Après"le Jour du feu", les bûcherons continuent de détruire l’Amazonie, menaçant les communautés établies

 | Par Daniel Camargos, Reporter Brasil

Paru le 29 octobre 2019, cette enquête de Reporter Brasil met en lumière les mouvements de camions chargés de grumes en provenance d’une zone interdite ont été pris en flagrant délit ; meurtres et menaces de mort vont marquant la vie des responsables locaux dans le Para.

Le 2 novembre 2019, nous apprenions l’assassinat de Paulo Paulino Guajajara, membre du groupe des « Guardiens de la Forêt », victime d’un guêt-apens tendu par les trafficants de bois. Le crime a eu lieu sur les terres indigènes Araribóia, dans la région du Bom Jesus das Selvas, dans l’État du Maranhão, voisin du Para.

Voici le reportage, réalisé avec le soutien de DGB Bildungswerk, dans le cadre du projet PN : 2017 2606 6/DGB 0014 et son contenu est la responsabilité exclusive de Repórter Brasil.

Traduction : Philippe ALDON pour Autres Brésils
Relecture : Du DUFFLES

Près de Novo Progresso, dans le Pará, des camions sont pris en flagrant délit de transport de bois illégalement extrait de zones d’habitation qui assurent la préservation de la forêt - obstacle aux intérêts des exploitants et des propriétaires de terres (Photo : Fernando Martinho / Reporter Brasil)

Une calebasse de maté à la main et un émetteur radio dans l’autre, un homme passe ses journées, assis dans une chaise longue sur le bord de la route BR-163, à Cachoeira da Serra (190 km de Novo Progresso, Pará), à prévenir les grumiers de la présence de véhicules des organismes de contrôle environnemental. A 150 kilomètres de là, Repórter Brasil a surpris, en flagrant délit, deux camions chargés de grumes volées dans la zone de peuplement de Terra Nossa, se dirigeant vers la route nationale, dont les abords sont truffés de scieries illégales.

La scène montre que, même après « le Jour du feu », qui a fait augmenter le nombre d’incendies en Amazonie de 196 % en août, la destruction de la forêt reste inchangée à Novo Progresso. La ville est entourée par la Forêt Nationale (FLONA) de Jamanxim, 3eme zone protégée la plus déboisée d’Amazonie, selon l’Institut national de recherche spatiale (INPE).

Lire aussi, Mathilde Dorcadie, « Ces entreprises européennes liées à la déforestation illégale de l’Amazonie », 30 avril 2019, dans Observatoire des multinationales

Le vol de bois, tel que décrit dans le reportage du 27 septembre, n’est qu’une des menaces auxquelles font face les 350 familles de petits paysans qui vivent à Terra Nossa. En effet, le Projet de Développement Durable (PDS) Terra Nossa a été conçu dans le cadre d’un concept de réforme agraire qui prévoit la préservation de la forêt, ce qui est contraire aux intérêts des bûcherons et des usurpateurs de terre. Dans cette région du Pará, il n’y a pas d’exploitation du bois autorisée, ce qui met en évidence l’illégalité de l’extraction de grumes et des scieries.

C’est pour avoir défendu ce modèle de réforme agraire et de préservation de l’environnement que la missionnaire américaine Dorothy Stang a été assassinée en 2005, à Anapu. Comme Dorothy, l’une des dirigeantes du PDS, Maria Márcia Elpídia de Melo, fait l’objet de menaces depuis que deux autres de ses dirigeants ont été tués l’année dernière. « Je ne veux pas de confusion. Je veux simplement défendre les petits paysans et la forêt », affirme-t-elle.

Selon Maria Márcia, la menace émane de gens influents de la ville, qui seraient liés au ’Jour du feu’ - initiative des éleveurs et des hommes d’affaires de Novo Progresso de brûler la forêt les 10 et 11 août, comme l’a révélé Repórter Brasil, le mardi 22 octobre, à partir des interviews des enquêteurs.

