Belo Monte : le pachyderme de l’hydro-électricité à l’arrêt

 | Par Lúcio Flávio Pinto

Source : Amazônia Real (18/10/2024)
Par Lúcio Flávio Pinto
Traduction : Roger Guilloux
Relecture : Marion Daugeard

La centrale électrique qui suscite la controverse depuis des décennies est aujourd’hui quasiment inopérante en raison de la sécheresse historique. Sur les 18 turbines installées, 17 étaient à l’arrêt (octobre 2024). La production ne représente plus que 0,61 % de la consommation énergétique du pays alors que le projet a coûté 40 milliards de réaux

La presse nationale a découvert le pot aux roses. Un court « reportage spécial » de la TV Bandeirantes, diffusé la semaine dernière, a révélé que des 18 turbines du barrage hydroélectrique de Belo Monte, sur le fleuve Xingu dans l’État du Pará, 17 ne fonctionnaient pas. Et la seule en service n’utilisait que la moitié de ses 650 mégawatts de puissance. À pleine puissance, la centrale produirait 11.450 MW.

Au maximum de sa capacité, Belo Monte serait en mesure de couvrir 12 % de la consommation d’énergie du Brésil ; aujourd’hui, elle n’en couvre que 0,61 %. Il y a des jours où elle est complètement arrêtée parce que le débit du fleuve, l’un des plus grands du monde, n’est même pas suffisant pour faire tourner une seule turbine. La gravité de la situation est la conséquence d’une sécheresse record dans le bassin amazonien, le plus grand de la planète. La seule surprise est ce degré de gravité, mais certainement pas la paralysie de l’énorme centrale hydroélectrique, qui a coûté 40 milliards de réaux, soit le double du coût initial du projet.

Belo Monte a été conçu sous la dictature militaire pour suivre le modèle de Tucuruí [1], à cette époque, le quatrième plus grand barrage au monde. Il était composé de plusieurs réservoirs en amont, couvrant un total de 11 000 kilomètres carrés (presque quatre fois plus que le lac artificiel formé sur le fleuve Tocantins, le deuxième du pays en étendue). Ces réservoirs devaient accumuler l’eau pendant la saison des pluies et l’utiliser en été, lorsque le débit naturel est minimal.

Une vaste campagne contre le projet de Belo Monte, qui s’est intensifiée avec le retour de la démocratie en 1985, a contraint Eletronorte [2] à annuler la création des réservoirs en amont. Elle n’a conservé qu’un lac plus petit, insuffisant pour retenir la quantité d’eau nécessaire au fonctionnement des turbines. Belo Monte est devenu le plus grand barrage hydroélectrique au fil de l’eau, du monde. Il n’était prévu qu’une production réduite pendant les périodes de faibles précipitations.

J’avais déjà évoqué cette situation dans plusieurs des articles consacrés à cette question. Voici un extrait du long texte que j’ai écrit en 2002 (il y a 22 ans), après avoir assisté à une conférence du président d’Eletronorte à Belém :

Belo Monte sera une centrale quasiment au fil de l’eau, sans réservoir ou avec un réservoir minimal. Le stockage de l’eau sera suffisant pour élever le niveau du petit lac à la hauteur des inondations normales, qui couvrent les parties inférieures d’Altamira. Celles-ci seront submergées en permanence ("il pourrait même y avoir des plages !", avait suggéré l’ingénieur Muniz [Muniz Lopes, président d’Eletronorte]) et non plus seulement au plus fort des inondations habituelles. Lors des super crues, le niveau du fleuve pourrait s’élever de deux mètres, jusqu’au niveau de 1998.

Pour se faire une idée de sa taille, le réservoir hydroélectrique de Tucuruí retient un stock de près de 45 milliards de mètres cubes d’eau (ou 45 trillions de litres). À Belo Monte, le volume sera de 3,7 milliards, soit un peu plus de 8 % de celui de Tucuruí. Fait encore plus impressionnant : alors que le volume utile de Tucuruí (en tenant compte de l’eau utilisée pour la production d’électricité) est de 32 milliards de mètres cubes, celui du Xingu est réduit à zéro.

