Attaques du 8 janvier : Braga Netto est un symptôme du coup d’État latent dans les forces armées

 | Par Rubens Valente

Source : Agência Pública
Par Rubens Valente – le 18 décembre 2024
Traduction : Lucca ROCHA
Relecture : Adrien SAINTY

Se fier au pouvoir judiciaire comme unique solution à une attaque militaire contre la démocratie est une erreur qui pourrait avoir de graves conséquences.

Il est évidemment nécessaire et souhaitable d’identifier et punir les militaires responsables du projet de coup d’État de 2022, mais ce serait un grand risque pour la démocratie que de compter sur le système policier et judiciaire comme seule issue possible à un problème politique profond.

C’est se tromper soi-même que de répéter les mensonges fantasques du ministre de la défense José Múcio. Selon lui - rappelant qu’il s’agit d’un homme politique de droite qui a été pendant 13 ans membre de l’Arena, le parti qui a soutenu la dictature civilo-militaire - il ne s’agit que d’une question de personnes, qu’il appelle les« CPF » [1], et non de l’institution des forces armées, la « CNPJ » [2]

En continuant à croire à cet argument simpliste, on ferme les yeux sur les signes omniprésents, et nous laissons le coup d’État latent parmi les militaires mijoter jusqu’à ce qu’un jour une nouvelle opération « Punhal Verde e Amarelo » (Poignard vert et jaune) devienne une réalité. Il sera alors trop tard.

Múcio ne semble pas se rendre compte que les institutions sont composées de personnes extrêmement puissantes dans le cas étudié par la Police fédérale et le Tribunal Supérieur Fédéral ; des personnes telles que des généraux, d’anciens ministres et un ancien commandant de la marine. Au Brésil en 2024, avec toutes les informations dont nous disposons, personne ne peut se permettre d’être naïf. L’abîme est bien plus profond.
Des spécialistes militaires ont fait savoir que beaucoup de choses devaient être changées au sein de l’armée afin d’éteindre, ou ne serait-ce que freiner, les aspirations au coup d’État. Dans une interview accordée à Agência Brasil en novembre dernier, Ana Amélia Penido, auteure d’un livre sur la formation militaire, a déclaré que l’éducation militaire, y compris ses programmes, devrait être subordonnée au ministère de l’éducation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

« Au Brésil, nous avons quatre systèmes éducatifs. Un pour l’armée, un pour la Marine, un pour l’armée de l’Air et un pour la fonction publique. Seul ce dernier est subordonné au Ministère de l’Éducation (MEC). Cette autonomie a été garantie par la Constitution fédérale et entérinée par la loi sur les orientations et les bases de l’éducation nationale. Si je ne me trompe pas, [l’historien] José Murilo Carvalho a utilisé l’expression « une nation dans la nation » pour souligner que les militaires s’organisent de manière autonome ».

La différenciation entre l’éducation civile et l’éducation militaire engendre « un sentiment de supériorité chez les militaires », c’est-à-dire l’idée qu’ils sont « meilleurs que les civils ». En d’autres termes, ils se croient plus aptes à conduire les destins du pays, même s’ils doivent de temps en temps fomenter un coup d’État, appelé par euphémisme « intervention ».

Une exagération de la part des chercheurs ? Il suffit de regarder la vidéo récemment produite et diffusée par la Marine, qui ridiculise la vie des civils brésiliens, montrés en train de faire la fête, de boire et de se promener, par contraste avec la vie prétendument dure de ceux qui portent l’uniforme. La vidéo est avant tout une « fake news » élaborée. Elle modifie la réalité pour créer un faux récit. Si la vidéo montrait un ouvrier prenant un bus bondé à l’aube à la périphérie des grandes villes pour travailler toute la journée pour un salaire minimum, qui a des privilèges et qui n’en a pas ?

L’absence de contrôle du pouvoir civil sur la formation des militaires est telle que le Ministère public fédéral (MPF) a récemment dû saisir la justice pour demander qu’une brigade de l’armée à Juiz de Fora (état de Minas Gerais) soit contrainte de recevoir des cours sur les violations des droits de l’Homme commises par la dictature civilo-militaire pendant 21 ans. En effet, cette brigade porte le nom de « 31 de Março » (31 mars), en l’honneur du coup d’État qu’elle a contribué à provoquer, avec le soulèvement de ses soldats en 1964 sur ordre du général Olímpio Mourão Filho (1900-1972).

Eh bien... Il est tout de même étonnant qu’en novembre dernier, l’Union, c’est-à-dire le représentant légal du gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva (Parti des travailleurs), ait déclaré au pouvoir judiciaire qu’il ne changerait pas le nom de la brigade, qu’il y avait déjà une matière sur les droits de l’Homme au programme et qu’il s’opposait à la création d’un « espace de mémoire » à la caserne, une autre demande du MPF.

Ce petit exemple montre à quel point le chemin qui mène au désir de coup d’État du général Walter Braga Netto est long et tortueux : il commence dans l’armée, mais passe par des gouvernements civils qui se présentent comme bien intentionnés.

Il passe également par le pouvoir judiciaire et le Tribunal Supérieur Fédéral. En 2020, le président du Tribunal de l’époque, Dias Toffoli, qui a déjà qualifié le coup d’État de 1964 de « mouvement », a annulé une décision judiciaire qui avait ordonné au ministère de la Défense de Bolsonaro de retirer une note qui qualifiait cyniquement le coup d’État de « jalon pour la démocratie brésilienne ». M. Toffoli a invoqué une « intrusion indue » du pouvoir judiciaire dans le pouvoir exécutif.