Les responsables de l’attaque se sont organisés en groupe WhatsApp, ont réparti les coûts du carburant utilisé pour alimenter les flammes et ont engagé des motards pour allumer les feux. L’une des cibles était la zone de peuplement, qui durant ce week-end d’août s’est retrouvée avec 197 départs d’incendie sur son secteur, selon les données d’Agência Pública.

L’un des plus influents qui, selon Maria Márcia, l’a déjà menacée de mort, est le vice-maire de Novo Progresso, Gelson Dill (MDB). En plus d’occuper la deuxième position du pouvoir exécutif de la ville, Dill est également vice-président du syndicat des producteurs ruraux, dont le président, Agamenon Menezes, a été la cible d’une opération de la police fédérale mardi 22 octobre, soupçonné d’être l’un des organisateurs du « Jour du feu ».

Repórter Brasil a eu accès à un fichier audio de WhatsApp indiquant comment les combinaisons ont été organisées pour mettre le feu à une partie de la forêt. Dans l’enregistrement, un individu non identifié confirme qu’il est en train de mettre en place l’accord fait avec le vice-maire Dill au sujet d’un incendie qui aurait lieu le dimanche 11 août. « Ô Gilson [Gelson], je préviens tout le monde d’aller dimanche mettre le feu à ce truc, d’accord ? » dit l’homme.

Dill nie avoir reçu l’audio. "Cette histoire de « Jour du feu » est un fantasme. Le mois d’août a toujours été marqué par les feux et cette année a été plus sèche « , dit ce dernier, qui prévoit de se présenter comme maire de Novo Progresso l’année prochaine.

Dill a déjà été condamné deux fois pour déforestation illégale dans la région de Novo Progresso. Pour l’un des cas, l’IBAMA lui a infligé une amende de 288 000 R$. Son frère, Evandro Carlos Dill, a également été condamné à une amende pour exploitation forestière illégale dans la FLONA de Jamanxim. Selon l’interview de Dill à Repórter Brasil, dans laquelle il se plaignait de la fermeture de la scierie après la création, en 2006, de la FLONA de Jamanxim, ils étaient tous deux bûcherons et possédaient une scierie à Novo Progresso.

Lire aussi, Ana Aranha, Guilherme Zocchio, »La majorité des députés a reçu des donations de ceux qui se livrent à la déforestation. Comment cela se reflète-t-il dans leur activité parlementaire ?", 30 janvier 2018 dans Reporter Brasil [traduction Autres Brésils

Une succession de meurtres

Maria Márcia vit avec le sentiment qu’elle va être assassinée à tout moment à cause des menaces et des dénonciations qu’elle fait. La violence s’est intensifiée dans la zone de peuplement l’année dernière avec l’assassinat d’un autre de leur dirigeant. Ceux qui exigeaient la punition des responsables de ce meurtre ont également été assassinés.

Selon Maria Márcia, outre Dill, trois autres personnes influentes de Novo Progresso la menacent : le président du syndicat des travailleurs de l’agriculture familiale (SINTRAF) de Novo Progresso, Raimundo Barros Cardoso (connu comme Dico) ; le chef du service municipal de régularisation foncière, Roberto Aparecido de Passos et l’exploitant agricole Messias Floriano Ferreira.

Maria Márcia, l’une des dirigeantes des travailleurs ruraux de la région, est menacée depuis que deux autres dirigeants ont été assassinés (Photo : Fernando Martinho/Repórter Brasil).

Tous trois ont été arrêtés le 10 octobre, plus d’un an après la disparition d’Antônio Rodrigues dos Santos, dit Moustache. Ancien dirigeant de Terra Nossa, Moustache a disparu lorsqu’il dénonçait des abattages illégaux de grumes sur sa parcelle. Roberto et Messias ont déjà été libérés et seul Dico reste en prison. Les trois font l’objet d’une enquête pour la mort de Moustache.

