Source : Carta Maior, 25/03/2014
Traduction pour Autres Brésils : Ana Santos (Relecture : Pascale Vigier)
Photographie : Agence Câmara
Brasilia – La Chambre des Députés a approuvé le mardi 25 mars, presque à l’unanimité (seul le PPS [1] a voté contre), le Marco Civil de l’Internet [2], qui était à l’ordre du jour depuis cinq mois et a été au centre de la plus grande crise entre le gouvernement Dilma et sa base alliée. L’espoir, maintenant, c’est que le projet soit approuvé par le Sénat dans un temps record, sans modifications, pour que lui succède l’approbation présidentielle.
Ainsi, le Brésil deviendra une référence mondiale en termes de législation sur le réseau mondial d’ordinateurs : d’après les mouvements de défense de la démocratisation de la communication, spécialistes des réseaux d’information et de la démocratie participative, le projet représente un progrès substantiel qui doit servir d’exemple au monde entier.
La note diffusée la veille du vote par le physicien britannique Tim Berners-Lee, considéré comme le père de l’Internet, dans laquelle il loue la proposition du Marco Civil, en est la preuve. « Si le Marco Civil est accepté sans plus de retards ou de modifications, ce sera le plus grand cadeau pour les utilisateurs d’Internet au Brésil et dans le monde », affirme-t-il.
Pour le scientifique, le principal atout du projet, tout comme celui du web lui-même, c’est d’avoir été créé de manière collaborative, en reflétant les désirs de milliers d’internautes. « Ce processus a résulté en une politique qui équilibre les droits et les responsabilités des individus, du gouvernement et des entreprises qui se servent d’internet » a-t-il ajouté.
Les mouvements de lutte pour la démocratisation de la communication, qui ont agi de manière continue pour la défense de l’approbation du projet, ont célébré le poids de la force de la société civile dans la bataille. La pétition électronique menée par l’ancien ministre de la Culture, Gilberto Gil, remise mardi dernier à la Chambre, a recueilli à elle seule 350 mille signatures favorables au Marco Civil, fait historique au Parlement.
D’une manière générale, la proposition approuvée par la Chambre encadre les droits et les obligations des internautes, en respectant la liberté et la démocratie sur le web, en protégeant les données des utilisateurs contre des espionnages menés par le marché ou par d’autres gouvernements et en empêchant les entreprises de télécommunications de discriminer les utilisateurs par la limitation de la vitesse d’accès pour les adhérents des forfaits populaires. La législation prescrit également le mode d’action de la Justice dans la responsabilisation des crimes cybernétiques.
La construction du consensus
La quasi-unanimité autour du texte qui partageait la Chambre jusqu’à la semaine dernière et risquait même de ranger le PT [3] et le PMDB [4] en deux côtés opposés, a uniquement été possible parce que le gouvernement a accepté d’amender deux points revendiqués par des parlementaires de la base et de l’opposition, qui n’ont pas remis en question les trois fondements essentiels de la proposition construite avec la participation de la société civile et envoyée au parlement par la présidente : la garantie de la neutralité du réseau, de la protection de la vie privée des utilisateurs et de la liberté d’expression.
D’après le rapporteur du texte, le député Alessandro Molon (PT-RJ [5]), le premier des points a été la suppression de l’article qui obligeait les entreprises à maintenir des centres de traitement de données destinés à leur archivage exclusivement au Brésil. Les opposants à cette règle alléguaient que la mesure rendrait le coût d’Internet plus élevé sans pour autant amener le résultat attendu : la protection des données des utilisateurs.
D’un autre côté, le rapporteur a renforcé l’article qui traite de ce thème à la fin du texte, en prévoyant que la loi brésilienne soit appliquée à la protection des données des brésiliens, quel que soit l’endroit de stockage. « Ce texte est plus long, plus fort et veille plus sur l’internaute brésilien », a-t-il a déclaré à l’assemblée, pour défendre la modification.
L’autre point amendé, et le plus polémique, concerne le privilège de déterminer les exceptions à la neutralité du réseau. Le texte originel établissait que celui-ci était l’exclusivité du président de la république, par décret. Après la modification, le texte définit maintenant que le privilège est toujours celui du président, mais ordonne qu’il fasse appel à l’Anatel [6] et au Comité Gestionnaire d’Internet.
