Avec un taux d’élues inférieur à 12%, les mairesses gouvernent des villes plus petites et plus pauvres que les hommes

 | Par Giovanna Costanti

Par : Giovanna Costanti pour Carta Capital
Traduction : Anne-Laure BONVALOT pour Autres Brésils
Relecture : Marie-Hélène BERNADET

Crédits : Marcelo Camargo/Agência Brasil.
87% des mairesses brésiliennes ont au moins un enfant et 74% d’entre elles sont mariées.

Alzira Soriano fut la première femme latino-américaine à remporter des élections municipales. C’était en 1928, dans la ville de Lages, dans l’État du Rio Grande do Norte. En 2018, ce même État a été le seul à élire une femme à sa tête, Fátima Bezerra.

90 ans après la victoire d’Alzira Soriano, le Nordeste demeure la région qui compte le plus fort taux de mairesses, soit 16%. Il détient également le record en nombre absolu, avec 288 mairesses contre 1 505 maires. Les municipalités gouvernées par des femmes concentrent seulement 7% de la population du pays.

Bien que représentant 51% de la population, les femmes sont à la tête d’à peine 11,7% des mairies du Brésil. Pour les femmes noires, l’écart est encore plus criant : elles représentent 27% de la population, mais seulement 3% des élues.
Ces données proviennent d’une récente enquête intitulée Perfil das Prefeitas no Brasil 2017-2020 [Profil des Mairesses au Brésil - 2017-2020], réalisée par l’Institut Alziras, qui a interrogé 45% des 649 mairesses élues en 2016.

Les mairesses acquièrent une expérience politique au cours de leur trajectoire – 88% d’entre elles avaient déjà des responsabilités politiques avant leur élection –, elles ont à leur actif plus d’années d’études que leurs homologues masculins – 71% d’entre elles ont un diplôme universitaire et 42% sont docteures.
Elles font face à d’énormes défis dans des municipalités généralement petites et sans moyens – 91% d’entre elles ont été élues dans des communes de moins de 50 000 habitants – et déclarent des patrimoines de 55% inférieurs à ceux des candidats masculins.

Le rapport met en avant des chiffres qui aident à comprendre, au-delà du profil de ces femmes, quels sont les défis majeurs qu’elles ont à relever, tout en mettant l’accent sur les cas de machisme : ce qu’elles affrontent au quotidien outrepasse largement les difficultés qu’un homme connaît généralement en politique. Pour une mairesse sur cinq, par exemple, le travail domestique constitue un frein ou une entrave à sa carrière politique.

Difficultés au quotidien

D’après Flávia Biroli, professeure à l’Institut de Sciences Politiques de l’Université de Brasilia et membre de l’Institut Alziras, la division sexuelle du travail, plus flagrante encore dans les petites villes, prive les élues de temps et de moyens. « Les mairesses rencontrent des difficultés pour concilier la vie politique et les attentes qui existent encore concernant le rôle des femmes dans la société », explique-t-elle.

87% des mairesses brésiliennes ont au moins un enfant et 74% d’entre elles sont mariées ou en couple. Dans le contexte d’une société fondée sur des stéréotypes de genre et dominée par une logique patriarcale, nombre de ces femmes sont condamnées à effectuer des doubles ou des triples journées.
« Il est intéressant de remarquer le faible pourcentage d’élues qui disent pouvoir partager avec leur conjoint les diverses tâches domestiques : 7% pour le ménage et le lavage du linge, 8% pour la cuisine, le chiffre se montant à 22% pour le soin des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées et à 18% pour les courses ».

Les mairesses font également état d’autres difficultés qui impactent leur vie politique. Parmi les élues interrogées, 53% ont déjà été victimes de harcèlement ou de violences politiques pour le simple fait d’être des femmes, et 30% ont été victimes de harcèlement et de violences symboliques dans l’espace politique.

Action au sein des partis

« Les partis politiques investissent moins dans les candidatures des femmes que dans celles des hommes, leur confèrent moins de visibilité dans la propagande partisane et dans les campagnes électorales et, à de rares exceptions près, n’adoptent pas de mesures visant à combattre les stéréotypes et les violences à leur encontre », explique Flávia Biroli,
48% des femmes interrogées ont déploré un manque de moyens pour mener à bien leur campagne et 24% d’entre elles ont critiqué le peu d’espace qui leur est dévolu dans les médias par comparaison à leurs homologues masculins. En outre, 23% d’entre elles disent avoir déjà subi une déconsidération de leur travail ou de leurs discours et 22% disent souffrir d’un manque de soutien de la part de leur parti ou de leur électorat.

D’après l’enquête, la position des partis sur le spectre idéologique ou l’adoption d’une ligne progressiste ne se traduit pas forcément par une posture égalitaire en termes de genre. Dans tous les partis, il y a une prédominance des hommes aux postes d’élus municipaux. Par exemple, les femmes élues sont 12% au PT [Parti des Travailleurs] contre 10% au PSDB [Parti de la Social-Démocratie Brésilienne].

Le dossier ne fait pas mention du cas des « candidates orange » dans les mairies. Depuis que le Tribunal Électoral Supérieur a exigé un taux de 30% de diversité de genre dans les candidatures en 2009, les partis sont forcés de remplir cet objectif. De plus, 30% du Fonds Spécial de Financement de Campagne doivent être consacrés à des candidatures féminines.

Avec les « candidatures orange », les partis cherchent à tricher, enregistrant n’importe quelle candidate, parfois sans son accord, ou rendant invisibles les candidatures des femmes, en leur donnant peu ou presque pas d’argent. De plus, les femmes ne reçoivent pas la part de dotation prévue, qui est généralement attribuée à un autre candidat.

Occuper l’espace

Malgré les défis qu’elle met en lumière, l’enquête apporte des informations positives en ce qui concerne le dépassement progressif de ce phénomène de sous-représentation des femmes en politique. Il apparaît que 69% des mairies tenues par des femmes entreprennent des actions spécifiquement destinées à un public féminin. La question de savoir si les femmes gouvernent nécessairement pour les femmes est encore débattue en sciences politiques. L’enquête montre cependant que la présence de femmes en politique encourage d’autres femmes à occuper cet espace.

D’après le rapport, 55% des élues gouvernent avec une équipe composée d’au moins 40% de femmes. En outre, parmi les femmes interrogées, 53% ont cité comme modèles des femmes ayant ou ayant eu une carrière ou un rôle politique, comme Zilda Arns ou Angela Merkel.

Pour Flávia Biroli, au Brésil, le sujet de la sous-représentation des femmes en politique s’est seulement invité dans le débat public au moment de la transition démocratique, dans les années 1980. « Bien que les femmes soient encore largement désavantagées en politique, la sous-représentation apparaît désormais dans le débat public comme un problème », affirme-t-elle.

Voir en ligne : Carta Capital

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