Brésil : la violence enracinée avec Maud Chirio

 | Par Radio France International

Le climat de la campagne présidentielle est très tendu au Brésil. Le 2 octobre, les électeurs verront s’affronter deux personnalités et deux choix de société que tout oppose.

C’est un ’Grand Reportage’ signé Olivier Poujade Gilles Gallinaro.

Le podcast peut être écouté ici

Jair Bolsonaro, au pouvoir depuis quatre ans, est un nostalgique de la dictature militaire, et un ultra-libéral, quand l’ancien président Luis Inacio Lula da Silva, empêché de se présenter en 2018, en raison d’accusations de corruption a pour cheval de bataille la lutte contre les inégalités. En pleine crise économique marquée par l’inflation et l’insécurité alimentaire Lula est donné favori, même si l’écart entre les deux principaux candidats s’est resserré ces dernières semaines. A l’occasion du bicentenaire de l’indépendance, Jair Bolsonaro a voulu faire une démonstration de force en mobilisant ses troupes, et en organisant des défilés militaires à Brasilia et Rio. Le président sortant hausse aussi le ton qualifiant les sondages de « mensonges », et menaçant de ne pas reconnaître le résultat de l’élection.

Les deux camps se radicalisent, les militants font allègrement circuler de fausses informations et des incidents émaillent la campagne. En juillet, un militant du Parti des travailleurs a même été tué par un policier pro-Bolsonaro. Lundi, un juge de la Cour Suprême a d’ailleurs limité temporairement l’accès aux armes, en raison du risque de « violence politique ».

La culture du port d’armes

Pendant quatre ans, Jair Bolsonaro n’a ménagé aucun effort pour remettre entre les mains de ses partisans leurs jouets préférés, les armes à feu. Chaque semaine, au Brésil, un nouveau club de tir ouvre ses portes. Giroto vient d’en inaugurer un deuxième, dans la banlieue sud de Sao Paulo :

"Plus les bons citoyens seront armés, plus nous serons en sécurité. L’État ne peut pas être partout à la fois. Plus il y aura de citoyens préparés et armés, plus nos vies seront sûres. Cet engouement, c’est une fièvre, une bonne fièvre…. Comment voulez-vous rendre justice ? si la Justice elle-même ne remplit pas sa fonction de base, qui est de condamner et de faire purger leur peine aux agresseurs pour ce qu’ils ont commis. L’État ne peut pas être partout à la fois"

"Prendre la vie de quelqu’un n’est jamais satisfaisant. Ce n’est pas l’objectif, le but c’est que le gars réfléchisse avant d’agir. Donc, avoir une arme, c’est comme une prévention, il ne faut pas s’en servir mais elle est toujours là prête à être utilisée. L’arme n’est pas un mécanisme de mort, le mécanisme de la mort, c’est la personne qui la possède".

Persécution : portrait de Txaï Surui

Txaï Surui, militante brésilienne pour l’environnement, devant le Musée de demain, à Rio de Janeiro. Txaï Surui, militante brésilienne pour l’environnement, devant le Musée de demain, à Rio de Janeiro. © Radio France - Gilles Gallinaro

Cette épopée pro-arme a galvanisé certaines catégories de Brésiliens. Chercheurs d’or, trafiquants de bois, éleveurs de bétails, envahissent chaque jour un peu plus, des territoires encore vierges protégés par les communautés indigènes.

En 2021, un rapport du conseil indigéniste missionnaire indiquait que durant les 2 premières années du mandat de Jaïr Bolsonaro les crimes commis contre les peuples indigènes avaient augmenté de 60%. Txaï Surui, a porté la parole de ces peuples autochtones lors des discours d’inauguration de la conférence pour le climat de Glasgow

"Nous sommes victimes d’attaques menées par l’agrobusiness, par des gens qui nous envahissent. 20 000 chercheurs d’or dans le nord, qui détruisent la forêt, qui violent les femmes… et ça n’est pas une guerre ? Nous sommes victimes d’une guerre invisible."

"Comment ne pas avoir la rage ? Ils continuent de nous tuer alors qu’en vérité ceux qui sont en 1ère ligne pour protéger les forêts, ce sont les peuples indigènes. C’est nous qui aidons le reste du monde."

Stigmatisation des favelas

Selon les chiffres officiels, au 1er semestre 2022, 628 personnes ont trouvé la mort durant des opérations policières à Rio. En mai dernier, la petite favela de la « Terre Promise » a été le théâtre d’une « chacina » une chasse à l’homme, une intervention brutale et rapide des forces de l’ordre, où l’on tire pour tuer. Bilan officiel 23 morts, l’un des plus lourds de ces dernières années.

