Au Brésil, la Justice Militaire gagne du terrain sur le civil.

 | Par Arthur Stabile, Ponte Jornalismo

La justice militaire accepte la demande d’une entité qui tente de libérer les Policiers Militaires (PMs) des enquêtes via « l’inconstitutionnalité » de la règle sur la compétence donnée aux agents.

Traduction de Rosemay JOUBREL pour Autres Brésils
Relecture par Tristan GRINDARD

Depuis 2015, une recommandation du Secrétariat de la sécurité publique de São Paulo confie à la police civile la responsabilité de recueillir les preuves des décès commis par la police militaire. Jeudi (9/7), le juge militaire Ronaldo João Roth, du tribunal militaire de São Paulo, a estimé que la décision était en contradiction avec les lois militaires et a ouvert la possibilité aux officiers de la Police Militaire (PM) de recueillir également ces mêmes preuves. La décision entrouvre un espace pour les conflits entre les corporations.

Roth a analysé au tribunal une demande faite par Defenda PM, une entité qui promet de débarrasser des enquêtes policières ceux qui ont tué en service, comme l’a déjà dit Ponte. Le collectif a demandé que la résolution du Secrétariat de la sécurité publique du SP n ° 40, 2015, soit considérée comme illégale. Parmi les actions irrégulières, on trouve la collecte de preuves concernant la mort de civils, ladite « mort due à l’intervention de la police ».

Le texte de la recommandation, faite par le Secrétaire d’État à la sécurité de l’époque et aujourd’hui ministre de la Cour fédérale suprême, Alexandre de Moraes, définissait que l’appréhension des preuves dans les décès commis par des PM devrait être faite exclusivement par le DHPP (Département des homicides et de la protection de la personne), de la police civile, et non plus par des agents de la PM, comme c’était le cas auparavant.

Defenda PM considère cette détermination comme un affront au Code de procédure militaire puisqu’elle ignore l’article 9. La loi décrit les crimes militaires en temps de paix, avec le point 2 qui contextualise la pratique de l’acte commis « par des militaires en service ou agissant en raison de leurs fonctions ». Ainsi, la préservation du site et la collecte de preuves relèveraient de la responsabilité des officiers supérieurs de la police militaire et non de la police civile.

Au Tribunal de Justice Militaire [1] (TJM) l’entité policière a fait valoir que la résolution de la Sécurité Publique de São Paulo (SSP), lorsqu’elle transfère une telle affectation à un délégué de la police (un membre de la Police Civile), elle allait à l’encontre des lois militaires du pays, législation au-dessus des réglementations régionales, telles que les résolutions du secrétariat. Elle soutient comme thèse que les officiers de la police militaire, détenteurs du pouvoir de la police judiciaire militaire, devraient être responsables de la collecte des preuves.

Le juge militaire Ronaldo João Roth s’est aligné sur ce compromis et a accordé l’habeas corpus, libérant tous les PM de São Paulo de se conformer à la recommandation du SSP. Il considère que le texte est inconstitutionnel puisqu’il donne des directives différentes du Code Pénal Militaire. Le juge cite l’article 12 du Code de Procédure Pénale Militaire, dont le paragraphe B détermine comme fonction de l’officier de la PM « de saisir les instruments et tous les objets liés au fait » lorsqu’un crime militaire est constaté.

Roth converge avec la Defenda. "En d’autres termes, la résolution SSP 40/15 ne s’applique pas aux procédures judiciaires disciplinées dans le CPPM (Code de Procédure Pénale Militaire), en particulier elle ne dénature pas, elle ne modifie pas et encore moins révoque l’article 12", dit-il. Il définit également comme « illégale » et « abusive » la possibilité de punir les policiers qui ne se conforment pas à la résolution. Selon la résolution, les PMs qui ne la suivent pas sont susceptibles d’en répondre pour désobéissance.

Doutes sur l’application.

La décision de Roth a des interprétations différentes. Les membres de la justice et de la police civile la jugent totalement déraisonnable, tandis que les officiers de la police militaire de la réserve la classent strictement dans la loi. Le point commun est qu’il peut y avoir un impact dans la pratique, à la fois dans l’intégrité des enquêtes - car elles sont menées par le même organe enquêté par le crime - et dans le conflit de compétences.

Présidente du Sindpesp (Syndicat des Officiers de Police de l’État de São Paulo), Raquel Kobashi définit la décision comme « incohérente et non fondée » et hors de la compétence de la Cour. Pour elle, l’évaluation doit être faite par la justice commune et non par les militaires. « Le citoyen qui subit les violences pratiquées par la police militaire mérite d’être accueilli par une institution étatique et une autorité impartiale, à savoir la police civile et le délégué de la police », soutient-elle.

Selon la déléguée, les policiers militaires qui suivent l’autorisation du juge peuvent faire l’objet d’une fraude procédurale (peine de 3 mois à 2 ans de prison), de coercition au cours de la procédure (emprisonnement, d’un à quatre ans) et d’usurpation de fonction publique (deux à cinq ans de prison). "S’ils le font, ils commettront des crimes et devraient donc être tenus pour responsables", a-t-elle précisé.