D’où la conclusion quelque peu alarmante que cette imposante centrale hydroélectrique, que l’on présente à une société qui reste bouche bée, fonctionnera au fil de l’eau [3]. En effet, l’eau entrante se déversera directement dans les énormes turbines, bénéficiant d’une chute brute de 89 mètres (contre 63 mètres à Tucuruí), garantissant une impressionnante capacité théorique de production de 11 millions de kW.

Pour que les 20 turbines [4] atteignent leur vitesse maximale, elles auront besoin de 14 000 mètres cubes d’eau (ou 14 millions de litres) par seconde (700 m3 par machine). Or, le débit du Xingu varie entre un maximum d’un peu plus de 30 000 m3/seconde (moins de la moitié du débit record du Tocantins) et un minimum de 443 m3/seconde. De plus, le fleuve connaît souvent de graves sécheresses qui peuvent durer de 2 à 3 mois.

Cela signifie que pendant ces périodes, aucune des merveilleuses machines de Belo Monte ne pourra fonctionner. Au cours des trois mois suivants, seulement 2 à 4 machines fonctionneront. Pendant six mois, le Xingu déverse donc moins des 14 000 m3 nécessaires pour maintenir l’ensemble des turbines en activité. L’interruption totale de la production d’électricité prévue, correspondra donc à trois mois complets. Et il y aura encore trois mois de faible production d’énergie en raison du manque d’eau pour faire fonctionner toutes les machines. Ainsi, pendant un semestre entier, Belo Monte apportera une quantité d’énergie bien inférieure à sa capacité théorique de production. Et, un trimestre par an, elle ne produira rien du tout.

Pour atténuer cet impact, le président d’Eletronorte affirme que, pendant cette période, Belo Monte puisera dans les réservoirs des centrales hydroélectriques du sud et du sud-est du pays, dont le régime hydrologiques [5] est différent et ces centrales bénéficient de l’interconnexion complète des systèmes énergétiques nationaux. Mais il s’agit là d’un sophisme, tout aussi peu convaincant que la merveilleuse invention de l’ingénieur devant la carte du Xingu.

Pourquoi alors dépenser des fortunes dans des lignes de transmission de haute tension couvrant d’énormes distances [6] ? Elles compliqueront la fourniture d’électricité dans les zones traversées (notamment l’électrification rurale) et entraineront des pertes importantes entre la production et les destinataires. N’est-il pas téméraire de compenser le manque d’eau de l’Amazonie, qui possède 20 % de ce que les fleuves déversent dans les océans, par l’eau du Sud où la situation est de plus en plus problématique ?

Bien d’autres questions restent en suspens. Aussi incroyable que cela puisse paraître, Eletronorte n’a toujours pas dit un mot sur les effets en aval du barrage. A son embouchure, à moins de 300 kilomètres, le Xingu se transforme en delta, phénomène exceptionnel à l’échelle planétaire pour un fleuve qui se jette dans un autre fleuve. Quel sera l’effet de l’eau qui se déverse directement dans les canaux, après une chute considérable et brutale de 90 mètres. Et qu’en sera-t-il de l’écoulement naturel dans la grande boucle, sur une distance de 50 kilomètres, qui sera, d’une certaine façon, régulée par les barrages de contention qui seront construits à cet endroit ?

N’y aura-t-il pas des périodes de débit exceptionnellement élevé et, au contraire, de débit exceptionnellement inférieur au débit habituel de la rivière ? On peut prévoir des impacts forts de l’endiguement en aval, aspect qui a été jusqu’à présent négligé, comme si, à l’instar de la transposition, il s’agissait d’un détail sans importance.
Il en sera ainsi tant que les termes de l’équation ne seront pas inversés. Eletronorte ne peut pas rester à la tête du processus de production. Elle doit être subordonnée à deux organismes, l’un gouvernemental et l’autre plus directement représentatif de la société, tous deux capables d’imposer comme prémisse l’insertion du projet hydroélectrique dans un plan plus large et normatif de développement de la vallée du Xingu, et non d’y faire référence a posteriori. Avec ses compétences limitées et son « expertise » centrée sur l’utilisation du barrage à des fins de production d’énergie, Eletronorte servira de paravent inadapté à une transition vers le contrôle privé du projet.

