Comment démanteler le Service de santé des autochtones

 | Par Alessandra Monterastelli, Outra Saúde

Les coupes budgétaires du gouvernement menacent de démanteler les programmes conçus dans la Constitution de 1988 pour respecter les savoirs et les rites des peuples ancestraux. Les connaître en profondeur pourrait être décisif pour les sauver, dans un projet de reconstruction nationale.

Publié le 23 septembre 2016 / mis à jour le 26 avril 2023

Traduction pour Autres Brésils : Du Duffles
Relecture : Philippe Aldon

Trois semaines avant les élections présidentielles, Jair Bolsonaro a remis le budget 2023 de l’Union au Congrès, se proposant de réduire de 60 % les fonds destinés au programme de Pharmacie Populaire. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement suggère de réduire de 59 % les investissements de la Santé des autochtones qui passeraient ainsi de 1,64 milliard de réaux à 664,6 millions de réaux.

Peu après l’annonce des plans de Bolsonaro pour 2023, une enquête menée par la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) a indiqué qu’en seulement huit mois, 16 enfants autochtones sont morts de diarrhée dans l’intérieur de l’État d’Acre. Selon l’enquête, un enfant autochtone a 14 fois plus de risques de mourir de cette maladie qu’un enfant blanc.

« J’ai trouvé ce pourcentage plutôt faible », déclare Marcos Sabarú, conseiller politique de l’Articulation des peuples autochtones du Brésil (APIB). « Nous sommes plus vulnérables. Il n’y a pas que la malnutrition et la diarrhée, nous mourons de la tuberculose, de la fièvre jaune, du chikungunya. Le taux de mortalité est élevé », explique-t-il. Sabarú appartient au peuple Tingui-Botó, originaire du Baixo São Francisco, dans l’État d’Alagoas. Il explique que les maladies liées au manque d’eau potable, comme la diarrhée, sont courantes dans une grande partie des terres autochtones : « Aujourd’hui, les rivières ne sont plus aussi propres que jadis », rappelle-t-il.

Au manque d’assainissement de base s’ajoute le manque de nourriture, symptôme non seulement de l’inégalité, mais aussi de l’absence de délimitation des territoires autochtones. L’augmentation de la déforestation et des incendies, tous deux liés aux exploitations minière et forestière illégales, a eu un impact important sur la faune et la flore régionales, ce qui, selon Sabarú, empêche les communautés de continuer à vivre de la chasse et de la pêche. Le déséquilibre environnemental conduit à la consommation de produits industrialisés qui se trouvent sur les marchés et, en raison du manque de ressources, à la malnutrition.

L’approvisionnement en eau potable et l’assistance aux communautés autochtones relèvent de la responsabilité du Secrétariat spécial à la santé autochtone (SESAI), une agence liée au ministère de la Santé qui pourrait voir son budget réduit en 2023 si Bolsonaro est réélu. Depuis 2010, date à laquelle il y a eu pour la première fois une agence uniquement responsable de la Santé des autochtones, le SESAI a commencé à coordonner les 34 Districts spécifiques à la santé des autochtones (DSEI), qui assurent les soins pour les cas simples, le patient étant orienté vers les hôpitaux régionaux et entrant dans le réseau du SUS lorsqu’il s’agit d’un cas complexe.

La décentralisation des soins, introduite par la Loi Arouca en 1999, a représenté une avancée décisive. La Fondation nationale de la santé (FUNASA), responsable de l’administration de la Santé des autochtones par le biais du SUS jusqu’à cette année-là, a été la cible d’accusations de corruption et de détournement de ressources. Les soins de santé pour les peuples autochtones étaient récents : ce n’est que dans la Constitution de 1988 que des politiques publiques ont commencé à exister pour les peuples autochtones — non pas en tant qu’individus protégés par l’État, mais en tant que citoyens.

