COP 21 : le Brésil en vol stationnaire

 | Par Kakie Roubaud

Le Brésil n’est plus un pays « rural ». Urbanisé à 85%, son profil d’émissions de gaz à effet de serre (GES) est en train de changer. Après la déforestation, doit-il s’attaquer aux climatisations ?

A trois semaines de la COP21, il y a des lavandes en fleurs dans la région de Lyon et dans l‘Etat de São Paulo, le colibri, nouveau marqueur environnemental doit monter butiner en altitude pour résister aux chaleurs. Pour tous, les températures sont plus élevées. Tant mieux pour les fleurs ! Et tant pis pour les colibris ?

Depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992 et la Convention de Kyoto en 1994 (UNFCCC en anglais) adoptée par 154 pays, les conférences du climat se succèdent : Lima 2014, Varsovie 2013, Doha 2012, Durban 2011, Cancun 2010, Copenhague 2009... Cette fois, il faut garantir un réchauffement global inférieur à 2°. Le 1er octobre, 194 pays ont présenté leurs objectifs nationaux pour une comptabilité planétaire à l’horizon 2030.

Moins 43% de réductions brésiliennes d’ici 2030

Le Brésil, 7ème puissance économique de la planète a rendu sa copie : « moins 43 % de réduction » d’ici 2030 (année de référence 2005). Beaucoup mieux que les 20% promis en juin, mieux que les Etats-Unis (moins 26%) et mieux que l’Union Européenne (moins 40%- par rapport à 1990). La présidente Dilma Rousseff l’a annoncé lors du Sommet des ODS (Objectifs du Développement Durable). En 2005, lorsque le Brésil a commencé à comptabiliser ses émissions, les Brésiliens émettaient 2 milliards de tonnes (équivalent C02) et en 2013, 1,5 milliard. En 2025, ils émettront 1,3 milliard et en 2030, 1,2 milliard.

C’est une réduction par paliers et le Brésil se donne la possibilité de revoir en 2020 son objectif. Il a opté pour une stabilisation : 1,2 milliard de tonnes - équivalent C02, le même niveau d’émissions en 2030 qu’en 2012. Un objectif ambitieux ! Mais pourquoi avoir tant trainé quand Paris appelait à anticiper la date du 1er octobre et que d’autres, Mexique, Gabon ou Suisse, avaient répondu à l’appel ? C’est que Brésil n’était pas très sûr de la bonne volonté des pays développés à mettre la main au porte-monnaie !

Souvent les pays du Sud se sont fait gruger. Sur les 100 milliards d’aide annuelle prévus en 2009 pour financer les adaptations dans les pays en voie de développement, seulement 4 milliards avaient été débloqués il y a encore quelques semaines. Pourtant la « dette » climatique est une affaire entendue. Seuls figurent sur l’Annexe 1 de la Convention de Kyoto, les 55 pays industrialisés qui portaient en 1990 la responsabilité du dérèglement climatique. Mais cette logique n’est pas consensuelle. Chaque année, la volonté de différencier - ou pas - les uns des autres, fait échouer les négociations.

Le Brésil n’est plus « un pays du Sud »

« Nous souhaitons que Paris apporte des solutions concrètes qui respectent les différences entre les pays » avait à nouveau précisé Isabel Teixeira, la Ministre brésilienne de l’Environnement lors d’une conférence de presse en juillet à Rio. Premier message martelé à l’attention des journalistes internationaux et de leurs pays respectifs : qui financera les adaptations ? « On attend toujours les 100 milliards annuels du Green Climate Fund censé aider les pays en développement. S’il n’y a pas d’engagement là dessus, Paris va devenir difficile » avait-elle prévenu.

Finalement, les 100 milliards sont arrivés ! Le 23 octobre dernier, l’engagement financier de 100 milliards étalon/an a été signé à Bonn au titre de la solidarité Nord-Sud. Les nouveaux contributeurs sont la France, la Grande-Bretagne… et la Chine. Surprise : le Brésil n’en bénéficie pas. Comme l’Inde, le Brésil n’a pas conditionné son objectif national à l’apport d’un soutien financier international. Mieux, il a annoncé qu’il renforçait son soutien aux pays en développement. Cet effort des grands émergents a permis, dit-on, de débloquer les discussions sur le financement climatique.

