Elle traduit aussi l’offensive des élites brésiliennes contre les avancées sociales et démocratiques réalisées par le pays depuis le début du 21e siècle. Face à cette entreprise de destruction de l’héritage « luliste », la gauche, divisée, peine à trouver la parade. Tandis que la gestion bolsonariste de la pandémie Covid-19 assombrit plus encore les perspectives.
« Le Brésil, dernier pays à avoir mis fin à l’esclavage, a hérité d’une perversité intrinsèque, qui rend notre classe dominante maladivement inégalitaire, pleine de mépris » (Darcy Ribeiro, 1922-1997).
« Le Brésil, éternel pays du futur, croyait à la fin de la première décennie du 21e siècle qu’il avait enfin atteint le présent. C’est alors qu’il se découvrit empêtré dans le passé » (Eliane Brum, 2019).
Le 28 octobre 2018, en soirée, une foule en délire envahit l’artère qui longe la plage de Barra da Tijuca, quartier huppé de la zone Ouest de Rio de Janeiro. Parée des couleurs nationales, elle est venue célébrer la victoire de son champion, Jair Messias Bolsonaro, qu’elle acclame aux cris de « Mito », le mythe. Tranchant avec l’euphorie de cette marée jaune-vert, pour la majorité des observateurs internationaux, c’est la stupeur. Figure de proue de l’extrême droite, l’ex-militaire est connu pour ses violentes charges contre les minorités (communauté LGBT, indigènes, afrodescendants, etc.), son mépris pour les droits humains et son dédain pour les questions environnementales.
À la tête d’une coalition hétéroclite de représentants du secteur industriel et financier, de propriétaires terriens, de pasteurs évangéliques, de patrons de médias, de militaires et d’une fraction du pouvoir judiciaire, il promet de « nettoyer » le Brésil de ses « bandits rouges ». Et il entend bien mettre en œuvre son agenda rétrograde et autoritaire. Le séisme politique est d’une ampleur inédite dans ce pays de 210 millions d’habitants. Malmenée depuis des années et en crise, la démocratie brésilienne, tant vantée comme un modèle de réussite durant la première décennie du 21e siècle, vient d’accoucher d’une présidence qui en est sa négation même.
« Chaque jour, écrit le philosophe brésilien Vladimir Safatle, le monde est consterné de voir le Brésil – l’une des dix plus grandes économies du monde – sous la coupe d’un gouvernement dont le militarisme, la brutalité, la violence contre des groupes vulnérables, le mépris pour l’environnement nous rappellent certaines caractéristiques majeures des régimes fascistes. Nous connaissons tous le poids d’un tel qualificatif et il ne s’agit pas de l’utiliser de manière irresponsable. S’il est de plus en plus présent dans l’esprit d’une partie importante de la population brésilienne, ce n’est pas par laisser-aller rhétorique […]. C’est parce que ce mot désigne l’horizon possible d’un processus qui ne fait que commencer. Bien sûr, personne ne s’attend au retour exact des modèles totalitaires des années trente. Mais quelque chose de fondamental dans leur logique est bel et bien en cours d’adaptation aux réalités politico-économiques actuelles » (Le Monde, 2 septembre 2019).
Comment en est-on arrivé là ? Comment et pourquoi, un médiocre parlementaire d’extrême droite, nostalgique de la dictature militaire, ouvertement raciste, misogyne et homophobe a-t-il pu se hisser à la tête du plus grand pays d’Amérique latine ? Qu’exprime ce choix politique ? Et quelles sont les implications pour le Brésil de ce virage à droite ? Ce numéro d’Alternatives Sud ambitionne d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions. Il se veut le prolongement d’une réflexion sur le devenir du pays entamée voici une décennie avec l’ouvrage collectif Le Brésil de Lula : un bilan contrasté (2010).
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