Le président de l’Association nationale des librairies examine l’importance du marché indépendant du livre dans la promotion de la culture brésilienne et les moyens par lesquels l’État pourrait soutenir ce secteur. La première étape : l’adoption de la loi Cortez visant à réguler la concurrence jugée déloyale d’Amazon.
À la fois éditeur et libraire, Alexandre Martins Fontes occupe une position unique dans le paysage éditorial brésilien. Héritier de la maison d’édition et du réseau de librairies fondés par son père, il se destinait initialement à une carrière artistique. Sa passion pour l’art demeure intacte et s’exprime désormais à travers son passe-temps de collectionneur. Entre les étagères de la librairie Martins Fontes, il célèbre le privilège de vivre entouré d’art, qui, pour lui, est « la nourriture de l’âme ». C’est durant la pandémie de Covid-19 que, obligé de fermer les portes de la librairie, Alexandre a pris conscience de l’ampleur de la crise du secteur.
Aujourd’hui, en tant que président-directeur de l’Association nationale des librairies (ANL), Alexandre concentre ses efforts sur l’adoption de la loi Cortez, qui vise à limiter à hauteur de 10 % la remise sur le prix d’un livre dans les 12 mois suivant son lancement. Inspirée de la loi Lang, en vigueur en France depuis 1981, ce projet de loi a pour objectif de mettre un terme à la concurrence prédatrice des géants virtuels tel que Amazon, qui pratiquent des remises supérieures à ce qui est économiquement viable pour les librairies indépendantes. La proposition – qui est en cours d’examen au Congrès depuis 2015 et attend aujourd’hui l’analyse de la Chambre des députés – vise à protéger les librairies, mais laisse des doutes quant aux avantages qu’elle offre aux lecteurs et aux maisons d’édition.
Depuis New York, assis devant sa collection d’œuvres signées de l’artiste américain Terry Winters, il parle à Cult [1] du prix du livre au Brésil, de l’importance de la loi pour soutenir les librairies, des pratiques d’Amazon sur le marché du livre et des difficultés des éditeurs et distributeurs dans la formation d’un marché éditorial encourageant la lecture. Il répond aussi aux questions envoyées par des représentants de maisons d’édition brésiliennes, sélectionnées par Cult.
D’où vient votre intérêt pour le commerce du livre ?
Je plaisante souvent en disant que je suis né dans une librairie. Je vais bientôt avoir 65 ans, et la librairie Martins Fontes a le même âge. Elle a été fondée par mon père en janvier 1960, et je suis né en avril de la même année. Ma mère était enceinte de moi quand mon père, à 25 ans, a décidé d’ouvrir une librairie à Santos [2].
Même avant d’entrer à l’université – j’ai étudié l’architecture à la FAU-USP [3] car j’ai toujours aimé le monde des arts – j’étais impliqué dans la maison d’édition, je faisais toutes les couvertures des livres. Mais la décision de rejoindre l’entreprise, je ne l’ai prise qu’à 30 ans, et c’est la meilleure chose que j’ai faite dans ma vie. Pas la décision de travailler dans l’entreprise, mais de travailler avec mon père. Là, j’ai découvert le Waldir Martins Fontes, le professionnel. Je peux vous dire que j’aime ce que je fais, j’ai le privilège d’être à la tête d’une entreprise qui œuvre dans le monde des livres depuis 65 ans, ce qui, au Brésil, n’est pas rien.
En tant qu’éditeur et libraire, mais aussi collectionneur d’art, que signifie l’art dans votre vie ?
Tu as dit que j’étais collectionneur. Aujourd’hui, je l’explique de manière plus tranquille, mais, autrefois, je n’aimais pas ce titre, parce que je l’ai toujours trouvé prétentieux, associé à l’argent. Je ne suis pas un homme riche, je ne l’ai jamais été. Il n’est pas facile de gagner de l’argent dans le monde des livres, et je ne peux pas me plaindre de ma vie, mais je ne suis certainement pas riche. Je suis une personne qui aime rassembler des choses ; une mentalité typique de collectionneur. C’est presque une maladie, mais une maladie bénigne.
C’est une histoire d’amour d’avoir ces choses près de moi. C’est un privilège, je le vois à travers mes enfants, qui sont nés et ont grandi dans un environnement où l’on a de l’art partout. L’art est la nourriture de l’âme, et je suis très heureux de vivre entouré d’art – pas seulement les arts visuels, mais aussi la littérature.
