration fiscale, de la Banque centrale et de l’Agence nationale des mines (ANM). Il est en cours d’évaluation par le gouvernement fédéral et pourrait éventuellement faire l’objet d’une Mesure provisoire [5].

« Cette facilité avec laquelle l’or illégal entre sur le marché officiel stimule les invasions des Terres indigènes et des Unités de conservation [6]. Le changement de législation, accompagné d’autres mesures, empêchera la présence de criminels non seulement dans les terres Yanomami, mais aussi dans d’autres régions telles que le Pará », assure Larissa.

Enquêtes en cours

Gustavo Geiser, expert auprès de la police fédérale (PF) à Santarém, dans l’État du Pará, affirme que le texte de ce projet de loi est « mûr » et contient de bonnes propositions, et que si le gouvernement le transforme en Mesure provisoire, ce sera « quelque chose à commémorer ».
La région où Geiser opère est essentielle pour comprendre les circuits de l’or illégal au Brésil, en particulier de celui qui est extrait dans l’État de Roraima où se trouve une partie de la Terre Yanomami affectée par l’exploitation minière. Dans les villes du Pará, notamment à Santarém et Itaituba où l’activité minière est également intense, l’or extrait de manière irrégulière est « légalisé » par le simple fait d’être vendu dans des DTVM, puisque la bonne foi des extracteurs protège les acheteurs.

Comme l’a montré un rapport de l’agence de presse indépendante Repórter Brasil, en s’appuyant sur des enquêtes de la police fédérale, au mois de juin 2021, l’or extrait de la Terre indigène des Yanomami était commercialisé dans les magasins de F’D Gold et Ourominas, tous deux situés à Itaituba.

Ces deux sociétés font l’objet d’une enquête de la part des tribunaux brésiliens, mais elles nient toute malversation. « Il s’agit d’un circuit sur lequel nous enquêtons. Il y a beaucoup d’or illégal et légal qui circule ici. Il existe une relation entre ces deux types de circuits. Le groupe qui intervient dans l’État de Roraima le fait également dans le Pará », explique M. Geiser.

La technologie comme alliée

Selon cet expert, une partie du problème de la circulation de l’or illégal pourrait être résolue grâce à la technologie. « Le point central est la possibilité de disposer d’une base de données. L’or acheté au Brésil n’est pas enregistré. Nous devons mettre la technologie à notre service », déclare-t-il.
Larissa, de l’Institut Escolhas, partage cette opinion. « Nous devons pouvoir disposer d’une trace capable de montrer ce flux à partir de l’origine de l’extraction. Une possibilité est la facture électronique, mais il existe également d’autres alternatives », dit-elle. Elle cite, à titre d’exemple, l’utilisation des registres de transactions de type blockchain [7], capables d’intégrer les données et les informations des processus miniers et des flux de production. La mise en œuvre d’un registre numérique de toutes les personnes physiques et morales autorisées à produire et commercialiser l’or est une autre option.

À la Police fédérale (PF), Geiser attire l’attention sur le programme Ouro Alvo, qui vise à créer un échantillonnage des particules d’or provenant de l’ensemble du territoire brésilien et qui permettrait d’identifier les opérations illégales. De 2019 à juin 2022, la PF a saisi 733 kilos de ce métal lors d’opérations menées dans tout le pays. « L’or change en fonction de la région d’où il est extrait. L’idée poursuivie est de continuer à cartographier les caractéristiques de l’or en vue d’endiguer les illégalités », explique-t-il.

Bien qu’ils soient protégés par la loi, Larissa estime que les acheteurs nationaux et internationaux doivent exiger davantage d’informations de la part de leurs fournisseurs pour s’assurer que l’or vendu n’est pas d’origine illégale. Elle souligne qu’au moins 50 % du métal commercialisé à partir du Brésil a du sang indigène ou est lié à la déforestation.

Ces derniers mois, la PF a tenté de retracer les circuits de l’or vers l’Europe. En octobre 2021, Repórter Brasil a révélé que BP Trading, le principal exportateur d’or du pays, entretenait des relations commerciales avec des entreprises nationales ayant fait l’objet d’une enquête pour avoir acquis ce métal en provenance des Terres indigènes. Dans un communiqué, BP Trading a déclaré à l’époque qu’elle « pratique des contrôles stricts concernant l’origine du minerai acquis auprès de ses fournisseurs » et qu’il s’agit pour elle d’une « condition sine qua non pour mener à bien ses opérations, que le minerai soit accompagné de la documentation appropriée requise par la législation en vigueur ».

« La quasi-totalité de l’or brésilien est exportée vers les économies des pays riches tels que le Canada, la Suisse, le Royaume-Uni et d’autres pays d’Europe. Nous savons qu’il n’existe pas de certificat de pureté ou d’autres documents similaires, mais ces sociétés internationales doivent faire pression pour obtenir quelque chose dans ce sens. Et s’il y a le moindre doute sur l’origine, elles ne doivent pas acheter », déclare Larissa.

Couverture : Les orpailleurs déclarent eux-mêmes la provenance de l’or qu’ils vendent aux entreprises.
Photo Univaja

[1Terras Indigenas. Les Terres indigènes sont des « territoires d’occupation traditionnelle », elles sont la propriété de l’Union, étant reconnu aux autochtones la possession permanente et l’usufruit exclusif des richesses du sol, des rivières et des lacs qui s’y trouvent.

[2Soit un peu plus de 200 millions d’euros en mars 2023.

[3Funai. Fondation nationale des peuples autochtones.

[4Parti fondé en 2004 suite à une scission de l’aile gauche du PT.

[5Medida provisória. Au Brésil, une Mesure provisoire est un acte juridique par lequel le président du pays peut, « dans des cas importants et urgents », promulguer des lois valables pour un maximum de 60 jours, sans l’approbation du Congrès national.

[6L’Unité de Conservation (UC) est une zone naturelle dont la fonction est de sauvegarder des portions significatives et écologiquement viables des différentes populations, habitats et écosystèmes du territoire national. En outre, elles garantissent aux populations traditionnelles l’utilisation durable des ressources naturelles et permettent aux communautés environnantes de développer des activités économiques durables.

[7Registre de transaction blockchain. C’est une technologie de stockage et de transmission d’informations qui offre de hauts standards de transparence et de sécurité.

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