Les mères n’ont pas été informées par les autorités sanitaires que les corps des bébés ont été enterrés dans des fosses communes du cimetière Campo da Saudade, à Boa Vista, la capitale de Roraima. Le corps d’un quatrième bébé Sanöma, né prématurément et atteint d’hydrocéphalie, a été retrouvé par les enquêteurs d’Amazônia Real à l’IML de Boa Vista.
Article mis à jour le 29/06/2020 : Ce texte a été mis à jour car le Secrétariat municipal de Boa Vista n’avait pas, le 26 juin, informé que parmi les trois bébés qui sont morts de la Covid-19 à l’hôpital Materno Infantil Nossa Senhora de Nazaré, un seul appartient au sous-groupe Sanöma, de l’ethnie Yanomami. Dans une note envoyée le lundi 29, la mairie de Boa Vista, qui a corrigé les informations du secrétariat, a indiqué qu’outre le bébé Sanöma, les deux autres décès étaient ceux d’enfants de l’ethnie Macuxi.
Dans un entretien avec Amazônia Real, Dario Kopenawa Yanomami, directeur de Hutukara Association Yanomami (HAY), a déclaré que les mères des enfants souffrent beaucoup de la mort de leurs enfants et veulent que les corps soient retirés des tombes du cimetière de Boa Vista pour être ramenés en Terre Indigène et pouvoir procéder au rituel funéraire de la culture yanomami dans les villages. Il a déclaré que les mères n’étaient pas au courant des inhumations et n’ont même pas été consultées par les autorités de Roraima. "Pour elles, les enfants sont toujours portés disparus", dit-il.
"Nous ne savons pas où nos proches sont enterrés, dans quel cimetière, à quel endroit. C’est un peu difficile, nous sommes inquiets. Puisque Hutukara représente les Yanomami, nous avons le droit de savoir, de demander des informations, des éclaircissements, nous exigeons des explications", a déclaré Dario Yanomami, notant que Hutukara a transmis la lettre au Ministère public fédéral (MPF) et attend une réponse. "Nous attendons leur positionnement sur cette question". Hutukara n’a pas divulgué les noms des mères.
Le reportage publié le 5 juin par le réseau Pro-Yanomami et Ye’kwana a annoncé la mort des quatre bébés. À ce moment-là, l’enquête parlait de deux décès de bébés du nouveau coronavirus et de deux autres décès, suspectés de Covid-19.
Le réseau Pro-Yanomami et Ye’kwana a déclaré que le premier décès d’un enfant, enregistré le 29 avril, était celui d’un nouveau-né à l’hôpital Materno Infantil Nossa Senhora de Nazaré, à Boa Vista. La mère Yanomami, qui est originaire de la région de Catrimani, a été testée positive au Covid-19. Selon l’organisation, l’enterrement de l’enfant dans le cimetière obéissait à la norme de biosécurité, sans la crémation traditionnelle dans le village, comme le veut le rituel funéraire de la culture yanomami. Les trois autres enfants morts sont issus de familles du sous-groupe Sanöma, de la région d’Auaris, également à Roraima.
Mercredi 24, dans un entretien avec la journaliste Eliane Brum, En Amazonie, les mères yanomami supplient pour les corps de leurs bébés, chroniqueuse pour le journal El País, une des mères des enfants sanöma a déclaré qu’elle voulait que le corps de son fils retourne au village.
"J’ai souffert pour avoir cet enfant. Et je souffre. Mon peuple souffre. Je dois ramener le corps de mon fils au village. Je ne peux pas rentrer sans le corps de mon fils." Les répercussions de cet entretien ont été considérables et l’hashtag #criançasyanomami s’est retrouvé en tête des sujets les plus lus sur Twitter ce vendredi 26.
Où sont les enfants Yanomami ?
Boa Vista, la capitale de Roraima, compte un peu plus de 280 000 habitants et deux cimetières : un public et un privé. Après notre entretien avec Dario Kopenawa Yanomami, qui a déclaré que les mères ne savaient pas où se trouvaient les enfants Yanomami, le reporter d’Amazônia Real est allé sur le terrain, en veillant à la sécurité de la prévention contre laeCovid-19, pour trouver les tombes des bébés.
