BRÉSIL - État d’urgence à Rio de Janeiro : l’armée dans les rues

La décision du président Michel Temer de placer la « sécurité » de la « ville merveilleuse » dans les mains de l’armée, en plus d’avoir un objectif politique et électoral, a renforcé la peur des habitants des favelas de Rio de Janeiro, criminalisés par l’État depuis des années.

Ne portez pas un long parapluie, au cas où il serait confondu avec une arme à feu et qu’on vous tire dessus. Faites savoir à vos amis où vous allez et quand vous rentrez à la maison. Si vous transportez un article coûteux, gardez un reçu avec vous, afin qu’ils [les militaires] ne pensent pas que vous l’avez volé. Si on arrête votre voiture, demandez l’autorisation au militaire avant d’ouvrir la boîte à gants et de sortir les papiers du véhicule, sinon, il risquerait de penser que vous allez sortir une arme à feu. Ne sortez pas tard le soir. Et si vous êtes une femme, homosexuel ou transsexuel, ne partez pas seul.e, soyez toujours accompagné.e.

Conseils. Mises en garde. C’est ce qui est le plus présent sur les réseaux sociaux des habitants des favelas de Rio de Janeiro depuis que, vendredi dernier [16 février 2018], le président Michel Temer a annoncé que la sécurité de la « merveilleuse ville » passerait entre les mains des militaires. Ces conseils peuvent être entendus dans la vidéo intitulée « Intervention militaire à Rio de Janeiro, si vous êtes noir… », publiée le week-end dernier par trois jeunes noirs, afin que les Cariocas [1] de la même couleur de peau évitent d’être arrêtés ou tués maintenant que l’armée est chargée de la « surveillance » de la ville.

Ce mardi [20 février], et pour la première fois depuis de nombreux mois, le Congrès et l’exécutif ont agi non seulement en complet accord, mais avec le soutien majoritaire des députés et des sénateurs du gouvernement affaibli de Michel Temer. Il est surprenant de constater que c’est précisément une mesure exceptionnelle, qui n’a pas été observée depuis la dictature militaire [2], qui a réuni exécutif et législatif qui ont, les yeux fermés, délégué à l’armée le contrôle absolu de la sécurité dans un État [3].

Pour beaucoup, cette démarche est davantage motivée par des intérêts électoraux et politiques que par un souci réel de la sécurité du dixième État le plus violent du pays. Le sociologue Ignacio Cano, qui travaille à l’Université d’État de Rio de Janeiro et coordonne le Laboratoire d’analyse de la violence, n’a aucun doute sur cette hypothèse : « Nous avons un exécutif noyé par les scandales de corruption qui profite d’une société qui a peur et qui, à l’heure actuelle, accepterait des armées de n’importe quelle partie du monde pour se sentir en sécurité », nous confie-t-il.

Bien que Rio de Janeiro soit loin d’être l’État le plus violent du Brésil, la sécurité est la principale préoccupation des habitants de Rio de Janeiro et des autres Brésiliens. C’est ce qu’atteste la dernière enquête de l’Institut Data Folha, selon laquelle au moins 75% de la population considère l’insécurité et la violence comme les principaux problèmes du pays. L’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva lui-même a déclaré cette semaine que la mesure prise par Temer « est une tentative désespérée pour faire remonter sa cote de popularité », qui oscille à l’heure actuelle entre 3 et 10%.

La réponse a été en syntonie avec les craintes de la population, puisque, selon une étude d’Idea Big Data, les mêmes 75% ont reconnu qu’ils appuyaient l’intervention militaire, même si 80% ont admis que la mesure ne serait pas la solution au problème. Pour Ignacio Cano, au-delà de la solution ou non du problème, l’intervention militaire à Rio de Janeiro « génère avant tout une série de risques tant pour la population que pour les militaires ». C’est un scénario terrible dans lequel un gouvernement corrompu s’engage une fois de plus à violer les droits constitutionnels.

Carte blanche pour les militaires

L’armée a été la première à exprimer son inquiétude sur la responsabilité qui lui a été confiée. Cette semaine, le commandant de l’armée de terre, le général Eduardo Villas Bôas, a demandé des « garanties juridiques » pour que ses subordonnés ne soient pas jugés par les tribunaux ordinaires, mais seulement par des instances militaires : « D’abord ils nous appellent à combattre les trafiquants, mais si l’un de mes hommes tue en situation de légitime défense, ils le poursuivent devant la justice. » Villas Bôas est également allé jusqu’à comparer la situation actuelle à laquelle ses soldats sont confrontés avec la dictature militaire : « Nous ne voulons pas après d’une Commission Vérité [4] et être accusés de choses que nous n’avons pas faites », a-t-il déclaré dans un entretien accordé à la télévision Globo.

Ignacio Cano souligne les contradictions du discours du général : « Si les militaires sont désormais chargés de la sécurité publique, ils devront aussi être jugés par la justice publique. S’ils ne le veulent pas, c’est parce qu’ils ne font pas confiance à la justice brésilienne ou parce qu’ils savent que de nombreux meurtres peuvent se produire qui seraient considérés comme illégaux et qu’ils veulent être protégés », nous a-t-il déclaré.

La loi est actuellement du côté de l’armée, puisqu’en novembre 2017, un règlement a été adopté qui dispense les soldats d’être tenus responsables devant les tribunaux ordinaires des meurtres commis au cours d’opérations telles que celles qui ont cours à Rio de Janeiro. « C’était un premier signe d’alarme que nous avions dénoncé de l’université : en dénonçant le fait que la politique était en train de se militariser, ce qui aurait des conséquences désastreuses pour la population – c’est exactement ce qui se produit maintenant », dit Cano.

L’exécutif a également pris le parti des militaires en rendant leur travail aussi facile que possible. L’une des mesures les plus controversées que le ministre de la défense, Raul Jungmann [5], souhaite mettre en œuvre est d’offrir à l’armée la possibilité d’émettre des mandats collectifs d’arrestation et de détention. Cette mesure signifierait que ces décisions ne viseraient pas une personne donnée et un habitat déterminé, mais pourraient être utilisées pour entrer dans le domicile de n’importe quel habitant. « Dans la réalité urbaine de Rio de Janeiro, il arrive souvent qu’une recherche soit faite dans une maison, mais le bandit se déplace vers une autre qui se trouve à proximité, de sorte que les mandats collectifs sont plus utiles », justifie Jungmann.

Voir en ligne : Dial

[1Habitants de Rio de Janeiro – note DIAL.

[2Entre 1964 et 1985 – note À l’Encontre.

[3Celui de Rio de Janeiro – note À l’Encontre.

[4Qui a enquêté sur les crimes durant la dictature, sans effets réels – note À l’Encontre.

[5Membre du Parti populaire socialiste, antérieurement membre du Parti communiste brésilien – note À l’Encontre.

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