En outre, Kobashi remet à nouveau en question le fait que les policiers militaires participent aux processus d’enquête sur les décès commis par d’autres policiers militaires, ne serait-ce que partiellement. Il ressort qu’il appartient à la justice commune, à travers le tribunal du jury, de juger les décès de civils commis par des PM.

"Il n’est pas approprié, par exemple, que l’officier de police militaire qui pratique la torture contre un civil soit jugé par ‘sa’ "justice militaire", dit-elle, mettant en cause l’indépendance d’une éventuelle enquête. « La PM doit se préoccuper davantage de la prévention criminelle qui, à São Paulo, laisse beaucoup à désirer », critique-t-elle.

La juge Ivana David, du Tribunal de justice de São Paulo, a le même raisonnement en ce qui concerne l’organe chargé d’évaluer le texte. Pour elle, ce n’est pas de « la compétence du Tribunal [militaire] saisi d’analyser les actes normatifs qui n’ont pas émané d’organes militaires », en se référant de même à la résolution du SSP de São Paulo.

Ivana cite le point 4 de l’article 125 de la Constitution, sur l’organisation des pouvoirs. Le texte mentionne qu’il est de la compétence des tribunaux militaires de juger les crimes, "à l’exception de la compétence du jury lorsque la victime est un civil". Dans de tels cas, le jugement est de la justice commune. En incluant dans la liste les décès commis par les PMs, David nie qu’il soit de la responsabilité de la justice militaire de déterminer qui participe au processus d’enquête.

« La Constitution fédérale et les lois ordinaires enseignent que la compétence d’enquêter et de juger un crime d’homicide intentionnel commis par un officier de police militaire en service contre des civils appartient à la Police Civile et à la Justice de l’État », définit-elle. Concernant le risque de conflits de compétences entre les délégués et les officiers de la PM dans la même enquête, l’un basé sur la résolution du secrétariat et l’autre sur la décision du TJM, la juge précise que « le SSP doit adapter la situation dans les rues. »

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Selon le lieutenant-colonel à la retraite de la PM de São Paulo Adilson Paes de Souza, le juge Roth s’est appuyé exclusivement sur les lois militaires pour libérer les PMs de la collecte de preuves et de la préservation des scènes de crime par les policiers. Selon lui, la décision a du sens.

« L’article 9 du Code pénal militaire dispose qu’un crime militaire est un crime commis par la personne en service ou agissant en raison de ses fonctions. Tuer au travail, selon la loi, est un crime militaire », s’interroge-t-il. De ce point de vue, il appartiendrait au Tribunal Militaire de Justice de se pencher sur les acteurs responsables et leurs rôles dans le processus d’enquête.

Le doute d’Adilson sur la détermination de Roth réside dans l’ampleur de la décision. Selon lui, il est possible que l’habeas corpus du juge militaire suscite des réactions de la part des avocats qui défendent les PMs. Maintenant comme dans le passé. "Les défenseurs peuvent considérer que les enquêtes et la collecte de preuves effectuées pendant la validité de la résolution comme des actions entreprises par une autorité qui n’avait pas la compétence pour un tel acte", pense-t-il. De cette manière, le processus pourrait être invalidé ou réanalysé.

En outre, il se demande si la décision sera mise en pratique par les PMs à São Paulo. Comme l’a découvert Ponte, le secrétaire exécutif du PM de São Paulo, le colonel Álvaro Camilo, a adressé un message au secrétaire exécutif de la Police Civile, Alberto Yousseff, sur le sujet et en maintenant ce qui est mis en pratique.

Le message envoyé à Camilo dit que les troupes suivront la résolution 40 de 2015 même avec la décision du TJM publiée vendredi (10/7). Il déclare encore que la décision de Roth est une « initiative isolée, à l’insu du Commandement de la Police Militaire ».

Le lieutenant-colonel Adilson et le juge Ivana estiment que la décision ouvrira une brèche pour que la police suive la décision et seuls les officiers de la PM recueillent des preuves de décès commis par des policiers militaires en service.

"Oui [cela permet une utilisation pratique]. Ensuite, au cas par cas, il appartiendra à la Justice Commune d’ouvrir les enquêtes policières", précise la magistrate. « La possibilité est réelle, aussi réelle que l’impact à analyser dans les actions précédentes prises sur la base de la résolution », déclare Adilson.

Ponte a interrogé le SSP sur la résolution et attend son positionnement. La PM a affirmé qu’« elle évalue l’adoption des mesures juridiques applicables par rapport à la décision ». Le Ministère Public de São Paulo de son côté a préféré ne pas prendre position. "Le MPSP informe qu’en ce moment, il évalue les fondamentaux de la décision du Tribunal Militaire de Justice et sa portée", dans une note envoyée par le bureau de presse de l’agence.

Voir en ligne : Decisão que permite a PMs recolherem provas de seus crimes abre espaço para conflitos com Polícia Civil

Photo de couverture : MST © Midianinja

[1Organisme étatique qui statue exclusivement sur les crimes commis par la police militaire

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