Le refus répété de l’armée de réexaminer leur passé de manière critique est également à l’origine du la tentative de coup d’État. Il en résulte une confiance dans l’impunité qui prévaut depuis la fin de la dictature. Rappelons le cas de l’ancien ministre de la Santé et général de réserve Eduardo Pazuello, qui n’a jamais été puni pour avoir participé à un acte politique aux côtés de Bolsonaro.

À la fin du mois dernier, dans son podcast « Oi, gente », l’historienne et anthropologue Lilia Schwarcz a souligné que « les militaires ne doivent pas être jugés uniquement par les militaires ».

« Cette [enquête de la Police fédérale au Tribunal Supérieur Fédéral] est un exemple que les institutions brésiliennes donnent aujourd’hui, presque à la fin de l’année 2024. Ce sont les institutions républicaines qui jugeront ces contingents militaires. Je ne dis pas ici que tous les militaires sont impliqués, ils ne le sont pas, comme j’ai commencé à le dire, mais il est impressionnant de voir combien de militaires agissent de cette manière, qui ne peut être considérée que comme un coup d’État. »

Il faut également que les organes civils de surveillance et de contrôle de l’Union s’attaquent systématiquement au refus des militaires d’agir de manière positive et moderne en matière de transparence publique. Lorsqu’il s’agit de protéger leurs activités, il est courant de voir les organes militaires recourir à l’excuse de la « souveraineté nationale », un argument vague qui peut être utilisé pour tout ce qui est secret. La banalisation du secret est une autre forme d’atteinte à la démocratie.

Comme l’ont récemment souligné deux experts, Maria Vitória Ramos et Bruno Morassutti, cofondateurs de “Fiquem Sabendo” [3], l’opacité institutionnelle « renforce l’indiscipline et la perception que tout est possible ».

« Chaque année, “ Fiquem Sabendo ” dépose des milliers de demandes d’accès à l’information pour toutes les branches du gouvernement. Lorsque ces demandes sont dirigées vers l’armée et le ministère de la Défense, tout devient plus difficile. Plus de 65 % des demandes d’information que nous avons adressées à ces organes entre 2023 et 2024 ont été rejetées », ont-ils écrit dans le journal "Folha de São Paulo".

À l’Agência Pública, nous avons souvent été confrontés au silence absolu des agences gérées par les militaires. L’un des cas les plus emblématiques concerne Braga Netto lui-même. Après avoir rejeté à plusieurs reprises la divulgation des documents, il a fallu attendre la fin du gouvernement Bolsonaro pour que nous ayons enfin accès aux comptes-rendus secrets d’un comité composé de 26 agences fédérales sur une question hautement publique, d’un intérêt public notable, rien de moins que la pandémie de Covid-19.

L’accès aux documents, précédemment refusé par Braga Netto, a donné lieu à une série de rapports sur des documents auxquels même la Commission parlementaire d’enquête sur le Covid n’avait pas eu accès. Dans l’un des textes, il est révélé que le général a personnellement donné des instructions aux membres du comité pour qu’ils ne créent pas de « panique dans la population » à propos de la mortalité causée par la Covid-19, conformément au négationnisme scientifique exprimé dans plusieurs discours de Bolsonaro.

Les militaires ont beaucoup de mal à gérer la liberté des journalistes indépendants qui critiquent le rôle des forces armées. Ils sont habiles dans leur communication « officieuse » avec les journalistes en qui ils ont confiance, mais extrêmement réfractaires lorsqu’ils sont confrontés à des questions gênantes. En juin 2022, ce journaliste de Pública a vu son écran d’ordinateur photographié par un officier militaire après avoir posé des questions inconfortables à un commandant de la région.

Le Bureau du contrôleur général de l’Union (CGU) devrait être à l’avant-garde de ce vaste processus d’ouverture des fenêtres des forces armées à la lumière du jour. Cependant, l’agence capitule souvent, accepte des arguments peu convaincants et, en ce sens, donne encore plus de pouvoir aux militaires qui opèrent pour obtenir moins de transparence dans ce qu’ils font.

Le bataillon des forces spéciales de Goiânia (état de Goiás), qui poursuit sans relâche sa routine énigmatique, secrète et mystérieuse, en est un exemple classique. En Allemagne, lorsqu’une radicalisation de l’armée vers la droite avait été détectée, le gouvernement a fait supprimer un commandement entier de ses forces spéciales.
Au Brésil, les changements mis en évidence ici concerneraient principalement le ministère de la Défense. Cependant, la stratégie de José Múcio a été de nier la volonté d’un coup d’État au lieu de l’affronter autant que possible. Le prix à payer pour cette erreur, disons-le, pourrait être terriblement élevé.

Ce comportement n’est pas propre à Múcio. Au cours des conversations que j’ai eues ces dernières années avec des personnes bien informées à Brasilia, j’ai été surpris par le type de négations qui ont été formulées : « l’armée ne peut pas faire de coup d’État », « les États-Unis n’autoriseront pas un coup d’État », « Bolsonaro ne peut pas diriger un coup d’État ». Ces arguments ne tiennent pas compte d’un fait fondamental présent dans plusieurs coups d’État du passé : une insurrection armée qui commence à petite échelle peut se répandre comme une traînée de poudre et devenir incontrôlable.

En 2022, le pays s’en est sorti, mais de justesse. Les autorités censées endiguer les velléités putschistes au sein des forces armées pourraient être à nouveau confrontées à ce danger : elles n’ont qu’à croiser les bras, qui sont déjà croisés.

Voir en ligne : Article original en portugais

[1Cadastre National de Personne Physique, un numéro d’identité fiscal individuel.

[2Cadastre National de Personne Juridique : numéro d’identification attribué aux entreprises par l’administration fiscale brésilienne.

[3« Sachez » en français, une organisation qui facilite l’accès aux informations publiques, notamment du gouvernement

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