Comment articulez-vous les différents intérêts de l’entreprise Martins Fontes, en tant que librairie et maison d’édition ?
Peu de personnes ont l’expérience que j’ai. Par essence, je suis éditeur, mais je me vois de plus en plus comme libraire. Par ailleurs, je suis aussi importateur et distributeur de livres donc je connais ce marché en profondeur. Ce sont des rôles antagonistes parfois : je suis concurrent d’autres librairies, mais aussi leur fournisseur. Cela me place dans une position complexe, mais je suis heureux de dire que je me sens à l’aise dans cette position.
Aujourd’hui, je suis président de l’Association nationale des librairies (ANL), mais pendant longtemps j’ai été directeur du Syndicat national des éditeurs de livres (SNEL) et de la Chambre brésilienne du livre (CBL). Quand j’ai commencé à accorder plus d’attention à notre librairie de l’Avenida Paulista, il y a 20 ans, j’ai cessé d’être uniquement éditeur pour devenir libraire. En tant que président de l’ANL, je me dois de montrer aux libraires les difficultés rencontrées par les éditeurs, et vice versa.
La défense de la loi Cortez en est un exemple. Beaucoup affirment que c’est le combat des libraires et que les éditeurs ne sont pas impliqués ou intéressés. Pourtant, c’est une erreur de la part des éditeurs, car dans la mesure où nous avons un écosystème fragilisé, tout le monde perd. Si les maisons d’édition continuent à vendre leurs livres à Amazon, elles seront perdantes parce qu’elles n’auront plus de librairies où leurs livres pourraient être exposés. Ce combat n’est pas seulement celui des librairies, mais du marché éditorial dans son ensemble. Mon rôle est de montrer à la société que cette loi sera bénéfique pour tous. Ceci est une conséquence de cette situation ambigüe que dans laquelle je suis aujourd’hui sur le marché.
Quel est le rôle de l’ANL et que signifie, pour vous, être président de l’association ?
Bien que j’aie également été directeur du SNEL et de la CBL, ce n’est pas ma vocation. Pendant de nombreuses années, je suis resté à l’écart de ce rôle politique du marché du livre. J’ai toujours été méfiant, pour être sincère, envers le travail de ces entités. Être président de l’ANL est une surprise pour moi-même.
Quand la pandémie est arrivée, nous, libraires, avons été très préoccupés par ce qui se passait, car nous avons été obligés de fermer nos portes. Alors, nous avons créé un groupe – qui existe encore aujourd’hui – pour discuter de la façon dont nous allions survivre à ce scénario. Environ deux ans après la création du groupe, nous nous sommes demandé : que fait l’ANL ? Ma position était très critique envers l’association, pas envers les personnes, mais envers le travail concret qu’elle faisait.
L’ANL est une entité pauvre, qui reflète le marché des librairies. Ces dernières sont confrontées à de très grandes difficultés, notamment pour couvrir leurs propres coûts. La question que se pose tout libraire brésilien est : pourquoi dépenser mensuellement de l’argent pour une entité qui, en fin de compte, fait peu pour le marché ? Notre réponse a été d’arrêter de nous plaindre et de prendre à bras le corps ce travail.
J’ai décidé d’accepter la présidence de l’ANL parce que je comprends que le Brésil doit, de toute urgence, approuver une loi qui protège les librairies. Si nous ne faisons pas attention, cela impliquera la disparition de ces espaces. Mon travail à l’ANL est le même que celui de tous les libraires qui font un beau travail à la tête de leurs librairies et qui, avec moi, ont décidé de relever ce défi de travailler pour elles.
Le livre est-il cher au Brésil ?
La réponse la plus sincère est que le prix du livre au Brésil ne permet pas de bien rémunérer les auteurs, les graphistes, les maisons d’édition et les librairies. En d’autres termes, le livre devrait coûter plus cher. Quand on entend cela, on imagine que je suis fou, parce que la plupart des gens pensent que le livre est un produit cher.
