Au Brésil, un nouveau monde sur des terres anciennement usurpées

Les familles qui vivent dans le campement de Boa Esperança, ont signalé à maintes reprises qu’elles ne renonceraient pas à l’espoir de conquérir leur droit à la terre et qu’elles poursuivraient leur recherche d’une vie nouvelle.

Ce texte est extrait d’un dossier publié dans le Monde Diplomatique Brasil, écrit par des membres de la Commission Pastorale de la Terre - Nationale

Traduction de Roger Guilloux pour Autres Brésils
Relecture de Philippe Aldon

L’inspiration pour ce combat - et la solution à cette situation – se trouve tout près d’ici, sur les terres de la propriété Gleba Nhandú [1].

Dans une situation identique à celle-ci, environ 100 familles qui vivaient dans l’assentamento União Recanto Cinco Estrelas, ont revendiqué pendant de nombreuses années le droit à la propriété sur des terres des fazendas Recanto et Cinco Estrelas. Pendant très longtemps, le Fórum de Direitos Humanos e da Terra conjointement avec la CPT-MT a accompagné les situations de vulnérabilité sociale et les violences sans nombre pratiquées par les grileiros.

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https://observatoiredemocratiebresil.org/Glossaire

Les familles ont passé plus de 10 ans sous des cabanes en toile, elles ont attendu et résisté jusqu’à ce qu’elles conquièrent leur titre de propriété. Cela a représenté beaucoup de luttes, d’occupations de terres, de marches et de blocages de routes. Les familles ont subi toutes sortes de violences physiques et morales, d’attaques d’hommes de main, de menaces de mort, d’incendies de leurs cabanes, de coups de feu et d’expulsions. Finalement, suite à la décision de la Justice fédérale, les terres de la fazenda Recanto ont été reconnues comme propriété publique de l’Union fédérale.

Lire aussi « Le Congrès doit mettre fin et non favoriser l’accaparement des terres en pleine pandémie » La note technique de l’Institut SocioAmbiental

Cette fazenda est un lieu emblématique car elle avait été envahie par un grand propriétaire terrien, Sebastião Neves de Almeida - surnommé Chapéu Preto –– notoirement connu pour sa violence à l’encontre des travailleurs et des travailleuses, de ses opposants et également pour la pratique de l’esclavagisme [2].

Infographie extraite de l fiche 2 de l’observatoire de la démocratie : Portrait d’une société structurellement violente : https://www.autresbresils.net/Portrait-d-une-societe-structurellement-violente

En 2003 il est allé jusqu’à attirer l’attention de la presse internationale après une opération policière au cours de laquelle 136 travailleurs avaient été libérés de l’esclavagisme. Le Procureur fédéral du Mato Grosso (MT) a condamné Chapéu ainsi que neuf autres personnes pour avoir envahi et utilisé à des fins privées, de terres publiques de la commune de Novo Mundo (MT), destinées à la Réforme agraire. En plus, il usait fréquemment de menaces à l’encontre des travailleurs ruraux et des membres de la CPT.

Une nouvelle conquête

En 2018, une décision de la Justice fédérale de la ville de Sinop a reconnu que la fazenda Recanto appartenait à l’Union fédérale et qu’elle devait être destinée à la Réforme agraire. Une mise sous tutelle de 2.000 hectares destinés à l’Incra - sur un total de 9.658 de cette immense propriété rurale - avait été anticipée.
Après l’anticipation de tutelle, l’Incra-MT a créé le Projet de Développement Soutenable (PDS) Nova Conquista II. Le projet a été la solution pour mettre fin aux conflits et à la violence qui existaient dans la région. Il a également permis de modifier la réalité du lieu qui, à cause de l’agrobusiness, des monocultures du soja et du maïs ainsi que de l’élevage bovin était devenu une région ayant perdu sa biodiversité.

Plantation de manioc sur le campement Boa Esperaça. Photo CPT/MT

Une nouvelle réalité

Les 96 familles installées par le PDS Nova Conquista II ont commencé à transformer cette réalité et à construire un nouveau monde. Aujourd’hui, sur le site, on trouve une production paysanne diversifiée, issue de l’agro-écologie [3] et de l’usage de graines traditionnelles. Les familles produisent des haricots, du riz, des bananes, du maïs, des patates douces, des potirons, des cornichons des Antilles, des gombos, des aubergines africaines, des courgettes, du poivre, des pastèques, des ananas, des pastèques, des fruits de la passion, du manioc, de la laitue, de la roquette, du cresson, du chou frisé, de la ciboulette et du persil. Elles élèvent également de petits animaux et des vaches à lait. Les aliments sont destinés à leur propre consommation et les excédents sont vendus sur un marché situé au centre de la municipalité. Ainsi, les produits de ces familles rurales se retrouvent-ils sur les tables des gens de la région de Novo Mundo.

