Brésil - Temer : le bilan qui s’annonce

 | Par Charlotte Dafol

Au pouvoir depuis mai 2016, Michel Temer est rapidement devenu le Président le plus impopulaire du Brésil depuis la fin de la dictature. Ignorant les demandes d’une population qui avait élu en 2014 un gouvernement travailliste, il continue d’appliquer, dans l’urgence de son demi-mandat, une politique néolibérale au service du secteur privé.

Au Brésil, les élections de 2018 devraient marquer la sortie de l’actuel Président (non-élu) Michel Temer, dont la cote de popularité oscille aux alentours de 5%... Un rejet populaire massif et aisément explicable. Car si son parti, le PMDB, ne s’est jamais prévalu que d’arguments éthiques pour destituer l’ancienne Présidente (élue) Dilma Rousseff, il n’aura pas tardé à montrer, une fois au pouvoir, qu’il avait en fait derrière la tête un véritable projet de gouvernement, opposé en tout point à celui de ses prédécesseurs. En moins de deux ans, la liste des réformes votées par le Parlement est presque aussi impressionnante que celle des scandales politiques.

« Bilan+Gouvernement+Temer » Comme on peut s’y attendre, le premier résultat donné par Google à une telle recherche est celui d’un grand journal néolibéral, l’Estadão, supporter inconditionnel de Temer et de ses alliés financiers. « Dès le début de son mandat, le Président s’est engagé à faire des réformes en faveur des marchés et à réajuster les comptes publics  », résume la journaliste qui dresse ainsi la liste des principaux « succès » du gouvernement. [1]

1. Plafonnement des Dépenses Publiques. « La loi approuvée en 2016 congèle les dépenses du gouvernement, en termes réels, pour les vingt prochaines années.  » Il s’agit plus précisément d’un amendement à la Constitution qui indexe sur la seule inflation toutes les dépenses publiques jusqu’en 2038. Autrement dit, même en cas de croissance et/ou d’augmentation des recettes de l’État, il sera interdit aux gouvernants d’augmenter ses investissements dans la santé ou dans l’éducation, par exemple. Le texte inclut également un paragraphe sur le salaire minimum, désormais lui aussi indexé sur la seule inflation et non sur la croissance.

2. Privatisations. « Avec le Programme de Partenariat d’Investissement, les lois de concession de bien publics à l’initiative privée ont été modifiées », devenant ainsi « plus attractives pour les investisseurs. » En pratique, de nombreux partenariats privés ont déjà été lancés sur des projets d’infrastructures et d’énergie, à commencer par le Pré-Sal, réserve nationale de pétrole, vendue aux enchères en octobre dernier à des capitaux étrangers.

3. Réforme du Code du Travail. « Soulevant une polémique au sujet de la flexibilisation des contrats, le gouvernement s’est attaché à répondre aux demandes des entrepreneurs ». En pratique, l’un des points les plus controversés de la réforme est de donner une large prévalence aux conventions collectives et aux accords particuliers entre employeurs et employés.

4. Réforme des Retraites. Le projet est encore en phase d’être voté. L’Estadão lamente un certain recul en arrière du Parlement : « Il s’agit d’une réforme vue comme négative par une majorité de Brésiliens. C’est pourquoi les députés - même alliés du gouvernement - craignent l’impact qu’une éventuelle approbation pourrait causer sur les élections de 2018. » La loi prévoit un âge minimum de départ en retraite de 62 ans pour les femmes et 65 pour les hommes. Notez que l’on parle d’un pays où il est encore très courant de commencer à travailler à 14 ou 16 ans et où l’on naissait jusqu’en 1990 avec une espérance de vie de... 65 ans.

« Il est donc indéniable que le gouvernement Temer a réussi à faire passer un nombre significatif de réformes (...) visant à une réduction l’État au Brésil », conclut la journaliste. « Plafonnement dépenses publiques, diminution du rôle de l’État comme fournisseur de droits sociaux, facilitation des procédures de privatisation, et limitation des droits des travailleurs : voilà le bilan actuel des politiques publiques du gouvernement Temer. »

À nous de reconnaître que pour un gouvernement néolibéral qui a pris le pouvoir sans élections il y a moins de deux ans, il s’agit d’un premier bilan tout à fait respectable... Mais très incomplet. Il faut donc aller chercher un peu plus loin dans les archives du Journal Officiel et dans les médias alternatifs pour se faire une meilleure idée de l’état du pays.

5. Programmes sociaux. S’il va de soi qu’il serait un véritable suicide électoral d’annoncer la fin des programmes sociaux mis en place par les précédents gouvernements, Temer ne s’est pas privé de s’attaquer à eux de manière plus subtile, à coup de coupes budgétaires et d’obstacles administratifs. Aides au logement, bourses étudiantes, programmes d’accès à la propriété, pharmacies populaires... avec en ligne de mire la désormais célèbre « Bolsa Família », programme phare du gouvernement Lula, instauré en 2004 dans le cadre de la lutte contre la faim et le travail infantile. Vue aujourd’hui comme le principal symbole de l’extrême division sociale et politique du pays, la Bolsa Família est en fait une allocation attribuée aux familles les plus démunies (revenu inférieur à 45 euros par personne), sous conditions, entre autres, de scolarisation des enfants et de mise à jour de leur carnet de vaccination. Près de 14 millions de familles en bénéficient aujourd’hui : les partisans du gouvernement dénoncent un État qui paye les pauvres pour qu’ils se reproduisent... notez que le montant de l’allocation est d’environ 10 euros par mois et par enfant à charge...

