« Ce soir, tous les communistes s’appellent Oscar... »

L’architecte Oscar Niemeyer, artisan de Brasilia, est mort le 5 décembre 2012 à 21h 55, à Rio de Janeiro, d’un arrêt respiratoire. Il avait 104 ans, toute sa tête et beaucoup de projets en cours de par le monde. Une trajectoire parfaite. " De courbes, disait-il, est fait notre univers "

Photo : Carlos Magno/Creative Commons

Il s’est évaporé mercredi 5 décembre 2012 à 21h 55, heure de Rio de Janeiro, 10 jours avant de souffler sa 105ème bougie : Oscar Niemeyer n’aimait pas les anniversaires. Pas le cheval non plus. Lui qui vivait dans un pays de cow-boys s’était irrité que l’un de ses 13 arrière-petits-fils lui rende hommage avec une cavalcade du Minas Gerais à Rio, alors qu’il n’était « jamais monté à cheval ». Lui qui dessinait des soucoupes volantes, des voiles et des bâtiments faits pour « flotter » et qui vivait dans un pays immense grand comme deux Europe n’aimait pas l’avion. C’est par voie maritime ou terrestre qu’il voyageait.

Cet architecte du béton armé avait un sens profond du paradoxe. A la ligne droite, toujours il préféra la courbe. De son atelier surplombant la baie de Copacabana ou de sa Maison des Canoës perchée dans la forêt de Tijuca et devenue aujourd’hui la Fondation Oscar Niemeyer, il s’était empli le regard de lignes en arcs de cercles avec les plages, les vagues, les femmes, les morros.

« Ce n’est pas l’angle aigu qui m’attire ni la ligne droite, inflexible, dure créée par l’homme. C’est la courbe, libre et sensuelle, la courbe des montagnes de mon pays, du cours sinueux des rivières, des nuages du ciel, des vagues de la mer, du corps de la femme préférée. De courbes, est fait notre Univers. L’univers courbe d’Einstein ! »

Pourtant c’est moins l’architecte des courbes que l’idéaliste, l’homme droit et généreux que pleurent 190 millions de Brésiliens. Chico Buarque salue son humanité, « une homme encore plus grand que son oeuvre  ». Les Etats de Rio de Janeiro et du Minas Gerais ont décrété 3 jours de deuil national et Brasilia veillera jeudi le corps de l’architecte au Palais du Planalto, l’Elysée brésilien qu’il a lui-même dessiné tout comme le Congrès, le Palais de l’Itamaraty, Ministère des Affaires Etrangères, le Tribunal Supérieur et la moitié des bâtiments publics de la capitale.

« L’architecture n’a pas d’importance » disait-il en toute conviction. « Ce qui importe, c’est d’en finir avec la misère ». Voilà pourquoi il avait jusqu’au bout soutenu Lula. Il trouvait que l’argent est une « une chose sordide » et il en distribuait autour de lui à ses amis, ses compagnons de route, ses employés. Son grand père Ministre du Suprême Tribunal - comme l’est aujourd’hui Joaquim Barbosa - était mort sans un sou et il trouvait ça « beau ». Pourtant, il ne manquait jamais de faire payer des fortunes pour son travail.

Musée Oscar Niemeyer à Curitiba - Brésil
Photo : Mário Roberto Ortiz/ Creative Commons

Oscar Niemeyer s’inscrit au Parti Communiste Brésilien (PCB) en 1945. Il a 38 ans ; a déjà travaillé avec Le Corbusier, construit le Palais Capanema, commande du Ministère de la Santé et de l’Education de Rio et l’Eglise bleue de Pampulha à Belo Horizonte, deux bâtiments identifiables par les céramiques bleues et blanches de Portinari. Il ne ressortira plus du Parti...Invité à enseigner à l’Université de Yale, son visa pour les Etats-Unis est refusé ! Qu’importe puisque l’année suivante, il participe à l’édification du Siège des Nations Unies à New York. ; « L’architecture n’a aucune importance à mes yeux. Ce qui importe c’est de vivre, de s’embrasser, qu’il y ait de la solidarité et qu’on puisse imaginer un monde meilleur !  ».

Les militaires qui prennent le pouvoir en 1964 ne voient pas les choses sous cet angle et la revue Module qu’il dirigeait est détruite, ses bureaux saccagés et les commandes se font rares. Avec deux cents enseignants, il démissionne de l’Université de Brasilia alors et part pour la France. Là, il fait la plus grande partie de ses réalisations internationales : en France avec le siège du Parti Communiste rue Colonel Fabien, la Bourse du Travail, le Centre Culturel du Havre mais aussi en Algérie avec l’Université de Constantine et la Mosquée d’Alger.

Le révolutionnaire de 105 ans qui dessinait au feutre noir et à main levée, des palaces sans barrières, des rampes traversant des miroirs d’eau, des musées en forme d’Ovni, des cathédrales et des mosquées de verre au milieu de pelouses, était un farouche optimiste « Il faut apprendre à rêver, sinon rien ne se passe  ». En 1995 Fidel Castro était venu voir son ami à Rio et il avait conclu « Désormais il ne reste plus que deux communistes au monde : moi et Oscar !  »

A Rio, Kakie Roubaud

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