Trois jours de recherches - les 26, 27 et 28 juin - ont été effectués entre le cimetière Campo da Saudade et l’Institut médico-légal (IML) pour confirmer la localisation des corps des enfants. Les noms des parents des enfants ne seront pas divulgués en respect de la culture et du deuil du peuple yanomami.
Le vendredi 26, les reporters ont trouvé, dans le cimetière privé de Campo da Saudade, la tombe du bébé Yanomami, de sexe masculin, qui est mort d’une insuffisance rénale et respiratoire aiguë et d’une pneumonie foudroyante, le 29 avril, un jour après sa naissance à l’hôpital Materno Infantil Nossa Senhora de Nazaré. Sa mère a été testée positive au Covid-19. Le corps du bébé n’a été enterré que trois semaines après sa mort, le 20 mai, selon les documents auxquels les reporters ont eu accès.
La deuxième tombe d’un enfant yanomami, trouvée lors du reportage le samedi 27, lors d’une autre recherche au cimetière Campo da Saudade. Le bébé de sexe masculin était âgé de deux mois lorsqu’il est mort, le 25 mai, d’une insuffisance rénale aiguë et suspecté d’être atteint du Covid-19, à l’Hôpital pour enfants Santo Antônio, administré par la mairie de Boa Vista. Selon le document du cimetière, l’enterrement a eu lieu à 15h50.
Toujours le samedi, les reporters ont trouvé la troisième tombe. Le bébé, de sexe masculin, également Sanöma, est mort trois jours après sa naissance d’une infection néonatale. A l’Hôpital pour enfants, il aurait été suspecté d’avoir été atteint du Covid-19. Il a également été enterré à Campo da Saudade, le 25 mai, à 20h15, à côté du corps du premier bébé sanöma.
Entre samedi 27 et dimanche 28, ce reportage a également permis de localiser le corps du quatrième bébé yanomami, à l’Institut médico-légal (IML) de Boa Vista. Selon le Conseil du district de santé yanomami (Condisi-Y), l’enfant, né prématurément et atteint d’hydrocéphalie, est mort le 1er mai. Son corps a été transporté à l’IML, où il doit encore se trouver. Il sera remis à sa famille car il a été testé négatif au Covid-19. Ainsi, selon l’IML, le corps peut être transféré sur la Terre Indigène Yanomami car il ne met pas la population en danger de contamination par le coronavirus. Le sexe de l’enfant n’a pas été communiqué.
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Anselmo Martinez, administrateur du cimetière de Campo da Saudade, a expliqué la procédure d’enlèvement des corps du site. "Il n’est possible de retirer des corps enterrés que par voie judiciaire ou après avoir attendu la durée minimale d’exhumation, qui est de trois ans pour les adultes et de deux ans pour les enfants et les nouveau-nés", a-t-il déclaré. Il a affirmé que les trois bébés yanomami ont été enterrés dans des tombes attribuées gracieusement par le Secrétariat du travail et de la protection sociale de Roraima.
Une infâme négligence
Ce n’est pas la première fois que des parents du peuple Yanomami ne sont pas informés par les autorités sanitaires de l’enterrement de leurs enfants dans les cimetières de Boa Vista.
Le premier cas du nouveau coronavirus chez les Yanomami a été enregistré chez un jeune de 15 ans dans la municipalité d’Alto Alegre, une région à forte présence d’orpailleurs dans la rivière Uraricoera, dans l’Est de Roraima. Il a ressenti les premiers symptômes de la maladie le 18 mars. Il est passé par différents centres de traitement et a même été libéré d’un hôpital. Ce n’est que le 6 avril qu’il a été testé positif au Covid-19. Il est décédé trois jours plus tard à l’Hôpital général de Roraima, dans la capitale.
Les parents du jeune yanomami n’ont pas été informés par les autorités du ministère de la Santé de l’enterrement de leur fils, qui a eu lieu dans la nuit du 9 avril au cimetière Campo da Saudade, à Boa Vista.
À cette occasion, Dario Yanomami a déclaré à Amazônia Real que les autorités manquaient de respect et de connaissances des cérémonies traditionnelles de la culture indigène. L’affaire a été dénoncée au Ministère public fédéral [1] (MPF).
"Les parents, même en étant à Boa Vista, n’ont pas été informés de l’enterrement. C’est regrettable et nous demandons des explications", a-t-il déclaré.
