Au Brésil, la Coupe est pleine !

 | Par Stéphane Monclaire

Il y a sept ans, le Brésil était choisi par la FIFA pour être le pays hôte de l’édition 2014 de la Coupe du monde de football. La nouvelle avait alors été accueillie avec enthousiasme. Pourtant, dès 2013, la ferveur a souvent laissé place à l’amertume.

Au point qu’une large majorité de brésiliens, dans un sondage récent, estimait que la Coupe, sur le plan extra-sportif, allait générer pour leur pays plus de préjudices que d’avantages. Divers collectifs militants ont d’ailleurs promis de manifester aux abords des stades les jours de match. De son côté, à moins d’un mois de l’ouverture du Mondial, la presse internationale s’inquiète et s’effraye des violences et de l’insécurité que connaissent les villes où il se disputera.

Entretien avec Stéphane Monclaire, maître de conférence à l’université Paris 1 (Sorbonne) et chercheur au CREDA pour tenter d’expliquer ces mécontentements, préciser le coût économique réel de cette édition 2014, analyser les problèmes de sécurité, leur possible impact sur le déroulement du Mondial et sur les élections d’octobre prochain.

Voici la première partie de l’entretien, la seconde, sera mise en ligne très bientôt.

Illustration : Latuff

Autres Brésils : Beaucoup de brésiliens considèrent que trop d’argent a été dépensé pour la Coupe du monde. Ont-ils raison de penser que cette Coupe est chère ?
Stéphane Monclaire : En valeur absolue, c’est-à-dire à regarder uniquement les dépenses qu’elle a occasionnée, oui incontestablement. Mais on ignore encore quelles seront exactement les retombées économiques directes et indirectes à court et surtout à long terme.

Autres Brésils : Pour l’instant à combien se montent ces dépenses ? Les chiffres avancés ici et là sont loin d’être identiques.
SM : Le plus souvent c’est parce que les postes de dépenses observés ne sont pas les mêmes. Commençons donc par les stades. Il y en a douze et c’était le nombre promis en 2006 par le président Lula lorsque son pays peaufinait sa candidature auprès de la FIFA pour l’organisation de ce Mondial. Ensemble ils étaient alors censés coûter 2,8 milliards de reais. Ce chiffre était sans doute volontairement minoré, afin de ne pas effrayer les brésiliens et montrer ainsi à la FIFA que la candidature du Brésil était soutenue par sa population. Une fois cette candidature acceptée, le Comité organisateur [placé sous la tutelle du gouvernement et donc de la présidence de la République] lança la procédure du choix des villes et des stades dans lesquelles les matchs seraient disputés. Dix-huit villes postulèrent. Chacune d’elles faisait déjà partie de la liste des villes-sièges pressenties qui avait été présenté à la FIFA lors de la candidature du Brésil. Dix huit villes appartenant chacune à une unité fédérative distincte ; le Brésil comptant vingt-six Etats fédérés et un District fédéral. Au printemps 2009 douze de ces dix-huit villes furent retenues. Parmi elles il y a quatre capitales d’Etats fédérés de la région Nordeste : Fortaleza, Natal, Recife et Salvador. Il y a aussi deux des trois capitales de la région Sud : Porto Alegre et Curitibá. Le centre et le nord du pays n’ont pas été oublié : la capitale fédérale bien sûr, c’est-à-dire Brasília ; Cuiabá, centre de l’agro-business brésilien en tout cas de celui du soja ; et Manaus, principale ville d’Amazonie. Enfin, trois des quatre capitales de la région sud-est, la plus riche du pays : Belo Horizonte, São Paulo et Rio de Janeiro. Ce double principe de refuser qu’une même ville ou qu’une même unité fédérative puisse avoir le privilège d’avoir au moins deux stades pour la Coupe du monde, n’a évidemment pas été sans conséquence économique.

Autres-Brésils : Sur ces douze stades, tous ne sont pas totalement neufs.
SM : C’est exact, puisqu’en 2009 fut décidé que seuls deux seraient créés de toute pièce : l’Arena Pernambuco à Recife et l’Arena Corinthians à São Paulo. Les dix autres existaient déjà mais ne correspondaient au cahier de charges de la FIFA, il convenait donc de les réaménager, parfois très profondément, comme par exemple pour le Maracanã à Rio de Janeiro, ou de les raser, comme à Manaus ou Cuiabá, pour laisser place à des stades flambants neufs. Faire du neuf avec du vieux n’a rien d’inédit. C’était, par exemple, déjà le cas pour la Coupe du monde 1998, disputée en France.


Autres-Brésils : Combien au total ces stades ont-ils couté ?

SM : Beaucoup plus que prévu. En janvier 2010, après que fut connu le projet architectural de chacun d’eux et de leurs abords respectifs, la Cour des comptes fédérale, appelée au Brésil TCU, estimait qu’il faudrait débourser 5,66 milliards de reais. C’était déjà le double de ce qui avait été indiqué en 2006 par Lula. Maintenant que ces douze stades sont achevés, on s’aperçoit que la facture est encore plus lourde : 8,05 milliards de reais, c’est presque trois fois le prix initialement annoncé et 42% de plus que les prévisions du TCU au début 2010.