Si le projet a ravi certains auditeurs de l’ingénieur Antônio Muniz, il a dû en consterner d’autres et je fais partie de cette deuxième catégorie. Voulant donner l’image d’un avenir radieux, il est allé jusqu’à annoncer l’asphaltage de la route transamazonienne sur le tracé du projet (il a même admis que cela poserait un problème lorsqu’il faudrait déplacer la route). Cependant, toutes les personnes présentes, y compris les plus enthousiastes de l’auditoire, ne pouvaient ignorer l’état lamentable de la route, presque impraticable sur certains tronçons.
Mis en face de la réalité de la situation, l’ingénieur s’en est tiré par une pirouette : il a attribué sa désinformation à un magazine local et s’est justifié d’avoir transmis une information invraisemblable en affirmant que son enthousiasme est tel qu’il a tendance à prendre les bonnes nouvelles pour argent contant. Même quand elles sont manifestement fausses ! Un optimisme qui ferait pâlir d’envie le Dr Pangloss.

Respectant scrupuleusement un budget de départ, dont l’ensemble des caractéristiques possède la rigueur de ce qui se fait de mieux au Brésil, Eletronorte prévoit d’investir des milliards de réaux dans un barrage qui doit être construit dans un endroit d’une grande complexité, plus écologique qu’humaine. Cela permettra de disposer d’une centrale monumentale, au fil de l’eau, mais qui ne pourra fonctionner à plein régime que pendant la moitié de l’année. C’est précisément pour cette raison que la production moyenne de la centrale passera de 11 millions de kw nominaux à 4,7 millions de kw, soit à 43 % de sa capacité, niveau inférieur à la moyenne internationale qui est de 50 %.

De plus, le barrage hydroélectrique du Xingu se situe à un niveau inférieur à celui du Tocantins. La conclusion logique est qu’il faudra construire d’autres barrages en amont, ne serait-ce que pour garantir un débit économiquement utile (comme on l’a déjà fait pour la deuxième phase de Tucuruí, avec une baisse de 4,2 millions à 1 million de kw).

En ce qui concerne la solution trouvée pour l’achèvement de la construction de la centrale, je cite un article de 2015.

Le mois dernier, Norte Energia a achevé une phase importante pour le début de ses opérations : le revêtement du canal de dérivation de la centrale hydroélectrique de Belo Monte, dans le Pará. Le canal a été construit avec l’apport de 7,1 millions de tonnes de roches extraites dans la région, pour recouvrir le lit du canal (4,4 millions de mètres carrés) et les talus (2,7 millions de mètres carrés).

Il mesure 20 kilomètres de long, 300 mètres de large en moyenne entre les rives et 25 mètres de profondeur (l’équivalent d’un immeuble de huit étages). Il a été creusé par excavation de 110 millions de mètres cubes de terre et de roche, pour permettre de relier le réservoir principal au réservoir intermédiaire de la centrale, qui accumulent l’eau nécessaire au fonctionnement de ses turbines.

Une fois achevée, ce sera la quatrième plus grande centrale hydroélectrique du monde, avec une capacité de production de 11 000 mégawatts, pour un coût qui a déjà atteint 30 milliards de réaux [valeur à l’époque].

Voir en ligne : Article original en portugais

[1La centrale hydroélectrique de Tucuruí, considérée comme le plus grand projet d’ingénierie jamais réalisé en Amazonie, a été construite pour desservir les grands projets agricoles et miniers de la région amazonienne.

[2Electronorte. Créée en 1973, Centrais Elétricas do Norte do Brasil S.A. (Eletronorte) est un concessionnaire de services publics dans le domaine de l’électricité ; il opère en tant que filiale d’Eletrobrás. Elle a été créée pour résoudre les problèmes d’approvisionnement en énergie de la région nord et pour faire de l’Amazonie un fournisseur d’énergie pour le marché national.

[3L’hydroélectricité au fil de l’eau est une méthode de production d’énergie renouvelable hydraulique qui utilise le flux naturel d’un cours d’eau pour générer de l’électricité, sans avoir besoin de construire un grand barrage et de créer des réservoirs en amont.

[4En 2002, il était prévu d’installer 20 turbines. Par la suite ce nombre a été réduit à 18.

[5Les saisons des pluies sont inversées

[6Plus de 1200 Kms de lignes de transmission

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