Malgré sa glorification par l’opposition et par les partis de la base qui s’opposaient à la proposition présentée comme définitive, le changement a eu des effets pratiques, presque inaperçus. Mais cela a suffi pour que des partis comme le PMDB, le PSB [7] et le PSDB [8], par exemple, trouvent un moyen de justifier leur appui à la proposition, visant en outre un plus grand appui populaire lors des élections d’octobre.
Deux autres changements dans le texte ont également aidé le rapporteur à gagner des voix auprès des partis féminins et évangélistes. L’un d’eux rend responsable le fournisseur de la diffusion de scènes de nudité ou de sexe, diffusés sans en informer l’une des parties. L’autre soutient le contrôle parental de contenu, permettant ainsi aux parents de limiter le niveau d’accès de leurs enfants à des sites considérés inappropriés.
Positionnements contraires
Seul le PPS, représenté par huit députés, a voté contre le projet. Hué par le public qui suivait le vote et par des collègues, le député Roberto Freire (PPS-RJ) a justifié sa position en affirmant que « le Brésil s’est transformé en Turquie », pays qui encadre l’utilisation d’internet de manière autoritaire jusqu’à interdire l’accès à des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook.
D’après Freire, le texte du Marco civil, révèle dès ses premiers paragraphes l’intention du gouvernement de discipliner internet, un outil qui n’est pas réglementé dans le reste des pays démocratiques. « C’est comme si on avait les néolibéraux, qui sont pour la liberté du marché et ceux qui souhaitent l’intervention de l’État », compara-t-il, inopportunément.
Plusieurs parlementaires ont critiqué sa position. Parmi eux se trouvait le député Amauri Teixeira (PT-BA [9]) qui a expliqué, d’un ton assez emporté, que l’intention du projet était justement le contraire : empêcher l’appropriation par le marché ou par les gouvernements aux aguets, d’un outil aussi important pour la démocratie, avec un grand impact sur la réduction des écarts sociaux et sur la prestation de services publics de meilleure qualité.
Le député Márcio Macedo (PT-SE [10]) a critiqué en écho l’incapacité de Freire à comprendre le temps historique dans lequel il vit. « Nous avons besoin de lutter contre la position réactionnaire et anachronique du collègue qui m’a précédé. Excusez-moi, mais il a perdu la notion du présent et du futur et ne sait pas ce qu’il dit », déclara-t-il.
Eduardo Cunha : “la queue entre les jambes”
Personnage-clé dans la crise qui a paralysé la Chambre pendant cinq mois pour s’être opposé au Marco civil au profit des intérêts des entreprises de télécommunications, le chef du groupe parlementaire du PMDB, le député Eduardo Cunha (PMDB-RJ) a fini par lâcher prise et a reconnu avoir perdu la guerre qu’il a essayé d’entamer contre le gouvernement.
Lors de son discours, il a expliqué qu’il défendait toujours un internet sans réglementation, mais il a expliqué que, en tant que responsable du deuxième plus grand groupe de la Chambre, il accepterait la décision de la majorité. « Je suis le leader d’un groupe parlementaire et je dois exprimer le souhait de la majorité, même si cela signifie être battu », a-t-il déclaré.
Notes de la traductrice :
[1] PPS : Parti Populaire Socialiste. Opposé au gouvernement actuel, ce parti cherche à concilier la gauche modérée avec la droite.
[2] Marco Civil da Internet : Projet de loi qui vise à réglementer Internet, tout en garantissant la liberté d’expression et la protection des données privées.
[3] PT : Parti des Travailleurs, de la majorité parlementaire.
[4] PMDB : Parti du Mouvement Démocratique Brésilien, parti de la coalition gouvernementale.
[5] PT – RJ : Parti des Travailleurs – Rio de Janeiro
[6] Anatel : Agence Nationale de Télécommunications
[7] PSB : Parti Socialiste Brésilien de la coalition gouvernementale, comme le PMDB.
[8] PSDB : Parti de la Social-Démocratie Brésilienne. Fondé par un groupe d’intellectuels dont l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, ce parti s’oppose au gouvernement actuel.
[9] PT – BA : Parti des Travailleurs - Bahia
[10] - PT – SE : Parti des Travailleurs - Sergipe