Brésil et Chine : avancées et contradictions

 | Par Mario Osava

Source : Outras Palavras - 22/06/2015
Traduction pour Autres Brésils : Jean Jacques ROUBION
(Relecture : Céline FERREIRA)

Le nombre d’accords et de contrats signés pendant la visite au Brésil du premier ministre chinois, Li Keqiang, s’élève à 35, mais seul un projet attire l’attention dans le cadre du rapprochement étendu entre les deux pays. Il s’agit de la ligne ferroviaire « Transcontinental », de plus de 5 000 kilomètres selon les prévisions qui reliera le port d’Açu, à 300 km du Nord-ouest de Rio de Janeiro, à un port péruvien, non cité et qui fera l’objet d’études de faisabilité, d’après le mémorandum d’entente signé entre le Brésil, la Chine et le Pérou.

« C’est une folie », affirme Newton Rabello de Castro, professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro spécialisé dans les transports. « La barrière andine de quatre mille mètres » et les coûts élevés rendent déjà ce projet non-viable, affirme-t-il auprès d’IPS. Les chemins de fer n’apprécient pas les topographies trop accidentées, tous ceux qui ont été construits dans les Andes ont été mis hors service et le train à grande vitesse entre Rio et São Paulo n’a pas non plus résisté en raison des frais d’entretien exagérément élevés », précise l’ingénieur diplômé de l’Institut de Technologie du Massachussetts. Pour ces mêmes raisons, d’autres tracés proposés dans l’objectif de joindre les océans Atlantique et Pacifique ne se sont pas concrétisés non plus, y compris ceux qui devaient traverser des zones de forte densité économique telles que le Cône Sud, où il aurait suffit de prolonger les réseaux ferroviaires déjà existants, dit Rabello.

D’autres accords signés par la présidente Dilma Roussef et Li, ou par certains des 120 chefs d’entreprise qui accompagnaient le premier ministre chinois, sont plus concrets et bénéfiques pour le gouvernement brésilien qui fait face à un ajustement fiscal et manque de ressources pour impulser les travaux nécessaires aux infrastructures et faire repartir une économie stagnante. Le montant total des investissements chinois dans les projets sélectionnés atteint 53 milliards de dollars, un montant divulgué par Brasilia sans confirmation de la part de la Chine ni de comptes détaillés, comprenant des initiatives à différents stades, quelques unes encore en phase de proposition, telles que le réseau ferroviaire interocéanique, et d’autres faisant l’objet d’appels d’offres.

Le premier ministre chinois, Li Keqiang, et la présidente Dilma Rousseff

Mais la participation d’entreprises et de capitaux chinois permettra de débloquer de nombreux chantiers d’infrastructures retardés, voire même paralysés, tels que les chemins de fer pour l’exportation du soja produit dans les régions du Centre-ouest et du Nord-est du Brésil. Pour ce faire, un fonds doté de 50 milliards de dollars sera mis en place par la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC) et la Caisse économique fédérale (CEF) du Brésil.

L’industrie sera prioritaire dans le cadre d’un autre fonds, le fonds bilatéral de coopération productive de caractère gouvernemental. La Chine apportera entre 20 et 30 milliards de dollars et le Brésil précisera sa contribution ultérieurement. L’industrialisation de l’Amérique latine constitue l’un des objectifs de la coopération chinoise, affirme Li à Brasilia en réponse aux critiques portant sur des échanges asymétriques, les exportations latino-américaines étant limitées de manière quasi-exclusive aux matières premières.

Cette visite officielle au Brésil constitue la première étape d’un voyage qui se révèle être une première pour le premier ministre chinois en Amérique latine et qui se poursuivra le 26 mai prochain en Colombie, au Pérou et au Chili.

Les accords signés à Brasilia pour la coopération financière accentuent l’asymétrie tant critiquée. Les banques chinoises ont accordé de nouveaux financements, d’un montant de 7 Milliards de dollars, à Petrobras, qui s’ajoutent à des prêts concédés précédemment qui garantissent l’approvisionnement en pétrole de la Chine. L’entreprise minière Vale figure parmi les bénéficiaires, associée à une ligne de crédit d’un montant de 4 milliards de dollars destinée à l’acquisition de navires pour le transport de 400 000 tonnes de minerai de fer. Le pétrole et le fer représentent près de 80% des exportations brésiliennes en direction de la Chine. D’où l’intérêt de Pékin d’améliorer les infrastructures de transport du Brésil afin de réduire les coûts des exportations en plus d’impliquer les entreprises de construction chinoises et ce, compte tenu de la diminution de l’activité dans leur marché intérieur.