6. Environnement. Les lobbies de l’agro-industrie et des grands propriétaires terriens sont parmi les plus proches alliés de l’actuel gouvernement. Malheureusement, étant donné la taille du Brésil et de sa forêt tropicale, il est aujourd’hui bien difficile d’entrevoir avec certitude la taille du désastre écologique généré à leur profit par des politiques irresponsables. À titre d’exemple, on peut citer diverses mesures de réduction des aires protégées (malgré un recul en arrière sous pression internationale), l’interruption des programmes de démarcation de territoires indigènes, une amnistie présidentielles sur les amendes des crimes environnementaux ou encore la publication d’un décret permettant la régularisation des propriétés privées de 1000 à 2500 hectares formées par invasion illégale sur des territoires nationaux (notamment en Amazonie).

7. Droit des femmes. Au lendemain de la destitution de la première femme Présidente de la République, Temer annonçait déjà la couleur de ses intentions en formant un gouvernement exclusivement masculin (et accessoirement blanc). Il n’a évidemment pas non plus hésité à faire des femmes les premières cibles des diverses réformes citées ci-dessus. Les mouvements sociaux dénoncent également une diminution de 60% des subventions attribuées aux centres d’accueil des femmes victimes de violence. Mais le clou du spectacle reste la PEC 181, projet d’amendement constitutionnel interdisant l’avortement dans les trois seuls cas où il est encore autorisé au Brésil : viol, grossesse à risque pour la mère et anencéphalie fœtale. Autrement dit, si la mesure est approuvée, une femme violée ou dont la vie serait mise en danger par la grossesse, sera obligée de garder l’enfant.

8. Fonction publique. À ce stade du mandat, on ne se faisait déjà plus vraiment d’illusions sur intentions de Temer dans le domaine de la fonction publique. Il aura néanmoins attendu janvier 2018 pour publier un décret annonçant la suppression de plus de 60 000 postes et encadrant fermement l’ouverture de nouveaux concours.

9. Échanges de bons procédés. Reste un immense paquet de mesures aléatoires, souvent passées sous silence par des médias complices, mais qui en disent long sur l’identité des alliés du gouvernement. Politiques de censure et de répression contre les religions afro-brésiliennes, les mouvements LGBT, les artistes contemporains, les professeurs de sciences humaines bref, contre tous ceux qui dérangent d’une manière ou d’une autre le très puissant groupe évangéliste de l’Assemblée. Augmentation explosive des dépenses publicitaires du gouvernement dans les grands médias (en particulier Globo et Facebook) et des subventions qui leur sont attribuées. Indifférence absolue de l’État devant la décadence des banques nationales, qui ont annoncé en 2017 la fermeture de plus de 500 agences et du licenciement de 22 000 fonctionnaires, au bénéfice évident des banques privées. Décret transférant aux tribunaux militaires l’autorité de juger des crimes commis par des militaires contre des civils, donnant ainsi à l’armée une dangereuse autonomie dans ses interventions en tout genre. Guerre ouverte contre les services nationaux d’inspection du travail esclave, aujourd’hui pratiquement immobilisés par des coupes budgétaires, au grand bonheur des géants de agro-industriels et de la construction civile... ce qui aura valu au Brésil d’être condamné en octobre dernier par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour esclavagisme et trafic de personnes.

10. ...
Demandez maintenant aux Brésiliens ce qu’ils retiennent de ces 19 mois de gouvernement Temer. Quelle sera la réponse ? Les sondages effectués fin 2017 sont unanimes : C.O.R.R.U.P.T.I.O.N. Si un telle réponse peut traduire un certain manque d’information de la population quant au bouleversement social que le pays est en train de vivre (merci les grands médias), elle n’est pas non plus complètement dénuée de fondement. Ministres, députés et sénateurs poursuivis en justice, démissions en chaîne, valises de billets par-ci, comptes en Suisse par-là, écoutes téléphoniques, réduction de peine contre délation du meilleur ami, Habeas Corpus contre mort « accidentelle » du meilleur ennemi... À chaque semaine son moment de surprise, mis-en-scène avec talent par une mafia qui a au moins le mérite de ne pas masquer son jeu, brassant allègrement des millions de dollars au-dessus de nos têtes.

Le clou du spectacle aura évidemment été celui des dénonciations faite contre Michel Temer lui-même, accusé d’avoir reçu des dizaines de millions de Réals sous forme de pots-de-vin partagés avec l’ancien président de l’Assemblée, Eduardo Cunha, aujourd’hui en prison et soupçonné d’être généreusement rémunéré pour garder le silence.

Le résumé (très résumé...) est alarmant. Mais il l’est encore davantage quand on sait qu’il est probablement irrévocable et incomplet. Irrévocable car les institutions brésiliennes et le système électoral législatif rendent en pratique quasiment impossible un retour en arrière sur la plupart des lois et amendements constitutionnels qui viennent d’être votés. Incomplet car les élections présidentielles de 2018 n’auront lieu qu’en octobre, laissant encore à Michel Temer un bon tiers de mandat pour peaufiner son œuvre.

Et pour les Brésiliens, c’est le bilan de fin d’année qui s’annonce autrement douloureux.

Voir en ligne : Agoravox

[1« Um balanço das políticas públicas do Governo Temer » par Michelle Fernandez, L’Estadão, 9, novembre 2017.

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