Le Brésilien est très pauvre. Les gens ont désormais moins de pouvoir d’achat qu’il y a quelques décennies, non seulement pour acheter des livres, mais pour acheter un pantalon, pour aller au restaurant, etc. Mais, quand les gens disent que le livre est cher, c’est parce qu’ils ne valorisent pas le produit. Je vais vous donner un exemple : vous achetez un carnet, sans texte, sans photographie, juste du papier blanc ; il peut parfois vous coûter le prix d’un livre. La différence est que derrière le livre il y a le travail de l’auteur, du traducteur, du réviseur, du graphiste, de la promotion. Les gens ne connaissent pas les coûts qui se cachent derrière la production d’un livre et, en fin de compte, ne valorisent pas ce travail.
Cette situation s’aggrave par le fait que nous n’avons aucune loi pour comme la loi Cortez. La maison d’édition publie un livre, décide du prix et l’envoie aux librairies – y compris Amazon – en leur offrant une remise. Dans la mesure où nous avons le marché concentré entre les mains d’Amazon, qui demande des remises de plus en plus élevées aux éditeurs, ceux-ci sont obligés d’augmenter le prix du livre. C’est une illusion que les gens pensent qu’en achetant sur Amazon, ils obtiennent une remise plus importante, car à mesure qu’un monopole se crée, le prix augmente.
Les gens n’aiment pas qu’on compare le Brésil avec la France, alors je le compare avec l’Angleterre, qui n’a pas de dispositif juridique comme la loi Cortez, alors que la France en a une : la loi Lang. Les livres en France sont moins chers qu’en Angleterre, qui a bien moins de librairies. L’Angleterre, jusqu’aux années 1990, avait un accord appelé Net Book Agreement, qui déterminait le prix du livre et interdisait les remises. Cela fait maintenant plus de trente ans que celui-ci a été abandonné. Durant toute cette période, nous avons assisté à la disparition de centaines de librairies, tandis que le prix des livres a connu une hausse disproportionnée. Les éditeurs sont devenus otages d’un nombre réduit d’entreprises et, obligés de donner des remises plus élevées aux vendeurs, ont augmenté le prix.
De plus, l’idée que « je vais perdre mon droit d’acheter des livres avec une réduction » est une lecture superficielle du problème. La loi Cortez propose de ne pas permettre des remises supérieures à 10 % uniquement sur les lancements, c’est-à-dire pendant les 12 premiers mois d’existence d’un livre. Si je prends l’exemple de la librairie Martins Fontes de l’Avenida Paulista, les nouveautés représentent seulement 6 % de ce que nous avons en stock. Tous les autres livres sont vendus avec une remise libre.
Pourquoi la loi Cortez propose-t-elle de contrôler les remises uniquement pendant les 12 premiers mois ?
Parce que le lancement est très important pour les librairies. C’est en librairie qu’on découvre ce qui est en train d’être lancé. Comme elle a une limite physique, elle ne peut pas exposer tous les livres publiés au Brésil, elle réalise une sélection. Chaque libraire a ses critères, mais il est courant que la librairie choisisse les best-sellers, dont beaucoup sont des nouveautés. La loi Cortez, en réglementant les remises sur les lancements protège les librairies. Plus nous aurons de librairies disséminées dans les rues du Brésil, mieux ce sera pour la société brésilienne dans son ensemble.
La pandémie a montré que, lorsque les librairies avaient leurs portes fermées, les éditeurs ne parvenaient pas à vendre les nouveautés, car c’est là que les gens les découvrent. Si vous restez cinq minutes dans notre librairie de l’Avenida Paulista, vous regarderez les étagères et découvrirez plein de nouveaux titres. Si vous passez le même temps sur le site d’Amazon, je vous garantis que vous ne découvrirez pas 5 % de ce que vous auriez découvert dans une librairie. C’est la raison pour laquelle cette loi encadre les 12 premiers mois du livre, pour qu’il soit protégé.
Qui protégeons-nous, finalement ? Uniquement les libraires ? Non : dans la mesure où vous avez plus de librairies disséminées dans les rues des villes, vous protégez la société. Ainsi, la loi protège l’écosystème d’un objet fondamental pour la culture et la santé du pays.
On utilise souvent l’exemple français – la loi Lang de 1981 – pour se défendre des critiques. Mais la loi française institue, au-delà de la remise maximale de 10% pour les nouveautés, le prix, déterminé par l’éditeur. L’exemple anglais suivait également cette logique. Quelle est la différence par rapport à la proposition brésilienne et pourquoi ne pas faire cela au Brésil ? Cette logique ne bénéficierait-elle pas davantage au lecteur ?