Un autre aspect ouvre le marché chinois à la viande de boeuf du Brésil. Une exception industrielle dans les exportations brésiliennes réside dans le domaine de l’aéronautique. La vente de 22 avions du constructeur aéronautique brésilien Embraer à une compagnie aérienne chinoise s’est concrétisée pendant cette visite. Un accord préalable prévoit la vente de 60 unités au total.

Le commerce bilatéral a atteint 77,916 milliards de dollars en 2014, au bénéfice du Brésil, bien qu’en baisse en raison de la chute des prix des produits de base. D’après le premier ministre chinois, l’objectif est d’élever rapidement les échanges à 100 milliards de dollars. Ce renforcement des relations, notamment en ce qui concerne les investissements chinois, "pourrait être positif pour le Brésil, mais il est important de contrôler notre enthousiasme avec ce rapprochement", affirme Luis Afonso Lima, président de la Société brésilienne des études des entreprises transnationales et mondialisation de l’économie (SBEET). "Les chinois ont plus à gagner dans cette situation que nous. Ils sont à la recherche de fournisseurs de matières premières dans toute l’Amérique latine. Mais sans se presser étant donné que leur croissance économique a ralenti et ils peuvent ainsi penser de manière stratégique sur le long terme", affirme l’économiste à l’IPS.

"Avec davantage d’expérience accumulée tout au long de leur culture millénaire, ils savent ce qu’ils veulent, recherchent plus de pouvoir à l’échelle globale et des alliances avec des pays émergents des autres régions, tels que le Brésil, et étendent leur influence", ajoute Lima. Avec près de 4 mille milliards de dollars de réserves internationales, ils peuvent financer le développement de n’importe quel pays.

Partie du port « Ponta da Madeira », dans la région Nord-Ouest, d’où partent les navires chargés de minerais de fer à destination de la Chine, et qui sera connecté aux mines de fer par un nouveau réseau ferroviaire.

Selon Lima, une frustration a déjà été constatée lorsque le Brésil a reconnu la Chine comme étant une économie de marché en 2004, lui offrant ainsi de meilleures conditions commerciales. La contrepartie, non respectée par la Chine, aurait dû être un investissement dans le secteur de l’industrie d’un montant de 10 milliards de dollars. Cependant, le contexte actuel rend possible une plus grande complémentarité économique entre les deux pays, favorisant ainsi un meilleur équilibre des échanges bilatéraux. La Chine a cessé d’accorder la priorité aux exportations et stimule sa consommation interne alors que le Brésil vit une situation inverse avec la réduction de la demande intérieure et une hausse des exportations, créant ainsi des possibilités de synergies entre les deux pays » affirme Lima.

Cependant, ajoute l’économiste, profiter de cette opportunité requiert des objectifs clairs, « une planification à long terme avec des priorités définies et les réformes adéquates, avec des investissements productifs dans l’industrie manufacturière, mais le gouvernement brésilien semble perdu ». Le réseau ferroviaire « Transcontinental » est un projet destiné à « accorder la priorité aux exportations de soja et de minerais » à destination de l’Asie, essentiellement la Chine, conclut Lima. Pour Rabello de Castro, « historiquement, les réseaux ferroviaires ont entraîné une grande réduction des coûts au niveau des transports terrestres en se substituant aux animaux et aux charrues. On est passé de six à un, voire même davantage dans certains cas et ceci est demeuré dans l’imaginaire des personnes qui encore aujourd’hui sont persuadées que la solution réside dans le transport ferroviaire, sans même connaître les frais réels qui en découlent.

Par conséquent, au Brésil, de nombreux réseaux ferroviaires parallèles sont construits en direction du centre du Brésil, avec une production agricole en hausse, notamment le soja. Là où il n’existait qu’une voie précaire pour l’exportation, maintenant il est question d’offrir trois ou quatre alternatives et d’en ajouter d’autres, en excès, telles que le réseau bi-océanique, dit Lima.

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