« Oui, il continue d’y avoir des morts. Aujourd’hui, nous avons transporté quatre corps de personnes autochtones décédées hier [lundi 20 février] à Hospital Geral de Roraima [Boa Vista]. J’étais chargé de donner l’information aux communautés. La crise n’est pas terminée, non. Ni l’assistance, ni les soins de santé ne sont encore parvenus dans les communautés. On empêche les professionnels de la santé de partir en mission parce qu’il y a encore beaucoup d’orpailleurs dans de nombreuses régions » a déclaré, par téléphone, Junior Hekurari, président du CONDISI (Conseil de district sanitaire pour les autochtones), qui participait hier à l’assistance aux populations autochtones dans la communauté de Surucucu. Au cours des trois dernières années, durant le gouvernement Bolsonaro, il a fait de nombreuses dénonciations du génocide en cours en terre yanomami.
Le paludisme continue de faire des ravages sur le territoire, a déclaré par message WhatsApp le leader autochtone Julio Ye’kwana, président de l’Association Wanasseduume Ye’kwana. « Nous sommes confrontés ici, à Auaris, à une situation qui ne cesse de s’aggraver. Il y a trop peu de professionnels de la santé pour venir en aide à une population de près de 4 000 personnes dans la région. C’est tout simplement révoltant. Beaucoup de souffrance et des professionnels qui travaillent très dur. Nous l’avons déjà dit plusieurs fois, sous d’autres gestions yanomami, et nous devons le répéter ».
Selon Júlio, de fin décembre 2022 au 9 février dernier, ce sont 650 autochtones au total qui ont été affectés par la maladie, soit plus de 100 cas par semaine. Le manque de médicaments est un problème grave. « Nous n’avons pas de médicaments de base, comme la dipyrone. La dernière fois, j’ai moi-même rapporté un médicament pour la conjonctivite. J’ai acheté des gouttes pour les yeux à la pharmacie [de Boa Vista]. Les gens d’ici sont venus me demander de mettre des gouttes dans les yeux de leurs enfants. Ici, au poste de Ye’kwana, ils n’ont pas ces médicaments. Ce sont des médicaments simples qu’il n’y a pas ici » a-t-il expliqué.
Dário Yanomami, fils du leader autochtone Davi Kopenawa, a confirmé que de nombreux Yanomami restent sans assistance médicale en terre autochtone, où 31 mille personnes vivent dans 376 communautés cartographiées.
« Il y a certainement des autochtones qui attendent des soins. Parce qu’aujourd’hui, en terre yanomami, d’autres communautés, comme celles de Homoxi, Haximu, Xitei et d’autres sont fermées par manque d’assistance. Il n’y a pas de médicaments, pas de professionnels, pas de véritable structure pour que les professionnels puissent rester. C’est un très gros échec ».
Dário a expliqué que les communautés fermées « sont les zones d’orpaillage », où les services de santé ne peuvent pas accéder en raison de la présence d’orpailleurs armés. « Les menaces, le conditionnement, le trafic d’or ont entraîné la fermeture des communautés. Les services de santé n’ont pas atteint ces régions, cela fait presque trois ans que Homoxi a été fermée », a déclaré Dário. Il a indiqué qu’une communauté, Aracaçá, était privée de soins de santé depuis « 30 ans ». Selon Dário, il y avait alors 50 autochtones et aujourd’hui il n’y en a plus que 15.
Elayne Rodrigues Maciel, coordinatrice du FPEYY (Front de protection ethno-environnementale Yanomami et Yekwana) de la FUNAI (Fondation nationale des peuples autochtones), a confirmé à Pública, à Boa Vista, qu’il y a de nombreux secteurs de la terre autochtone où l’aide aérienne n’est pas encore arrivée, qu’il y a des communautés « prisonnières de l’orpaillage », comme celle de Homoxi, avec plus de 200 orpailleurs, et qu’il y a des communautés dans la forêt d’accès difficile.
"Les Yanomami ont la caractéristique de s’éparpiller, cela fait partie de leur culture, ils créent des communautés, toujours plus éloignées les unes des autres , parfois sans communication avec les équipes de santé. Ils font cela pour échapper à l’exploitation illégale de l’or, pour avoir une eau plus propre. Nous n’avons pas réussi à cartographier tous ces points. Nous nous rendons sur place et demandons « où se trouve la communauté ? Il y a des endroits qui n’ont pas de clairière où faire atterrir un avion pour livrer un panier de produits alimentaires de base, recevoir une équipe de soins. [...] Il y a des endroits qui sont vraiment très difficiles d’accès ».