Dans le monde entier, c’est la maison d’édition qui établit le prix du livre. À partir de ce montant, celle-ci offre une remise aux librairies, afin qu’elles puissent avoir une marge pour payer les coûts et vendre le livre. Dans un pays sans loi qui réglemente cette question, le libraire acquiert le livre à un prix inférieur au prix du livre et le vend au prix qu’il veut.
L’option stratégique d’Amazon est de ne pas gagner d’argent en vendant des livres mais de les utiliser pour attirer l’acheteur sur le site. Qui achète des livres ? Un enfant, un jeune, une personne âgée, un homme, une femme, une personne blanche, noire, etc. C’est le produit qui attire la plus grande diversité de personnes sur le site. Ils auraient pu choisir des verres à vin, mais ce serait un public très restreint, et le produit, fragile. Jeff Bezos n’a pas choisi de vendre des verres à vin à bas prix, il a choisi le livre, qui s’adresse à toutes les couches de la population et s’emballe facilement. Amazon utilise le livre comme appât pour attirer le client. Au moment où il fait cela, il détruit l’écosystème.
Le libraire, qui ne peut pas renoncer à sa marge, ne parvient pas à vendre le livre au prix auquel Amazon le vend et, au moment où il le vend à un prix plus élevé, le client cesse d’acheter chez lui. À mesure que les gens achètent davantage sur Amazon, ils contribuent à la disparition des librairies.
La question que nous devons nous poser est : sommes-nous satisfaits de la disparition des librairies ? Si la réponse est non, car les librairies ont un rôle fondamental pour la culture d’un pays, alors nous devons faire quelque chose pour que cela n’arrive pas. Des pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, l’Argentine, le Mexique, le Japon et la Corée du Sud ont des lois qui empêchent l’utilisation du livre comme objet de marketing.
Êtes-vous optimiste quant à l’adoption de la loi ?
Je dirais que oui. Dans toutes les conversations que j’ai sur ce sujet, en expliquant ce qui se cache derrière le projet, les gens sortent convaincus que nous parlons de l’évidence. On ne peut pas permettre qu’une entreprise, quelle qu’elle soit, détruise un écosystème aussi important. Si vous regardez ce qui s’est passé au Brésil depuis l’arrivée d’Amazon dans le pays, pour l’industrie éditoriale et libraire, c’est une tragédie. Amazon est au Brésil depuis 12 ans. Durant cette période, Saraiva [4] a fermé et la Fnac a fui le pays pour retourner en France où il existe une loi qui la protège. Sans parler des nombreuses librairies de quartier qui ont fermé leurs portes. Nous avons une baisse de la consommation de livres et une baisse du nombre de lecteurs. Le tableau que l’on voit au Brésil est dramatique, et vous pouvez être sûr que cela a à voir avec Amazon.
Il existe, oui, une grave désinformation concernant la loi. L’opinion publique, dans la mesure où elle se positionne contre elle à partir d’une lecture superficielle de sa signification, entrave son cheminement. Il faut convaincre la société de l’importance de cette loi.
Considérez-vous juste le modèle commercial imposé par les librairies qui ne travaillent qu’avec des livres en dépôt [5] ?
Les librairies n’ont pas le capital pour acheter tous les livres exposés dans le magasin. Le dépôt est une façon de résoudre cette question. Le Brésil produit beaucoup plus de livres que les librairies ne peuvent absorber. C’est pourquoi ce fonctionnement est un mal nécessaire. Il apporte également des problèmes à la librairie. Vous n’avez pas idée du travail que demande l’ajustement du stock de tout ce que la librairie a tous les mois. De plus, elle doit prendre grand soin de ses livres car si le livre est volé, c’est la librairie qui paie le coût. Mais c’est la solution que le marché a trouvée pour garantir qu’il existe une diversité et une grande quantité de livres disponibles.
Certaines librairies sont en retard dans leurs paiements ou ne gèrent pas convenablement leur comptabilité. C’est une pratique courante au Brésil. Quels sont les dispositifs mis en place par l’ANL pour améliorer cette dynamique ?
