Carandiru, São Paulo, Brésil
Par Drauzio Varella
Traduit du Portugais par Stéphane Dosse
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Commentaire du site Boojum
Toutes les prisons du monde se ressemblent, mais chacune est cruelle à sa manière.
En 1989, pour soigner des prisonnières et les prévenir du danger du SIDA, un certain Drauzio Varella, médecin bénévole, entre dans la plus célèbre prison du Brésil, Carandiru, située en plein milieu de Sao Paolo.
En prenant cette décision le médecin était loin d’imaginer que cette démarche serait en réalité le début d’un voyage un enfer qu’il visiterait comme Dante et que plus tard il présenterait ses impressions dans un livre appelé tout simplement Carandiru. Le plus effroyable est qu’à la différence de Dante et sa Divine Comédie, le livre de Drauzio Varella, hélas, n’est pas une fiction, ni une imagination. C’est un document qu’on peut même appeler « Divine Tragédie ». Nous sommes en face d’une réalité « hors d’œuvre », qui dépasse n’importe quelle imagination !
« La prison est un lieu habité par le mal ». C’est avec cette phrase très simple, en même temps terrifiante, que Drauzio Varella commence son récit. Dès les premières pages on tombe dans un autre monde qui demeure dans un autre univers peuplé de mutants sociaux, intellectuels et spirituels, dont on ne soupçonnerait peut-être même pas l’existence. Dans ce monde impitoyable et cruel, de simples petits voleurs condamnés à quelques mois se frottent aux criminels condamnés à plus d’un siècle de prison. La grande majorité de ces êtres-là sont des SVF - Sans Vie Fixe - qui se trouvent dans une situation précaire, en prison d’ou ils risquent d’être « expulsés » à n’importe quel moment. La plume de l’auteur telle une caméra fixe tout ce qui se passe devant ses yeux, d’une manière quasi-documentaire sans aucun jugement.
Avec plus de 7200 prisonniers, la prison Carandiru a été la plus grande du Brésil. Dans ces cellules bouclées, on rencontre toutes sortes d’humains : des bandits, des assassins, des voleurs, des violeurs, des braqueurs... Leur quotidien ? Des bagarres, des règlements de compte, des meurtres... Leur problème ? Toutes les misères et maladies du monde comme plus le sida, la tuberculose, le cancer, des blessures... Leur loisir ? Le crack, la cocaïne, les herbes, la marijuana... Leur espoir ? Le désespoir ! Peu importe pour quelle raison ils se trouvent ici.
A la fois terrifiants et fascinants, attachants et repoussants, pour le médecin ce sont des patients et pour nous des êtres ayant un autre visage d’homme, vivant dans une autre condition humaine, possédant un autre équilibre de l’âme et se trouvant dans une autre disposition d’esprit. Parfois nous avons pour eux de la compassion, parfois ils nous mettent en colère, parfois ils nous font pitié, mais jamais ils ne nous laissent indifférents.
Page après page, dans un langage simple, l’auteur nous dévoile la vie quotidienne des détenus, raconte des histoires poignantes sur quelques vétérans de cette maison de détention. Après chaque chapitre nous avons l’impression que le monde s’écroule autour de nous. On voit une sous-société « indépendante », avec ses propres lois, avec ses gouverneurs, avec sa morale, avec ses coutumes et ses traditions qui font froid dans dos. Ce n’est pas une vie, non, c’est une contrefaçon de la vie faite par un créateur clandestin, avec une qualité inférieure et sans aucune garantie.
Dans ce livre, l’auteur semble plutôt poser des questions que passer un message. Peut-on rester humain dans une condition inhumaine ? Car la prison est le « dédoublement » de la société, le reflet d’un système dans un miroir déformé. Les prisonniers sont finalement des bourreaux ou des victimes ? Ou ce sont des bourreaux en liberté et des victimes en prison ? C’est cela peut-être la justice - la justice humaine. Mais, le plus étonnant est qu’au cours de la lecture, les questions éternelles « d’où vient-on, qui sommes-nous, ou va-t-on » ? laissent leur place aux autres questions pas moins existentielles : « Comment sommes-nous, de quoi sommes-nous capables, que peut-on supporter ? »
On ferme le livre avec une « gueule de bois ». L’auteur termine son récit avec une scène terrible qui nous cloue sur place. Dans la cour de la prison, un match de foot dégénère et se transforme en émeute. La direction fait appel aux policiers militaires, le commando spécial le plus célèbre du nom de « troupe de choc ». Par la suite on verra que cette troupe porte bien son nom. Une véritable boucherie, un carnage au cours duquel la « troupe du choc » tire sur tout ce qui bouge. Bilan de l’intervention : 250 morts du côté des prisonniers. Les cris, les cadavres, le sang rependu dans les couloirs... On aimerait bien que ce soit dans un film. Mais, non, ce n’est pas du cinéma, messieurs. C’est la prison - Carandiru.
Shain Sinaria
Commentaire de Le Monde Diplomatique
En 1989, Drauzio Varella, spécialiste du sida, est marqué par sa visite à Carandiru, la plus grande prison du Brésil avec plus de 7 000 détenus. Il décide d’y commencer un travail bénévole de prévention. L’aventure durera plus de dix ans. Elle dépassera rapidement son objectif de départ. Au fil des années, les détenus s’habituent à la présence du médecin et lui ouvrent les portes des recoins les plus secrets de la prison, mais aussi de leur existence. Varella, de son côté, écoute l’histoire de ces déshérités « avant » la prison : la misère, le chômage, les combines, les femmes, la drogue... Il écoute l’histoire de la vie dans la prison, « où la privation de liberté et la restriction de l’espace physique ne conduisent pas à la barbarie ». Mais la barbarie existe bien, et pas toujours là où l’on s’y attend. Varella ne s’y trompe pas. Il lui suffit de narrer l’étouffement d’une émeute par la police militaire en 1992 - dans un bain de sang - pour la mettre en évidence : barbarie d’un pays livré aux réformes néolibérales où la paupérisation s’accompagne d’une répression de plus en plus violente.
Renaud Lambert
Edition L’Aube, "Document", avril 2005, 242 pages, 22 €