Source : Blog Escritório Feminista, Carta Capital du 04/09/2014
Traduction pour Autres Brésils : Caroline SORDIA (Relecture : Ariane ALBERGHINI)
Photo : Karina Burh
Il est impressionnant de constater à quel point les droits humains sont méprisés par les candidats en période électorale. Personne ne veut courir le risque de perdre des voix en défendant des positions « polémiques », taboues parce qu’elles traitent de minorités qui, historiquement, ont toujours vu leurs droits bafoués : homosexuels, personnes trans, femmes, Noirs, populations indigènes.
Nous sommes forcés d’attendre que quelqu’un daigne nous représenter. Nous défendre. En cette période d’élections, ils promettent tous monts et merveilles. Ils disent qu’ils vont faire de la politique autrement, apporter des changements, développer le Brésil, etc. Mais ils parlent très peu de nos droits. Ces droits devraient pourtant être élémentaires, si élémentaires qu’il est inouï de devoir encore, en 2014, se battre pour eux.
Je vais ici traiter en particulier des droits reproductifs des femmes. Oui, du droit à un avortement légal et sûr.
C’est là que l’on voit que notre vie ne vaut pas grand chose pour de nombreux candidats. Peu ont eu le courage de mettre le sujet sur le table et de défendre la légalisation de l’avortement.
Eduardo Jorge, candidat du PV [Parti des Verts], l’a fait lors d’un débat télévisé. Luciana Genro, candidate du PSOL [Parti Socialisme et liberté], s’est elle aussi déclarée en faveur de la légalisation de l’avortement. Cependant, les candidats en tête dans les sondages, Dilma [Roussef, PT], Marina [Silva, PSB] et Aécio [Neves, PSDB], évitent soigneusement de toucher au sujet. Pourquoi ? Les femmes qui sont en train d’en mourir ne comptent pas pour vous ? On s’en fiche ?
Il faut aussi rappeler le cas des candidats au siège de député. Après tout, il s’agit d’un changement qui doit s’effectuer dans les lois. Ils sont rares à se déclarer favorables à la légalisation de l’avortement ; il est plus fréquent d’entendre des candidats se déclarer ouvertement « contre l’avortement ». Comme s’il suffisait de maintenir des lois répressives pour que l’avortement cesse tout simplement d’exister.
Mais laissez-moi vous rappeler la réalité, mesdames et messieurs les candidat-e-s : les avortements ne vont pas cesser de se produire juste parce que vous êtes « contre ».
Vociférer contre le droit des femmes à avorter, invoquer la religion et dire « c’est mon opinion » sans considérer que cette « opinion » ne peut valoir plus que la vie d’une citoyenne – tout cela, on peut s’y attendre de la part d’un commentateur anonyme sur Internet, pas d’un candidat à des responsabilités publiques. Le commentateur n’a aucun pouvoir sur moi ; mais un député ou un président tient dans sa main les lois qui garantissent mes droits fondamentaux.
Pourtant, d’après mes premières observations, certains candidats s’apparentent davantage à des commentateurs sur Internet qu’à de futurs parlementaires ou gouvernants.
Il n’est pas acceptable qu’un-e candidat-e à quoi que ce soit s’appuie sur ses opinions personnelles pour restreindre les droits des personnes, ce qui, dans le cas de l’avortement, signifie condamner des femmes à mort. Bien sûr, chacun peut avoir son opinion personnelle sur l’avortement. Mais qu’il ait au moins l’honnêteté d’admettre qu’il ne s’agit pas d’une question d’« opinion », mais bel et bien de santé publique, de vie ou de mort.
Un-e candidat-e qui fait prévaloir son opinion, ses « principes moraux », sur la vie des personnes, ne peut prétendre gouverner pour tous les Brésiliens. C’est un mensonge. Voilà quelqu’un qui ne prend pas au sérieux la responsabilité de représenter les citoyen-ne-s brésilien-ne-s.
J’ai vu des candidats dire qu’ils ne gouverneraient pas sur la base de leurs intérêts personnels, mais qui, sur la question de la légalisation de l’avortement, portent la main sur leur cœur pour nous expliquer qu’ils sont contre. Eh bien, voilà exactement la définition d’un intérêt personnel. Un autre candidat a prétendu défendre une nouvelle façon de gouverner, mais quand on l’a interrogé sur l’avortement, il a dit qu’il conserverait la législation telle quelle. Pardon ?
