Brésil. L’armée dans les rues. Etat d’urgence à Rio de Janeiro

 | Par A l’encontre, Agnese Marra

La décision du président Michel Temer de placer la « sécurité » de la « ville merveilleuse » dans les mains des forces armées, en plus d’avoir un objectif politique et électoral, a fait naître la peur parmi les habitants des favelas de Rio de Janeiro, criminalisées par l’Etat depuis des années.

Ne portez pas un long parapluie, au cas où il serait confondu avec une arme à feu et qu’on vous tire dessus. Faites savoir à vos amis où vous allez et quand vous rentrez à la maison. Si vous transportez un article coûteux, gardez un reçu avec vous, afin qu’ils [les militaires] ne pensent pas que vous l’avez volé. S’ils arrêtent la voiture, demandez à l’armée la permission d’ouvrir la boîte à gants et de montrer des documents, sinon les militaires pourraient penser que vous allez sortir une arme à feu. Ne sortez pas tard le soir. Et si vous êtes une femme, homosexuelle ou transsexuelle, ne partez pas seule, toujours accompagnée.

Conseils. Avertissements. C’est ce qui est le plus présent sur les réseaux sociaux des habitants des favelas de Rio de Janeiro depuis vendredi dernier (17 février 2018) le président Michel Temer a annoncé que la sécurité de la « merveilleuse ville » passerait entre les mains des militaires. Ces conseils peuvent être entendus sur la vidéo intitulée « Intervention militaire à Rio de Janeiro, si vous êtes Noir… », publiée le week-end dernier par trois jeunes Noirs, afin que les Cariocas de la même couleur de peau évitent d’être arrêtés ou tués maintenant que les forces militaires sont en charge de la « surveillance » de la ville.

Ce mardi (20 février), et pour la première fois depuis de nombreux mois, le Congrès et l’exécutif ont agi non seulement en complet accord, mais avec le soutien majoritaire des députés et des sénateurs du gouvernement affaibli de Michel Temer. Il est surprenant de constater que c’est précisément une mesure exceptionnelle, qui n’a pas été observée depuis la dictature militaire [1964-1985 ], qui a réuni exécutif et législatif et qui, les yeux fermés, a délégué à l’armée le contrôle absolu de la sécurité dans un Etat (celui de Rio de Janeiro].

Pour beaucoup, cette démarche est davantage motivée par des intérêts électoraux et politiques que par le souci réel de la sécurité du dixième Etat le plus violent du pays. Le sociologue Ignacio Cano, de l’Université d’Etat de Rio de Janeiro et coordinateur du Laboratoire d’analyse de la violence, n’a aucun doute sur cette hypothèse : « Nous avons un exécutif noyé par les scandales de corruption qui profite d’une société qui a peur et qui, pour le moment, accepterait des armées de n’importe quelle région du monde pour se sentir en sécurité », nous confie-t-il.

Bien que Rio de Janeiro soit loin d’être l’Etat le plus violent du Brésil, la sécurité est la principale préoccupation des habitants Rio de Janeiro et des autres Brésiliens. C’est ce qu’atteste la dernière enquête de l’Institut Data Folha, selon laquelle au moins 75% de la population considère l’insécurité et la violence comme les principaux problèmes du pays. L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva lui-même a déclaré cette semaine que la mesure prise par Temer « est une mesure de sauvegarde pour améliorer son soutien », qui se situe à hauteur 3 à 10% dans l’opinion publique.

La réponse a été en syntonie avec les craintes de la population, puisque, selon une étude d’Idea Big Data, les mêmes 75% ont reconnu qu’ils appuyaient l’intervention militaire, même si 80% ont admis que la mesure ne serait pas la solution au problème. Pour Ignacio Cano, au-delà de la solution ou non du problème, l’intervention militaire à Rio de Janeiro « génère avant tout une série de risques tant pour la population que pour les militaires ». C’est un scénario horrible dans lequel un gouvernement corrompu s’engage une fois de plus à violer les droits constitutionnels.

Voir en ligne : A l’encontre

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