Pour l’anthropologue français Bruce Albert [2], enterrer une victime du peuple Yanomami sans le consentement de ses proches "démontre une grave faute d’éthique et un manque absolu d’empathie de la part des autorités sanitaires envers l’impuissance de ce peuple face à la pandémie de Covid-19. De plus, disposer d’un défunt sans rituels funéraires traditionnels constitue, pour les Yanomami, comme pour tout autre peuple, un acte d’inhumanité et donc d’infamie".
Selon le Conseil national de la justice (CNJ), l’Ordonnance conjointe n°1 du 30 mars 2020 a établi des procédures exceptionnelles pour l’inhumation et l’incinération des corps lors de la situation de pandémie de coronavirus en raison d’exigences de santé publique. Cette ordonnance a pris en compte "la nécessité de prévoir l’inhumation en raison des mesures de biosécurité, du maintien de la santé publique et du respect des droits légitimes des proches de la personne décédée dont l’inhumation est prévue. Dans tout le pays, les hôpitaux signalent aux familles le décès de leurs proches. Les enterrements ont lieu en présence de quelques membres de la famille. Dans le cas des Yanomami, les informations sur les enterrements n’ont pas été données et cela est récurrent.
La Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) [3], en prenant position sur l’enterrement du jeune homme de 15 ans sans le consentement de ses parents Yanomami au cimetière de Boa Vista, a déclaré être en contact avec l’Agence nationale de surveillance de la santé (ANVISA) et a envoyé une note à la rédaction de ce reportage.
Ce qu’en disent les autorités
"La FUNAI s’est entretenue avec Dario Yanomami, qui a demandé des éclaircissements sur la possibilité de rendre le corps à la communauté pour les rituels funéraires. La Fondation a indiqué qu’en raison de mesures de santé publique, il ne pouvait y avoir de rituels funéraires et que le corps était sous la responsabilité de l’ANVISA", a déclaré l’organisation de défense des populations autochtones.
La FUNAI a également déclaré qu’elle menait un dialogue avec les dirigeants autochtones pour expliquer les raisons pour lesquelles les rituels funéraires ne sont pas autorisés en ce moment en raison de la pandémie.
Sur la question des enterrements qui ont eu lieu sans le consentement des autochtones, leur causant beaucoup de souffrances, la Fondation a déclaré : " en ce moment, la mission de la FUNAI est avant tout de conseiller les Autochtones, leur apportant des informations permettant d’apaiser et clarifier sur le danger du retour du corps dans la communauté en ce moment ".
À Boa Vista, l’ANVISA ne s’est pas prononcée sur les funérailles des Yanomami.
Contacté par ce reportage, le MPF de Roraima a envoyé une note informant qu’il a ouvert une procédure d’enquête pour s’assurer que les recommandations médicales et les conseils des experts sanitaires sont suivis, mais qu’ils prennent en compte le droit de deuil des peuples autochtones dans leurs rituels particuliers.
"Des réunions ont été organisées avec des dirigeants autochtones, la défense civile, la surveillance sanitaire, des anthropologues et des responsables sanitaires, et des demandes d’information et de soutien technique ont été faites afin de garantir le respect des pratiques culturelles autochtones autant que possible dans le contexte actuel de la pandémie de Covid-19".
Le MPF a confirmé que trois enfants Yanomami sont morts du Covid-19 et ont été enterrés dans le cimetière de Campo da Saudade. "Un autre décès, sans lien avec le Covid-19, attend d’être libéré pour retourner dans sa communauté d’origine avec ses parents."
Le MPF a déclaré qu’il continue à suivre toutes les nouvelles de décès autochtones pour garantir l’identification du corps et le retour ultérieur sur les Terres Indigènes lorsque la situation sanitaire sera rétablie et si la communauté d’origine le souhaite.
Amazônia Real s’est adressée au Secrétariat municipal de la santé, responsable de l’Hôpital pour enfants Santo Antônio, où trois enfants du sous-groupe Sanöma sont morts. L’information officielle donnée au reportage, le 26 juin, ne spécifie pas les ethnies des enfants. "Les enfants ont eu tout le soutien nécessaire et parce qu’ils sont Yanomami, il y a un échange de procédures de l’hôpital pour enfants de Santo Antonio avec le Dsei Yanomami, qui est activé", a déclaré le secrétariat, en informant que l’enterrement est sous la responsabilité du District sanitaire spécial indigène Yanomami (Dsei-Y) [4].