Être pour ou contre l’avortement n’est pas la question. Personne n’est pour l’avortement. Jouer cette carte ramène le débat au ras des pâquerettes. La question est celle de la légalisation de l’avortement : savoir si moi, personnellement, je suis contre, si j’avorterais ou pas, peu importe. Ce qui compte, c’est que les femmes vont continuer à avorter. Et tant que l’avortement sera illégal, elles vont continuer à mourir – surtout les plus pauvres.
Le Brésil ne peut bomber le torse et se considérer comme un pays moderne et démocratique tant qu’il continuera à acculer des femmes à la mort, tant qu’il ne considérera même pas les femmes comme des êtres humains disposant de leur propre corps de façon autonome.
Nous ne pouvons plus accepter que nos droits passent « après ». Nous ne pouvons plus accepter d’être représentées par des personnes qui prennent nos corps pour une monnaie d’échange. Nous ne pouvons plus accepter qu’elles essaient de nous soustraire les droits que nous avons déjà !
Cette année, nous avons vu des députés fondamentalistes essayer de faire barrage à la directive 451, qui attribuait des subventions aux hôpitaux publics pour prendre en charge les femmes pouvant avorter dans les cas prévus par la loi (l’avortement est légal en cas de viol, de fœtus anencéphale ou de risque vital pour la mère). Nous avons dû nous battre pour quelque chose qui était déjà reconnu comme un droit par la loi. C’est absurde !
On n’a même pas besoin d’aller si loin et de demander aux candidats de s’engager en faveur de la légalisation de l’avortement par libre choix jusqu’à la douzième semaine de grossesse. Demandons-leur seulement, et en particulier aux présidentiables, de garantir ce qui est déjà inscrit dans la loi.
Il n’est pas suffisant de dire qu’ils vont investir dans la santé alors qu’ils nient à des milliers de femmes l’accès à ce droit. Le gouvernement doit mener des campagnes d’information afin que les femmes sachent dans quels cas elles peuvent avorter et comment avoir accès au système de soins. Il doit s’engager à former les professionnels de santé pour qu’ils procurent un traitement adéquat à ces patientes. Le ministère de la Santé doit s’employer à briser le cycle de terrorisme et de désinformation afin que les femmes qui ont droit à l’avortement puissent suivre la procédure de manière légale et sûre, conformément à ce que prévoit la loi.
J’appelle les candidat-e-s à s’informer sur le sujet et à cesser de le traiter comme un tabou ou comme une question d’« opinion personnelle ». Cela ne fait que maintenir ce thème dans l’obscurité et l’illégalité, faisant ainsi courir un risque vital aux femmes.
Je les appelle également à penser à nous, non parce que cela les rend sympathiques ou leur rapporte des voix, mais parce que nous sommes des êtres humains, nous sommes des citoyennes, nos droits sont importants. À une époque où nous avons trois (trois !) candidates femmes à la présidence, il est inadmissible que les questions qui nous concernent fassent l’objet d’un tel mépris.
Or donc, chers candidats : allez-vous continuer à vous défiler, à pousser mollement une réforme qui doit être menée de toute urgence, car des vies de femmes en dépendent ? Ou allons-nous enfin parler du droit à un avortement légal ?
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Plus d’informations sur la légalisation de l’avortement
Quand il s’agit de donner son opinion pour condamner les femmes, beaucoup de gens sont tout à fait disposés à s’exprimer. Mais combien sont disposés à s’informer réellement, au préalable, sur le sujet ?
Quelques liens utiles [en portugais] :
« Il est important de rappeler que le stigmate lié à l’avortement relève également de la responsabilité du ministère de la Santé (…). Si certains croient qu’un avortement à douze semaines de grossesse s’apparente à une véritable boucherie, c’est aussi de la faute au gouvernement », explique Jarid Arraes.
« Une femme qui veut avorter avorte, que ce soit légal ou non. Et celles qui n’ont pas les moyens de se payer une clinique MEURENT ou conservent des séquelles. C’est simple. Si vous trouvez que l’avortement est une erreur, ou si votre religion ne l’autorise pas, je vous suggère tout simplement de ne pas avorter », rappelle Clara Averbuck.
« Si vous défendez le droit à la vie, s’il vous plaît, au-delà de la vie du fœtus, pensez aussi à celle de toutes les personnes qui sont affectées par une législation qui ne correspond pas à la réalité », ou pourquoi l’avortement légal est l’option qui permet de sauver le plus de vies.
« La législation répressive n’a pas empêché les femmes d’avorter, mais elle s’est montrée très efficace pour tuer ces femmes », dans un reportage d’Agência Pública sur l’avortement au Brésil.