Ce n’est pas seulement le modèle néolibéral, mais aussi le modèle brésilien qu’il faut changer (3)

L’offensive diplomatique : Cancun et Miami

Mais il y avait une autre raison pour ne pas rompre. Si le Brésil de Lula prétend s’engager sur un modèle de développement tournant le dos au néolibéralisme, ce n’est pas au nom d’un nationalisme étatique et protectionniste autosuffisant. C’est en tant qu’Etat et puissance économique qu’il entend lutter contre la mondialisation, telle qu’elle s’organise selon les seuls intérêts des puissances centrales, et non seulement par un discours dénonciateur lancé depuis les tribunes de meetings. L’économie brésilienne, à la différence des autres économies latino-américaines, est une économie complexe, profondément dépendante de son insertion internationale, tant pour ses marchés d’exportation que pour ses investissements productifs internes.

Le projet brésilien de développement repose donc aussi sur une lutte décisive, au sein de l’ensemble des institutions et organismes internationaux de crédit, de commerce, de coopération économique, technologique, culturelle... dominés par les intérêts néolibéraux américano-européens. Il s’agit pour lui, non seulement de maintenir sa présence dans ces organismes, mais surtout d’y conquérir le poids et la crédibilité suffisants pour y amorcer des convergences et des polarisations nouvelles qui modifient ces rapports de forces, créent des circuits d’échanges internationaux différents, instaurent de nouveaux pôles dans la circulation des marchandises et des capitaux. Le but est de dégager l’espace pour faire exister et croître un ensemble de partenaires nouveaux, distinct de ceux qui dominent aujourd’hui le marché, et dont les intérêts convergent avec ceux que le Brésil cherche à mettre en oeuvre. Des partenaires à la mesure aussi de son importance économique et géopolitique. A terme, il vise une réorganisation de l’ordre international lui même, et de ses institutions : l’ONU évidemment, mais aussi la construction des ensembles régionaux, les relations nord-sud, la coopération multilatérale, les accords de sécurité collective, etc. C’est sous cet angle qu’il faut comprendre l’intense activité déployée par le Brésil sur le plan international depuis un an.

Le premier objectif est de reconstruire et renforcer les institutions régionales comme le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay, plus Chili), les élargir aux autres pays comme ceux du Pacte Andin (Venezuela, Colombie, Equateur, Bolivie, Pérou), les étendre à d’autres domaines que la seule coopération économique vers une intégration politique, culturelle, et institutionnelle, afin de constituer un contrepoids crédible aux projets américains d’un Accord de Libre Commerce des Amériques (ALCA) et empêcher que ce dernier ne soit qu’une annexion commerciale de l’Amérique du Sud par celle du Nord.

Or cet objectif ne peut se limiter à une vision bolivarienne d’une autre époque. Il s’agit de l’inclure dans une politique conjointe des pays du Sud, notamment dans les négociations de l’OMC, celles de Kyoto, de l’articuler à l’établissement de partenariats économiques, technologiques, culturels, avec les puissances potentielles, mais marginalisées isolément, que représentent des pays comme l’Afrique du Sud, l’Inde, la Chine, la Russie, afin que puissent peser sur les évolutions générales du monde d’autres intérêts et préoccupations que ceux des seules puissances américano-européennes.

La politique internationale d’un pays n’est que le prolongement de sa politique nationale. Il est étrange de constater, chez les critiques « de gauche » qui, comme Daniel Ben Saïd ne voient dans Lula « qu’un néo-blairisme version bossa nova », le soutien qu’ils concèdent néanmoins à la diplomatie brésilienne. Mais celle-ci aurait-elle pu, en septembre, bloquer le sommet de l’OMC à Cancun, y former le groupe G 20 et permettre à celui-ci de résister à toutes les pressions visant son effritement, aurait-elle pu en novembre, à Miami, contraindre les USA à accepter une ALCA « light » sans aucune des conditions américaines sur la propriété intellectuelle, les marchés audiovisuels et de communication de masse, les services financiers, les commandes d’Etat, les dépenses d’équipement, les ressources naturelles, le code des investissements, les réparations financières, etc.([2]), si le Brésil n’avait pas su préalablement préserver sa présence et renforcer son crédit dans les institutions internationales telles que le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC ? Aurait-il pu tout au long de l’année s’opposer avec succès aux désirs d’ingérence américaine au Venezuela, en Colombie, en Bolivie ; aurait-il pu signer les innombrables accords bilatéraux de coopération commerciale, industrielle, technologique, culturelle avec l’Afrique du Sud, l’Inde, la Chine, la Russie, les pays arabes, et engranger leur soutien croissant pour son projet de réforme du Conseil de Sécurité si, dès la première année, il s’était présenté comme le gouvernement sans assise politique institutionnelle d’un pays en faillite économique ?

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[2] La mobilisation engagée par la plupart des mouvements sociaux (MST, UNE, CUT, CNBB, Pastorales diverses etc.) contre l’ALCA, loin de constituer une opposition à la diplomatie brésilienne, lui a au contraire servi d’appui face aux craintes et à l’aversion qu’elle suscitait dans les milieux de l’oligarchie dominante dans le pays, et clairement exprimée par une des presses les plus serviles à l’égard des jugements du « premier monde ».

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