Au secours du São Francisco

 | Par Kakie Roubaud

Un projet polémique du gouvernement brésilien divise la population du Nordeste. Il s’agit de détourner une partie du Rio São Francisco pour “redistribuer” l’eau. Mais qui en seront les bénéficiaires ? Présentation du contexte.

C’est "l’autre" grand fleuve du Brésil, le seul qui coule entièrement sur son territoire : 2 660 km de long. Le Rio São Francisco trace un long chemin de cascades, de méandres et d’îlots à l’intérieur des terres montagneuses et arides, avant de bifurquer brutalement sur le littoral atlantique, à la hauteur du Sénégal. Son bassin est grand comme le Portugal et la France réunis. Pour les Indiens qui vivaient sur ses berges, il était Wara : la Grande Mer. Mais les Portugais le nommèrent São Francisco, en hommage au jour de sa découverte, un 4 octobre 1501. Aujourd’hui, on l’appelle affectueusement : O Velho Chico, ce Vieux Chico.

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Méconnu des étrangers, il est le plus symbolique et le plus historique de tous les fleuves brésiliens. Plus qu’un cours d’eau, c’est un monument de l’identité nationale... C’est par le São Francisco que la Conquête est passée il y a 500 ans ; là que les premiers colons se sont fixés de façon définitive ; là qu’ils ont décimé la forêt atlantique pour y planter la canne à sucre, fouillé son lit jusqu’à la source pour en extraire des diamants ; là que les Portugais barbus aux larges chapeaux ont épousé (et massacré) les Indiens Cariris aux cheveux lisses ; là que se sont taillées des réserves foncières dont les propriétaires terriens d’aujourd’hui sont les héritiers.

Ravitaillés en eau par des camions-citernes

Lula, Président du Brésil, s’est mis en tête de détourner le cours du Rio São Francisco pour en finir avec la sécheresse séculaire du Polygone de la Faim et l’exode qui décime les populations. Et en principe redistribuer les terres... Car en dépit du large fleuve, c’est par camions-citernes que les populations sont aujourd’hui ravitaillées. Ce fleuve par ailleurs est tellement pillé par des pompages pirates et si peu entretenu que son cours aujourd’hui s’envase et ralentit. “ Il y a 20 ans, constatent les pêcheurs de l’embouchure, les eaux douces avançaient à l’intérieur de l’océan sur 17 km. Aujourd’hui, c’est l’eau salée qui pénètre largement le São Francisco ” .

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Tous les écosystèmes de la mangrove et de la mer sont bouleversés et les pêcheurs ne s’y retrouvent plus. Disparition des habitats, disparition des espèces natives... “Alors foutaise !” hurlent les détracteurs du projet du Lula. “Viabilisons d’abord le fleuve et donnons de l’eau aux populations locales avant d’irriguer les fermes à crevettes de l’agro-industrie”. “Ceux qui prétendent ça n’ont jamais marché pendant des kilomètres avec un bidon d’eau sur la tête ” contre-attaque Lula, faisant allusion à son itinéraire d’enfant pauvre élevé sur les berges du São Francisco.

Dynamiser une région sans âge et sans lendemain

Très polémiques, divisant les Etats, selon qu’ils sont ravitaillés (Paraïba, Pernambouco) ou pillés (Sergipe, Alagoas), les travaux pharaoniques ont déjà commencé. En 2010, deux canaux de béton devraient détourner 1% du São Francisco pour l’emmener vers le nord (Eixo Norte) sur 210 km (Paraïba, Pernambouco) et vers l’est (Eixo Leste- Paraïba, Pernambouco, Ceara, Rio Grande do Norte) traversant au total 700 km de semi-aride. L’idée ? Relier ces canaux à d’autres rivières (Paraïba, Apodi, Piranhas-Açu) et les prolonger par des canalisations. Pour le gouvernement fédéral, il s’agit de dynamiser une région figée dans une histoire sans âge ni lendemains. L’enjeu est commercial, industriel et agricole mais difficile d’estimer les conséquences sociales et environnementales, en dépit des études d’impact partielles. Douze ministères ont pourtant planché sur le projet.

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Déjà dans le Brésil des militaires (1964-1985), de grands travaux avaient été effectués sur le São Francisco sans rien changer aux conditions de vie des populations locales. A l’époque, il s’agissait de produire de l’électricité avec la construction de retenues et de centrales : Itaïpu, Xingo, Sobradinho, Itaparica. Aujourd’hui, toute l’électricité du Nordeste provient du São Francisco. Coupable d’avoir englouti à jamais plusieurs villages historiques, la compagnie qui exploite le fleuve s’est faite un nom en tant que mécène culturel de la région. Don Cappio, évêque de Barra, une minuscule bourgade des rives vient lui, d’engager une grève de la faim. C’est la seconde fois en deux ans.


Par Kakie Roubaud pour Autres Brésils - janvier 2008


Consulter notre DOSSIER consacré au détournement du fleuve São Francisco


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