Cette réponse est très simple : moi, en tant qu’éditeur et libraire, je lutte pour un marché professionnel qui respecte ses obligations. L’ANL ne défendra jamais l’attitude d’une librairie qui ne règle pas correctement un diffuseur ou qui paie en retard. À titre personnel, en tant qu’éditeur : si je travaille avec une librairie qui ne règle pas ce qu’elle me doit, je cesse de la fournir. Dès lors que l’ANL travaille en faveur d’un marché plus organisé, plus riche et pour le renforcement des librairies, elle crée des conditions pour que celles-ci remplissent leurs obligations.
Questions de Sergio Alves, maison d’édition Cosmos :
Croyez-vous qu’un jour, nous pourrons avoir un marché éditorial où chacun suivra strictement son rôle ? C’est-à-dire où la maison d’édition produira seulement le livre, le distributeur le distribuera et la librairie le vendra au lecteur ?
C’est une problématique à laquelle je souhaite m’attaquer en 2025. Je suis en train d’organiser une réunion avec trois entités du livre – SNEL, Libre (Ligue Brésilienne des Éditeurs) et CBL – pour que ce sujet soit abordé. Voici mon point de vue : si ma maison d’édition commence à fournir une librairie qui ne me paie pas, j’arrête. De la même façon, si je fournis Amazon et qu’il vend mon livre avec des remises abusives, je cesse également le partenariat, après tout, il ne contribue pas à l’enrichissement du marché. Nous n’aurions pas besoin d’avoir la loi Cortez si les éditeurs empêchaient Amazon d’agir de cette façon.
Par ailleurs, si la maison d’édition cesse de vendre directement au consommateur final, comprenant qu’il est important qu’il existe des librairies, elle contribuera à un marché plus sain. Mais, croyez-moi, ça n’arrive pas. De bonnes maisons d’édition font des campagnes publicitaires promettant des remises directes au consommateur final. Or, quand la maison d’édition vend un livre au consommateur avec une remise, elle détruit l’écosystème.
Je crois, parce que je suis un homme optimiste, que nous pourrons atteindre cet objectif que Sergio souhaite, mais, pour cela, il faut agir. Une partie importante de ce travail est entre les mains de l’éditeur. C’est à lui de déterminer quel comportement est acceptable et lequel ne l’est pas. En tant que président de l’ANL, je veux que les entités représentant les éditeurs se mobilisent pour l’autorégulation du marché, comme cela se fait dans d’autres domaines. Par exemple, si vous voulez acheter un iPhone avec 10% de remise, vous n’y arrivez pas, parce qu’Apple ne permet à aucun vendeur de faire cela. Si les maisons d’édition faisaient la même chose, ce problème serait résolu.
Les maisons d’édition et les librairies pourraient-elles contribuer davantage à l’éducation des lecteurs ? Comment ce partenariat pourrait être revue en vue de construire un pays avec plus de lecteurs ?
Si nous avions un marché plus fort – où les maisons d’édition publient plus, les distributeurs font leur travail et les librairies sont en mesure de payer leurs factures – je n’aurais pas le moindre doute sur le potentiel de l’industrie éditoriale dans la formation de lecteurs. Je ne pense pas que ce rôle incombe seulement à l’État, nous avons besoin d’un écosystème éditorial sain.
Dans quelle mesure incombe-t-il au gouvernement et à la population de transformer le Brésil en un véritable pays de lecteurs ?
Il est évident que l’État a un rôle important. C’est à lui d’adopter ou non la loi Cortez, de faire des projets de lois qui exemptent les librairies de payer l’IPTU [6], d’établir la manière dont les livres seront acquis par les bibliothèques publiques. Si la bibliothèque publique achète à une librairie de quartier, elle remplit son rôle social, mais cela passe par des décisions de l’État qui ne sont pas prises.
Questions de Sílvia Nastari et Bruno Zeni, maison d’édition Quelônio :
Nous savons que les librairies, les maisons d’édition et les lecteurs créent ensemble un système. L’ANL a-t-elle un plan d’incitation à la diversification des collections des librairies visant à inclure plus de maisons d’édition et des genres littéraires importants comme la poésie, afin d’ainsi valoriser non seulement les librairies, mais aussi toute la chaîne et l’environnement culturel ?