Pourtant, les problèmes sont multiples. Bien que la création des districts soit une étape positive, il n’y a pas de différenciation claire entre les plans d’action de chacun d’entre eux, ce qui est nécessaire en raison des exigences de chaque territoire. « Dans un territoire, on manque d’ambulance, de voiture ; dans un autre, le problème est le paludisme tandis que dans un autre il n’y a pas de paludisme », précise Sabarú. L’incidence de maladies telles que le paludisme, la tuberculose et les infections sexuellement transmissibles (IST) progresse chez les peuples autochtones dans différentes régions du pays, révélant des difficultés en matière de soins et le délabrement de l’infrastructure disponible.

« Il devrait y avoir des médecins, mais ils en ont rarement », explique Ana Lúcia Pontes, chercheure à la Fiocruz et coordinatrice de la Santé des autochtones au sein de l’Association brésilienne de santé collective (ABRASCO). Elle explique que les Districts disposent d’équipes pluridisciplinaires, formées principalement d’infirmiers et de techniciens infirmiers, ainsi que d’agents autochtones de santé — des résidents nommés par leurs communautés ou des personnes qui passent par des processus de sélection spécifiques, mais qui ne sont pas régularisés. « Il s’agit de travailleurs extrêmement dévalorisés, précaires, sans carrière, sans qualification et sans encadrement adéquat.

Ces équipes doivent se déplacer dans les territoires, qui sont généralement vastes, dispersés et difficiles d’accès, avec des coûts de transport élevés », explique Pontes. En effet, ces équipes sont externalisées, la gestion des ressources étant transférée par les districts à des entreprises sous contrat, qui font l’objet de nombreuses plaintes de la part des populations autochtones. Les problèmes les plus fréquemment signalés touchent à la dissimulation de données, aux retards dans les paiements et dans l’achat de médicaments et à la mauvaise organisation des transports.

Après les déplacements des équipes dans les villages, qui peuvent durer des heures ou des jours — et dont la fréquence est irrégulière — il est rare que seuls des soins primaires soient dispensés. « Ils finissent par s’occuper des urgences et des cas graves. Il s’agit des premiers soins ; si nécessaire, le patient est référé à la ville », explique Pontes. Le transport des patients des zones difficiles d’accès vers les villes est coûteux, et selon Sabarú, les entreprises responsables ont parfois des budgets de carburant définis dans un contrat avec le district et qui ne peuvent être dépassés. Le même problème de coût se pose pour les heures de vol, lorsqu’il n’est pas possible de procéder au transport par bateau ou par ambulance.

À leur arrivée en ville, les patients entrent dans le flux du SUS. Parmi les droits garantis par la Constitution, les soins de santé différenciés ont été mis en avant - la reconnaissance par le SUS de la diversité socioculturelle et linguistique des peuples autochtones, et de leurs propres systèmes médicaux, pratiques et spécialistes. « L’attention différenciée implique une qualification adéquate des professionnels de la santé, la formation d’un plus grand nombre d’autochtones et la mise en place de protocoles », explique Ana Pontes. « Certaines villes à majorité autochtone devraient garantir des soins primaires sensibles, mais ce n’est pas le cas. Dans les zones urbaines, en général, les responsables ne veulent pas prendre leurs responsabilités », conclut-elle.

« Lorsqu’une naissance a lieu, la famille doit assister à l’accouchement. Le chaman doit prier. Il y a des gens qui n’acceptent pas de toucher le ventre de la femme avant l’accouchement. Certains médecins refusent d’intervenir lorsque des personnes sont peintes à l’urucum », ajoute Sabarú. La mise en œuvre de la ligne directrice qui propose l’articulation entre les médecines et pratiques dites traditionnelles reste un défi. En plus des difficultés déjà existantes, l’invasion croissante des terres autochtones par des orpailleurs crée un climat de peur dans ces territoires et empêche parfois les services de s’y rendre. Cette semaine, l’association Hutukara Association Yanomami a dénoncé le fait que des orpailleurs empêchent les équipes d’atteindre les villages en les menaçant. Sabarú affirme que ces situations ne sont pas des cas isolés. Il ajoute que, dans les groupes WhatsApp des associations liées à l’APIB, les audios de dénonciations, faites par les autochtones au sujet d’attaques contre des postes de santé, sont fréquents. « Tout passe par le territoire », conclut-il.

Voir en ligne : Como se desmonta a Saúde Indígena

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