Dill affirme ne jamais avoir menacé Maria Márcia. « Elle l’a inventé pour me faire du mal politiquement », dit-il. Le vice-maire a déposé plainte contre Márcia pour diffamation. Les avocats de Messias et Roberto ont déclaré qu’ils n’étaient pas impliqués dans la mort de Moustache et qu’ils n’avaient pas connaissance de menaces. Repórter Brasil a envoyé les questions à l’avocat de Raimundo, mais n’a pas obtenu de réponses.

Après l’assassinat de Moustache, le président d’un autre SINTRAF - celui de Castelo dos Sonhos-, Aluísio Sampaio (dit Alenquer), a commencé à exiger publiquement la tenue d’une enquête sur ce crime. Il a, lui aussi, été assassiné. Avant de mourir, il a enregistré une vidéo dénonçant les responsables des menaces dont il était victime, dont Dico, inculpé il y a onze ans pour la mort d’un autre dirigeant rural de Marabá.

Le PDS Terra Nossa est de la même taille que la ville de São Paulo. Outre les personnes qui y sont établies, 76 exploitations agricoles illégales se sont implantées, résultat de l’usurpation des terres. Ces ferexploitants font pression sur INCRA et sur les petits paysans légalement établis pour que soit réduite la superficie de la zone de peuplement et que soit régularisé un plus grand nombre de grandes propriétés.

Forêt sous pression

La pression exercée sur le PDS est commune dans la région. La Forêt de Jamanxim est dominée par des conflits agraires, l’accaparement des terres, l’exploitation, minière et forestière, illégale depuis la création en 2006 par Marina Silva, alors ministre de l’Environnement, de la zone de protection de l’environnement. Les exploitants soutiennent que la FLONA de Jamanxim a été établie dans des zones précédemment exploitées commercialement avec l’élevage de bétail et l’exploitation forestière.

« En 2006, ils ont créé la FLONA de Jamanxim, où l’on travaillait déjà et du jour au lendemain, nous sommes devenus illégaux », a fait observer le vice-maire de cette ville à Repórter Brasil. Cependant, ICMBio estime que 67 % des occupants de cette FLONA sont entrés dans la zone peu avant ou peu après sa création.

Atteinte par le Jour du Feu, la Forêt Nationale de Jamanxim est la troisième zone protégée la plus déboisée de l’Amazonie, selon INPE (Photo : Fernando Martinho/Repórter Brasil).

D’une superficie équivalente à celle de l’Irlande du Nord (1,3 million d’hectares), cette FLONA est sous pression non seulement des exploitants locaux, mais aussi des politiciens liés au parti ruraliste.

En 2016, le président de l’époque, Michel Temer, a pris une mesure provisoire pour réduire l’aire protégée de la FLONA, ce qui légaliserait l’accaparement des terres dans la région. Lorsqu’ils ont été élus au Congrès, ces parlementaires ont augmenté la superficie de la zone qui ne serait plus protégée. Après la pression des écologistes et une campagne avec la participation de célébrités telles que la top-modèle Gisèle Bündchen, Temer a mis son veto à cette mesure.

Après le veto, le Planalto a tenté de réduire à nouveau la superficie de la FLONA, cette fois par le biais d’un projet de loi envoyé au Congrès. C’était un clin d’œil au parti ruraliste, puisque le président de l’époque avait besoin des votes de ces membres du Congrès pour se débarrasser des demandes de destitution (faites après un scandale impliquant les frères Wesley et Joesley Batista, de JBS ). Le projet de loi est au point mort au Congrès, en attendant la création d’un comité temporaire chargé d’examiner la proposition.

Pour l’instant, Jamanxim garde sa zone de protection inchangée, mais ses habitants continuent de faire face aux intérêts économiques derrière la destruction de l’Amazonie.

Voir en ligne : Reporter Brasil

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