Il appartient à la librairie de choisir les livres qu’elle vend, pas à l’ANL. Les entreprises doivent avoir la liberté de choisir ce qu’elles peuvent et veulent commercialiser. Si une librairie veut avoir uniquement des livres de politique ou de poésie, pourquoi pas ? Elle a la liberté de faire cela. Ce que l’association peut faire, c’est travailler vers un marché plus organisé et d’informer les gens. L’ANL n’aura jamais le rôle de la police.
Questions de Rejane Dias, maison d’édition Autêntica :
Nous connaissons les difficultés que les librairies rencontrent, mais nous savons aussi qu’un des atouts de ces librairies est d’avoir des vendeurs qui savent séduire les lecteurs et les conseiller. L’ANL projette-t-elle de professionnaliser les vendeurs en librairie ?
Je ramène, une fois de plus, cette question de la fragilité de l’ANL. Le Brésil a quelques formations pour vendeurs et libraires, auxquelles je participe depuis des années. L’ANL soutient toutes ces initiatives, mais, aujourd’hui, elle n’a pas les moyens de faire cela.
De nombreuses villes brésiliennes souffrent du manque de librairies. L’ANL, au-delà de la loi Cortez, a-t-elle travaillé à la construction de politiques publiques permettant la création de nouvelles librairies et la pérennité de celles qui existent, notamment en dehors de l’axe Rio-São Paulo ?
Quand mon père, à 25 ans, a décidé d’ouvrir une librairie à Santos, la ville avait des dizaines d’autres librairies. Aujourd’hui, elle a la Martins Fontes et une librairie voisine avec des problèmes financiers. C’est-à-dire que Santos, qui n’est pas n’importe quelle ville dans l’état de São Paulo, court le risque de se retrouver aussi sans librairies. Nous – l’ABL, les éditeurs, les libraires, la société, les politiciens – devons travailler pour créer des conditions pour qu’un jeune de 25 ans, comme mon père, ait le courage et la motivation d’ouvrir une librairie.
Le Brésil n’aura davantage de librairies que lorsqu’il y aura des lois qui les protègent et pas uniquement la loi Cortez. Par exemple, si les villes de l’intérieur renonçaient à percevoir l’IPTU des librairies ou si les bibliothèques achetaient les livres non pas directement à la maison d’édition, mais par l’intermédiaire des librairies, elles encourageraient le petit entrepreneur. Ce qui est évident également est que si le Brésil investissait davantage dans l’éducation et prenait au sérieux la question de l’importance de la lecture, nous aurions un pays plus cultivé, un pays de lecteure et riche en librairies. Il y a plusieurs voies pour encourager le renforcement et l’enrichissement des librairies, mais rien de tout cela n’est fait par l’État.
Questions de Lizandra Magon de Almeida, présidente de la Libre et directrice éditoriale de la maison d’édition Jandaíra :
L’année 2024 a été marquée par une crise majeure qui a particulièrement affecté les éditeurs indépendants, conduisant à une nouvelle concentration du marché. En tant que professionnel portant la double casquette d’éditeur et de libraire, quelles sont vos perspectives pour 2025 concernant l’évolution des ventes en librairie ?
Je dirais que nous n’aurons un marché éditorial sain que dans la mesure où il sera organisé : les maisons d’édition publient, les distributeurs distribuent, les librairies vendent au consommateur final. Aujourd’hui, nous permettons que l’écosystème éditorial brésilien s’affaiblisse. Notre lutte – avec Lizandra, Rejane, et moi-même – est pour avoir plus de librairies disséminées dans les rues de nos villes, plus de maisons d’édition publiant des livres, une plus grande bibliodiversité. Dans cette lutte, certainement la loi Cortez vient en premier lieu. En second, l’autorégulation des acteurs du marché. Je me suis exposé et usé à expliquer aux maisons d’édition qu’elles ne peuvent pas vendre directement au consommateur final à un prix différent de celui qu’elles ont établi pour leurs propres livres.
En résumé : ce dont nous avons besoin au Brésil, c’est de plus de lecteurs, plus de livres. Il y a beaucoup à faire en ce sens, mais tout passe par l’établissement d’un marché plus fort. Si dans quelques années la ville de Santos a autant de librairies qu’elle en a eu dans le passé, cela signifiera que nous avons fait notre part. Ce n’est pas facile, mais nous devons lutter tous les jours pour cela.