L’idée de vendre les excédents au marché, résulte de l’initiative des femmes et de leur capacité à s’organiser. Au total 21 personnes, dont une majorité de femmes, vont vendre leurs produits au marché. Pour améliorer la vie de leurs familles, elles se sont organisées et sont allées de l’avant. Actuellement, le marché a lieu le mercredi et le dimanche. Selon la vendeuse Regina Barros, ce lieu de vente de l’excédent de la production n’est pas seulement un espace de commercialisation, c’est aussi "un lieu de distraction, où l’on peut connaître des gens, échanger des expériences, être reconnus et respectés par les gens de cette ville. Avant, on nous traitait de vagabonds, maintenant nous leur prouvons que nous sommes des travailleurs qui réclamons cette terre pour la travailler" dit-elle.

Selon la FAO, les petits agriculteurs produisent 80% de la nourriture du monde et jouent un rôle important en faveur du développement durable. Au Brésil, une étude réalisée par des chercheurs de l’UFPB et de l’USP, montre que les paysans produisent plus de 70% des aliments consommés localement.

Jardin potager de Boa Esperança. Photo : CPT/MT

Le travail en commun permet la récupération de la biodiversité et consolide la communauté.

Outre la production d’aliments, les familles du site Nova Conquista II œuvrent à la récupération des sources existantes sur la propriété (il y en a plus de 15). Leur dégradation a été causée par l’agrobusiness et la déforestation pratiquée par les anciens usurpateurs de terres de la propriété. Ces activités sont réalisées sous forme de "mutirão [4] ", une pratique que la communauté a adopté à partir du moment où elle a obtenu le droit de propriété de la terre.

Après de nombreux moments de lutte, de résistance et de pression exercés sur les instances responsables de la Politique publique de réforme agraire, la création du PDS Nova Conquista II a mis fin aux conflits et a également changé la vie de plus de 200 personnes, enfants, adolescents, jeunes adultes et personnes âgées. Depuis leur arrivée sur le site, le degré de vulnérabilité sociale a diminué et la situation économique des familles s’est améliorée. En dépit de toutes les difficultés auxquelles elles doivent faire face, aujourd’hui, les familles retrouvent la liberté, la dignité et la nourriture, "nous récupérons la plantation, encore petite, mais nous avons déjà réussi à mettre de la nourriture sur la table" nous dit, le visage souriant, Jesus en montrant ses pieds de bananiers.

Ouvrières et ouvriers ruraux du PDS Nova Conquista II montrant qu’une nouvelle vie est possible. Photo : CPT

La nouvelle réalité des familles installées à Nova Conquista II est la preuve qu’il existe une solution viable à la situation tragique des familles du campement Boa Esperança. Un fait mérite d’être relevé, le coût peu élevé pour l’État de la création d’un projet d’assentamento , une fois que le site possède tous les éléments nécessaires à l’implantation du Projet de développement durable. Selon les informations transmises par l’Incra MT à la Commission pastorale de la terre du Mato Grosso (CPT – MT), le coût pour le gouvernement fédéral, de l’installation des 96 familles du PDS Nova Conquista II a été extrêmement bas, un peu plus de 24.000 R$ [5], somme qui a été utilisée pour payer les indemnités journalières des agents de l’Incra qui ont délimité les lots. Et même les jalons utilisés ont été fabriqués par les familles réunies en mutirão, tout comme le travail manuel de démarcation des lots.

Généralement, le coût moyen pour installer une famille sur un terrain désapproprié est supérieur à 150.000 R$. Mais avec l’appui du travail réalisé en mutirão par les intéressés, le coût diminue de manière drastique. Ceci contribue à démentir la position actuelle de l’Incra du Mato Grosso qui dit qu’il n’y a pas d’argent pour la création de nouveaux assentamentos.

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Cet exemple concret du PDS Nova Conquista II ne fait que confirmer qu’il existe des solutions pour mettre fin aux conflits violents et à l’occupation illégale des terres dans le Mato Grosso. Ce qui fait vraiment défaut, c’est une action effective des agences et du gouvernement de l’État pour assumer leur rôle, garantir que les droits sociaux des familles soient respectés et que les décisions de la Justice fédérale soient exécutées.

* Caio Barbosa est membre du service d’information de la CPT nationale

Voir en ligne : Um novo mundo no lugar da “velha” grilagem

Photo de couverture : Lieu de réunion des familles de l’acampamento Boa Esperança, suite à l’occupation de ces terres en mars dernier. Photo CPT/MT

[1’Gleba’ désigne un morceau de terre où s’exerce une activité agricole. La Gleba de Nhandú appartient à l’État brésilien, d’une superficie de 211.000 hectares, proche da la rivière Nhandú au nord de l’État du Mato Grosso - frontière Sud du Pará.

[2Selon l’article 149 du code pénal brésilien « le travail analogue à celui de l’esclave » - l’esclavagisme - est caractérisé par les conditions dégradantes du travail qui mettent en danger la santé physique et mentale et la vie du travailleur, la surcharge de travail, le travail forcé, l’isolement géographique qui l’empêche de fuir.

[3Il s’agit d’une forme d’agriculture durable qui reprend les conceptions agronomiques antérieures à la « révolution verte ». Elle incorpore les questions sociales, politiques, culturelles, énergétiques, environnementales et éthiques.

[4Traditionnellement, le mutirão est un type d’activité où les personnes d’une communauté réalisent bénévolement une tâche au profit d’une personne de la communauté, d’un groupe de personnes ou encore en faveur de l’intérêt général.

[5l’époque, environ 6.000 euros

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