Autres Brésils : 8 milliards de reais, cela fait à peu près 2,6 milliards d’euros…
SM : Attention aux conversions en monnaie étrangère ; elles sont source d’illusions. Certes au change actuel ça fait bien cela. Mais demain, si le real cède encore du terrain face à la devise européenne, cela fera moins. Regardez : fin mai 2013 il fallait 2,75 reais pour avoir un euro. Aujourd’hui, il en faut 3,10. En un an le real a donc perdu 13% de sa valeur face à la monnaie européenne. De sorte que si on calcule le coût des stades en fonction du change de l’an passé, on frôle les 3 milliards d’euros. Plus le réal se déprécie, plus les français ou les allemands ont donc l’impression que la facture n’est pas si élevée que cela. Mais en réalité elle l’est. Donc tâchons de raisonner en reais, en ayant en tête quelques repères permettant de mieux nous représenter ce à quoi correspondent ces 8 milliards de reais.


Autres Brésils : Par exemple ?

SM : C’est 4,7% de l’impôt sur le revenu versé par les ménages brésiliens en 2013 ou bien 3,6 fois le budget 2013 du ministère des Affaires étrangères, ou encore 12% de celui de la Défense toujours en 2013. Ça équivaut aussi à 32% des allocations versées l’an dernier aux bénéficiaires du fameux et très populaire programme Bolsa família. Ce n’est donc pas une petite somme.

Autres Brésils : Ces stades, au taux de change actuel, sont-ils plus chers ou non que ceux de dernières Coupes du monde ?
SM : Pris dans leur ensemble, oui. Les douze stades de la Coupe 2006 en Allemagne avaient au total couté 4,2 milliards de reais. Quatre ans plus tard l’Afrique du Sud a payé à peu près la même chose : 4,1 milliards ; mais elle n’avait que dix stades. Toutefois, attention ! N’oublions pas que les exigences de la FIFA vis-à-vis des pays organisateurs sont, de quatre en quatre ans, chaque fois plus nombreuses. Le cahier des charges est ainsi devenu très lourd. Cela biaise les comparaisons. Pour 2014 le Brésil a dû faire davantage que ce qui était imposé à l’Afrique du Sud en 2010, et celle-ci avait déjà fait plus que n’avait eu à faire l’Allemagne en 2006. C’est vrai, par exemple pour les écrans géants, les installations sanitaires, la toiture, les issues d’urgence et les abords immédiats des stades. Toutefois la FIFA n’est pas l’unique responsable de cet accroissement continuel des dépenses. Les pays hôtes sont aussi victimes de leurs propres agissements. Ils font des choix architecturaux et de matériaux qui élèvent fortement le prix de construction ou des aménagements.

Autres Brésils : Récemment quelques journaux brésiliens et des bloggeurs ont publié des statistiques, sur ce Mondial et les deux précédents, dans lesquelles le prix de chaque stade est divisé par le nombre de sièges, c’est-à-dire de places assises qu’il comprend. Quels commentaires vous inspirent-elles ?
SM : Pour qui aime faire des comparaisons dans le temps, cette méthode présente un gros avantage : elle permet contourner le double obstacle que constituent les différences de nombre de stades d’une Coupe à l’autre et les différences de gabarit de ces stades. Mais plusieurs Coupes c’est aussi plusieurs pays et donc plusieurs monnaies. On se heurte au problème de l’éventuelle variation de leur taux change d’un millésime à l’autre. Si on calcule en reais et en fonction de la valeur actuelle du real, on s’aperçoit que le prix par siège pour la Coupe 2014 est presque deux fois supérieur à celui constaté en Allemagne il y a huit ans : 12.123 reais contre 6.412 reais. Il est aussi supérieur de 72% à celui observé en Afrique du Sud il y a quatre ans. Ces écarts sont trop considérables pour provenir uniquement ou principalement des variations de la devise brésilienne dans le temps, puisqu’en huit ans le real ne s’est pas effondré face à l’euro, et puisque ces quatre dernières années il n’a pas non plus dévissé par rapport au rand. Le prix par siège, du Mondial 2014, est donc très élevé. C’est d’autant plus surprenant, vu le coût du travail au Brésil. Les salaires versés à la main d’œuvre, même qualifiée, y sont très modestes comparés à l’Allemagne. Ils sont aussi plus bas qu’en Afrique du Sud. Certes, pour construire ou aménager un stade, ce qui coute le plus cher ce n’est jamais la masse salariale ; c’est le reste. Mais le prix des matériaux ne peut avoir à ce point changé en quatre ou huit ans, sauf en ce qui concerne l’acier, pour expliquer une telle envolée du prix par siège. Et le cahier des charge n’a pas à ce point enflé pour justifier de tels écarts de prix par siège.

  • Télécharger l’intégralité de l’entretien sur le document PDF ci-dessous :

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