En important du soja, de la viande de bœuf, du bois ou du sucre, des entreprises européennes et nord-américaines se rendraient-elles directement ou indirectement complices de la déforestation illégale de la forêt amazonienne et de violations des droits des peuples autochtones ? C’est à cette question que répond un rapport de l’ONG Amazon Watch rendu public ce 25 avril. « Européens et Nord-américains font partie du problème, mais ils font aussi partie de la solution », dit Christian Poirier, qui a dirigé les recherches.
Amazon Watch, en collaboration avec l’Observatoire brésilien de l’agro-négoce et l’organisation néerlandaise Profundo, ont récolté des données publiques sur plus de 50 entreprises brésiliennes. Toutes ces entreprises ont été sanctionnées ces deux dernières années par l’Agence brésilienne de protection de l’environnement (Ibama) pour « crime environnemental » en Amazonie. Les auteurs du rapport ont ensuite suivi les flux financiers liés à ces entreprises : qui leur achète leurs produits et qui y investit. C’est ainsi qu’ils sont remontés vers plusieurs entreprises et investisseurs européens et nord-américains qui, en étant partenaires de ces acteurs de la déforestation illégale, pourraient se rendre aussi, même indirectement, co-responsables de leurs agissements.
Deux importateurs français s’approvisionnent auprès d’une entreprise brésilienne condamnée
Sont listées dans le rapport des sociétés canadiennes, états-uniennes et européennes [1] qui se fournissent en viande, en soja, en bois exotique, en cuir, en sucre ou encore en açai, une baie énergisante très prisée pour les boissons vitaminées et les compléments alimentaires, auprès des entreprises brésiliennes condamnées pour crime environnemental.
Le rapport s’intéresse par exemple au Brésilien Arnaldo Andrade Betzel, qui possède les entreprises de bois Benevides Madeiras et de fruits Argus. Entre 2017 et 2018, il a été condamné à plus de deux millions de reais d’amende (un peu moins de 500 000 euros) pour déforestation illégale dans l’État du Pará. Amazon Watch signale que deux entreprises françaises travaillent avec cette compagnie brésilienne : Guillemette & Cie, spécialisée dans l’importation de bois, et le Groupe Rougier, un des leaders mondiaux du négoce de bois. Sur les deux années 2017 et 2018, Guillemette & Cie a importé par bateau 266 tonnes de bois vendu par Benevides Madeiras, note le rapport. Une filiale du groupe Rougier a pour sa part importé 125 tonnes de bois vendus par la firme brésilienne.
Des supermarchés bio peuvent vendre des produits de sociétés impliquées dans la déforestation illégale
L’autre entreprise du Brésilien Arnaldo Andrade Betzel, Argus, exporte de son côté des fruits. En 2018, il a vendu plus de 9 tonnes de pulpe d’açai à une entreprise allemande, Acai GmbH, qui les revend à son tour à des chaînes allemandes de supermarchés… bio. A leur tour, des consommateurs allemands d’aliments bio pourraient favoriser, à leur insu, des entreprises brésiliennes impliquées dans la déforestation illégale de l’Amazonie, en achetant leurs produits.
La forêt primaire d’Amazonie ne cesse de perdre du terrain face à l’avancée de l’exploitation industrielle des terres, utilisées principalement pour étendre les plantations et les pâturages. Un nouveau record a été franchi en 2018, avec 7900 km2 de forêt, l’équivalent d’un département français, défriché. Elle est aussi affectée par le commerce du bois et les activités minières. La situation s’aggrave depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en janvier. Son gouvernement « envoie le pire signal qui soit, en laissant entendre aux entreprises hors-la-loi que leurs actes seront tolérés », estime Christian Poirier. Un sentiment d’impunité qui va de pair avec une nette augmentation de la déforestation et des invasions violentes de terres indigènes.
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