"Jusqu’à présent, huit enfants autochtones ont été testés positifs au Covid-19, et trois d’entre eux sont morts. Toutes les procédures liées aux décès sont notifiées dans le registre des événements du service social de l’hôpital. Les familles des victimes sont accompagnées par la coordination indigène de l’hôpital jusqu’à ce que le corps soit remis au Dsei Yanomami", a déclaré le secrétariat.
Ce reportage a contacté Antonio Pereira, coordinateur par intérim du Dsei Yanomami, sous l’égide du ministère de la Santé, qui n’a pas voulu commenter les enterrements des enfants yanomami et sanöma sans le consentement des familles. Le Dsei a indiqué que 150 autochtones ont été contaminés par le Covid-19 et que quatre décès ont été enregistrés.
Selon les statistiques du réseau Pro-Yanomami et Ye’kwana, 168 autochtones ont été infectés par le coronavirus et cinq en sont morts - trois d’entre eux étant suspectés de contamination. Parmi les cas confirmés, 80 se trouvaient à la Maison d’appui à la santé indigène (Casai-Y), à Boa Vista, et 24 cas ont été enregistrés sur le territoire autochtone, qui est envahi par plus de 20 000 orpailleurs, selon Hutukara.
"Je ne veux pas rentrer seule", dit la mère à propos du bébé
Le Conseil du district sanitaire indigène Yanomami et Y’ekuana (Condisi-Y), qui suit l’affaire, a déclaré à Amazônia Real, qu’il demanderait au MPF d’effectuer une enquête sur les circonstances de la mort des enfants yanomami. "Nous voulons savoir s’il y a eu négligence, de la part de l’hôpital, des médecins", a déclaré Junior Yanomami, président de Condisi-Y.
Ce dimanche 28, le Condisi-Y a lui-même publié une vidéo de deux mères sanöma exigeant le retour de leurs enfants. Les paroles des mères, qui pleuraient beaucoup, ont été traduites par Nelson Sanöma.
"Je veux vous parler, à vous qui êtes une autorité. J’ai besoin que vous m’aidiez. Ne permettez pas que mon angoisse augmente. Le 11, quand je rentrerai, je ne veux pas rentrer seule, parce que cette question du retour, sans le corps de mon fils, est très difficile. C’est trop dur pour moi. Je suis venue ici avec mon bébé, j’ai besoin que vous m’aidiez à le ramener", a déclaré la mère sanöma.
Dario Kopenawa Yanomami a déclaré que depuis la mort de l’adolescent de 15 ans, l’association Hutukara s’est opposée aux enterrements dans les cimetières de Boa Vista, notamment en organisant des réunions avec le MPF et d’autres fonctionnaires et en intentant un procès.
"Donc maintenant, ce procès est avec le MPF et sera analysé. La façon de déterrer nos proches qui ont été enterrés est très complexe. Le jeune homme a été victime de Covid-19. D’autres enfants sont suspectés d’être atteints de Covid-19. C’est une question très complexe. Nous avons déjà envoyé cette demande de clarification. Les organismes publics l’étudient et nous espérons le résoudre. Combien de jours et combien de mois ? Nous allons attendre les corps de nos proches".
Les Yanomami vivent sur un territoire de 9,6 millions d’hectares situé entre les Etats d’Amazonas et de Roraima, dans la région située entre les fleuves Orénoque et Amazonas. La population est estimée à plus de 26 000 personnes. Il y a plus de 300 communautés. Le groupe ethnique compte quatre sous-groupes qui parlent des langues de la même famille : Yanomae ou Yanomama, Yanomami, Sanöma, Yawari, Waika, Yanomami, Xirixana et Ninam. Selon Hutukara, l’ensemble culturel et linguistique est composé de neuf langues yanomami et de la langue ye’kuana, également présente sur le territoire.
Les Sanöma vivent dans la région d’Awaris, dans la Terre Indigène Yanomami, dans les forêts de montagne de l’extrême Nord-Ouest de Roraima. Ils sont d’excellents producteurs de champignons, un produit du système agricole Yanomami. Chasseurs et cueilleurs, les Sanöma ont une grande connaissance de la biodiversité de leur territoire.