Qu’est-ce qui pourrait amener un profane tel que moi à s’immiscer dans des débats hautement qualifiés ? La réponse tient à l’insistance convaincante de mon ami et ancien collègue Paulo Martins. Il m’a demandé de parler de nanotechnologie et d’environnement. J’ai lu avec attention le livre qui a résulté du second séminaire de Renanosoma et j’y ai trouvé davantage et mieux que ce que j’aurais pu en dire moi-même. Pris de vertige par les perspectives abyssales ouvertes par les nanotechnologies et, plus encore, par « l’interconnexion de technologies » , angoissé par la succession accélérée des crises environnementales et choqué par la mesquinerie, l’inconscience ou le cynisme dont font preuve ceux qui détiennent quelque pouvoir, j’ai estimé témérairement qu’il valait la peine de laisser aller mon imagination et de réfléchir sur les implications, pour l’humanité, de notre rapide éloignement de la nature et de la vie telles que nous les connaissons.
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Toute l’histoire de l’humanité peut être interprétée comme un processus permanent d’émergence de la nature de l’homo faber, qui fabrique sa hache de silex, jusqu’à l’homo sapiens. On pourrait même aller plus loin... de l’homo sapiens à l’homo dingo... mais probablement n’y aura-t-il personne pour consacrer l’expression le jour du jugement dernier.
Descartes a synthétisé cette distance que l’humain prendra par rapport à la nature en disant : « Cogito, ergo sum » . En fait, il a affirmé que c’est nous qui sommes les créateurs du monde, « maîtres et possesseurs de la nature » . A la suite de Bacon, il a prédit la formidable entreprise d’artificialisation du monde par l’homme, en particulier par l’alliance de l’économie capitaliste et de la science, laquelle, en même temps qu’elle a permis à l’humanité une augmentation exponentielle de la population, a creusé les inégalités et multiplié les catastrophes environnementales.
Jusqu’aujourd’hui, l’humanité vivait la dualité inhérente de son être (nature et culture) entre, d’une part, son appartenance à la nature de par ses origines et, plus encore, au règne animal, car elle ne peut se perpétuer qu’en restant un maillon, même supérieur, dans la chaîne de la vie ; et, d’autre part, son action permanente pour dépasser les contingences de la nature et de l’animalité. Le modèle de production et de consommation imposé par le capitalisme triomphant veut nous faire croire que nous maîtrisons la nature, mais pour réussir ce tour de passe-passe, il faut renvoyer à l’animalité une partie de l’humanité. Nous ne pouvons ni nous consoler ni nous exonérer en soutenant que nous sommes du bon côté, quel qu’il soit, parce que nous ne pouvons échapper à ce dilemme. Cette contradiction fait partie de nous-mêmes.
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Par Jean-Pierre Leroy, Coordinareur du Programme Brésil Durable et Démocrátique (Fase).
Source : Uma terre para viver
Ce texte a été rédigé à l’occasion de l’intervention de l’auteur à la table ronde intitulée « Nanotecnologia e Meio Ambiente », dans le cadre du troisième séminaire international sur les nanotechnologies organisé à São Paulo en novembre 2006 par le Réseau de Recherche en Nanotechnologie, Société et Environnement (Renanosoma). Il reprend une bonne part de l’article « Nem primatas, nem super-homens. Biopolítica e Cidadania » publié dans Sob o signo dos Bios, de Alejandra Rotjana et Jurema Werneck. Ser Mulher, Criola, Fundação Heinrich Böll, Rio de Janeiro, 2005.
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