Loudicea, une infirmière de ce quartier où les habitants vivent sous le contrôle des trafiquants de drogue au rythme des opérations coup de poing de la police :

"Une invasion… c’est ce qu’ils font… ils arrivent à l’aube et ils entrent quand tout le monde dort encore, très souvent, vous vous réveillez avec le fusil d’un policier pointé sur le visage, à l’intérieur de votre maison. Ils débarquent lourdement armés et sans jamais donner leur identité. Tout le monde avec une cagoule. Comment voulez-vous qu’on sache qui est entré ? Tu comprends comment ça se passe ?"

Dans un récent rapport, le groupe de recherche que dirige la sociologue Mariana Syracuse estime qu’en 2019, 74% des écoles publiques de Rio ont été perturbées par la violence de l’action policière :

"Il y a une criminalisation de ces territoires. Nous savons que la police agit différemment selon la région de la ville où elle se trouve. Si elle est dans un quartier riche, elle agira d’une manière différente et ne déclenchera pas de tirs dans ces quartiers, elle n’entrera pas dans les maisons. C’est de cette manière qu’elle opère, près de la plage à Copacabana, Leblon et dans les favelas, dans les périphéries, dans les quartiers les plus pauvres, les opérations sont spectaculaires, ils arrivent en tirant, ils envahissent les habitations, sans mandat, sans ordre judiciaire, ils utilisent des hélicoptères. A Rio de Janeiro, par exemple, ils envoient des hélicoptères blindés, très près des maisons, en tirant depuis le ciel. Donc ils ne se préoccupent pas de la vie des gens, ils prennent le risque de toucher les résidents, et la majorité des habitants des bidonvilles, sont des gens qui paient leurs impôts, qui ne commettent pas de délits".

Contrôle social comme outil de la violence

Les Brésiliens sont confrontés à un autre type de violence depuis le passage de la pandémie et l’éclatement du conflit ukrainien. Selon des études récentes, 125 millions d’entre eux seraient en situation d’insécurité alimentaire : 6 Brésiliens sur 10. Vanessa coordonne la distribution d’aide alimentaire, la situation s’est aggravée dit-elle… aujourd’hui les enfants sont aux côtés de leur mère dans la rue :

"Avant il y avait des crèches, les mères mendiaient seules et aujourd’hui tout est plus dur, par exemple pour nous qui distribuons de la nourriture, dans certains endroits vous êtes verbalisés si vous donnez à manger, si vous êtes dans l’aide sociale, il y a des coins où c’est interdit !"

Julio Lancellotti est au contact de la rue depuis près de 40 ans. Menacé pour venir en aide aux plus démunis pendant la dictature, le père Lancellotti l’est désormais par les amis de Jair Bolsonaro.

"Les formes de contrôle social, de violence policière atteignent un niveau alarmant au Brésil. Nous devons analyser tout ça dans le cadre du discours néolibéral et ce que nous voyons dans ce gouvernement c’est un perfectionnement du néolibéralisme qui rend le néolibéralisme encore plus mortel qu’il ne l’est déjà. C’est un système qui tue, les inégalités tuent, les inégalités justifiées par la méritocratie tuent. C’est une forme d’extermination des pauvres. C’est ce que dit le pape François : "Ce système fabrique la pauvreté et veut dissimuler les pauvres".

Le port d’armes : une nécessité pour certains évangéliques

Aujourd’hui, 24% de l’électorat brésilien est de confession évangélique, une paroisse bolsonariste que Lula tente de convertir depuis de long mois en s’assurant le soutien de certains pasteurs, notamment pentecôtistes.

"Ecouter la parole du seigneur", c’est ce que préconise le pasteur Nininho, convaincu que son interprétation des versets bibliques délivrera ses fidèles de la violence quotidienne dans laquelle ils vivent :

"Jésus, a dit : "Pierre un jour viendra où tu devras vendre ta cape et acheter une épée". Aujourd’hui, nous avons une icône parmi les pasteurs de notre église, Silas Malafaia, il se déplace avec une arme et il est protégé par 4 policiers des forces spéciales. Selon la situation il faut savoir s’adapter. J’ai des amis pasteurs qui ont des hommes de sécurité armée devant leur église. Malheureusement, c’est dans la culture. Ils ne prêchent pas la violence, ils se protègent de la violence".

Voir en ligne : Brésil : la violence enracinée

En couverture : Une affiche dit ’Le fascime tue’ en rouge.
(c) Guilherme Santos/Sul21

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