« Que se passera-t-il en 2015-2025 pour les pays comme le Brésil qui avaient déjà réduit leurs émissions de façon volontaire ? » s’interroge pourtant la Ministre brésilienne à Rio. Rien sur le plan international n’obligeait en effet le Brésil à réduire ses GES depuis 2009 car il ne figure pas sur l’Annexe 1 de la Convention de Kyoto. Pourtant il l’a fait volontairement pendant sept ans au travers d’une politique nationale axée sur la lutte contre la déforestation, à l’époque, son principal enjeu.

Déforestation zéro… mais 35% d’émissions de + dans l’énergie

La bataille contre la coupe illégale financée par le crime organisé, contre le défrichage pour la culture et l’élevage et l’arrêt des routes et des villes en Amazonie est en partie gagnée : 29 000 km2 ont été déboisés en 1998, 27 000 en 2004, 15 000 en 2006, 10 000 en 2010, 4 500 en 2013. L’Institut National d’Etudes Spatiales (INPE) surveille la déforestation par satellite : d’août 2013 à juillet 2014, le déboisement a reculé de 15%.

« Le Brésil est le pays du monde qui a diminué le plus ses émissions de GES » plaide la Ministre de l’Environnement. De pays émetteur, le Brésil veut devenir un « capteur » de CO2. A New York, la présidente Dilma Rousseff en a donné les détails : « D’ici 2020, le Brésil veut en finir avec la déforestation illégale. Pour 2030, il vise zéro émissions liées à la déforestation légale. Il veut reboiser 12 millions d’hectares et restaurer 15 millions d’hectares de pâturages dégradés d’ici 2030 ».

Cette volonté aurait pu être le pendant d’une filière énergétique « propre » car avec l’hydro-électricité, le Brésil s’est doté d’une énergie renouvelable à 85%. « Un objectif que l’Allemagne rêve d’atteindre en 2050 ! » se félicite Isabel Teixeira. Mais il n’y a plus assez d’eau dans les réservoirs, plus assez de fleuves disponibles et les mouvements populaires de contestation aux barrages sont nombreux.

Dans le même temps, avec 85% de la population concentrée dans les villes, les besoins en énergie du Brésil augmentent : + 5% par an depuis 2010. C’est 35% d’émissions en plus depuis 2005. L’ennemi climatique du Brésil, ce n’est plus la déforestation… mais l’énergie, comme au Nord ! Comme en Europe, aux Etats Unis et en Chine, le Brésil met donc l’accélérateur sur les énergies renouvelables non hydrauliques. Au cours des cinq dernières années, l’éolien brésilien a augmenté de 40% par an.

Pourtant, avec un profil d’émissions qui change (déforestation, élevage) pour se calquer sur les pays développés (énergie, transport, bâtiment) il reste deux inconnues. Les économies d’énergie : rares sont les bâtiments éco-conçus alors que les systèmes de climatisations sont nombreux ! Mais aussi le pétrole dans les transports brésiliens. L’exploitation du pétrole « pré- sel » annule en effet l’effort qualitatif des biocarburants dont le Brésil reste le principal exportateur, en particulier vers l’Europe.

Et le colibri dans tout ça ? Sa température corporelle avoisine les 40°. Il peut donc supporter confortablement des températures tropicales élevées proches de 38°. Or l’augmentation progressive des températures fait aussi qu’il vole moins, recherche plus d’ombre et moins de nectar. Pourtant seul le nectar lui fournit la précieuse énergie nécessaire pour affronter le stress thermique.

L’étude qui a mis ces éléments en évidence est nommée Impact du changement climatique au Brésil et stratégies d’adaptation. Elle concerne huit espèces de colibris dans la région d’Ubatuba. « Nous espérons que les plantes seront capables d’ajuster leur concentration de nectar à temps pour accompagner le changement climatique et continuer de fournir l’énergie nécessaire aux colibris » disent les chercheurs brésiliens. Désormais, il faudra aussi penser aux colibris en installant la clim’ !

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