Dans ce scénario, des décès peuvent survenir sans que les organismes de santé n’en aient connaissance ou ne les contrôlent. Maciel a déclaré que l’une des mesures consiste à ouvrir une clairière près de chaque communauté afin que les hélicoptères puissent y descendre et qu’à partir de là, les équipes sanitaires aient une idée plus précise du problème. En l’absence de clairières, les équipes s’y rendent à pied . « Il y a beaucoup de petits »spots" [de communauté dans la forêt]. L’équipe, lorsqu’elle distribue les paniers alimentaires de base, prend une photo de ces petits spots. Ainsi, parfois, au milieu de la forêt, il y a juste une petite maison ou parfois quatre petites maisons. Il est difficile d’estimer la population".
Les équipes de l’IBGE (Institut brésilien de géographie et de statistiques) qui ont participé au travail de cartographie sont celles qui travaillent sur le recensement national dans la région depuis l’année dernière. L’enquête qui avait dû être interrompue en janvier en raison de la déclaration de l’urgence sanitaire, reprend lentement.
« [L’ONG] les Expéditionnaires de la santé vont entrer dans la zone avec des médecins et des infirmiers, en renfort de la Force nationale du SUS (Système Universel de Santé) qui se trouve sur le terrain. Nous essayons de couvrir la plus grande zone possible. Ce qui va beaucoup nous aider, c’est le travail de l’IBGE. Parce qu’ils ont demandé s’il y avait d’autres personnes vivant à proximité. Ils ont les coordonnées », a déclaré Maciel.
Le nombre de décès est incertain ; le ministère pointe du doigt un « abandon par la gestion précédente ».
La communauté de Surucucu constitue un point de référence pour les soins de santé en terre yanomami. Les malades qui parviennent à y arriver par leurs propres moyens, ou qui y sont amenés pour obtenir une aide médicale, sont triés. Les cas les plus graves sont transportés par avion à Boa Vista - la FAB (Force aérienne brésilienne) dit avoir transporté 126 patients jusqu’à présent. Les cas moins graves sont traités au pôle de base de la communauté ou, dès que possible, transportés à l’hôpital de campagne, monté à Boa Vista. Júnior ne connaît pas non plus le nombre de décès survenus depuis la déclaration de la situation d’urgence (ESPIN), le 20 janvier, ces données étant centralisées au ministère de la Santé, qui n’a pas publié ce chiffre depuis cette date.
Le fonctionnaire fédéral entendu par Pública, qui a requis l’anonymat, a estimé une moyenne d’un décès par jour au cours des dix derniers jours. Un certain jour de février, a-t-il dit, trois Yanomami sont morts. Les décès, dit-il, se sont produits à l’intérieur et à l’extérieur de la terre autochtone, parfois pendant le transport du patient, par avion ou hélicoptère, à Boa Vista. Il est toutefois impossible pour les journalistes de documenter ces décès de manière indépendante, car le gouvernement fédéral a empêché les journalistes de pénétrer en Terre autochtone Yanomami (TI). L’absence dans l’actualité, au cours des trois dernières semaines, de nouvelles images d’enfants souffrant de malnutrition peut donner la fausse impression que la crise a été résolue. Mais, selon différentes sources, la crise n’a pas été surmontée.
Le nombre de décès enregistrés depuis le 20 janvier n’est pas non plus communiqué par le gouvernement fédéral dans ses « Bulletins quotidiens » et son « Rapport hebdomadaire » sur la crise, publications initiées par le ministère de la Santé en février sur l’urgence yanomami. Jusqu’à mercredi 22 février, le ministère a publié sur Internet six bulletins quotidiens et un hebdomadaire - le dernier « quotidien », cependant, est sorti le 18, il y a quatre jours. Aucun d’entre eux n’indiquait le nombre de décès. Pública a demandé au ministère de la Santé quelle était la raison de ce black-out.
Dans une note, le ministère a répondu que « l’enregistrement des décès et la collecte des données » en terre yanomami « se font, pour la plupart, par des moyens analogiques ( sur papier) ». Cela demande, en moyenne, « environ 30 jours pour valider et qualifier les données disponibles ». Selon le ministère, cette situation a été héritée de la gestion de Bolsonaro et persiste en ces premiers mois du gouvernement Lula « malgré les efforts du COE [Centre des opérations d’urgence] yanomami pour améliorer l’accès aux technologies de l’information et de la communication pour les équipes sur le terrain, en raison de l’état précaire dans lequel se trouvent les structures du SESAI(Secrétariat spécial à la santé autochtone), laissées à l’abandon par la gestion antérieure ».
Selon le ministère de la Santé, « le SESAI, en collaboration avec le COE -Yanomami, s’efforce d’améliorer l’accès aux données relatives aux décès sur l’ensemble du territoire yanomami.
Au sujet des quatre décès cités par Junior Hekurari, le ministère a confirmé que l’un d’entre eux »était dû à une maladie rénale chronique, un autre au paludisme et un troisième à une pneumonie bactérienne. Le quatrième décès est en cours d’investigation et de qualification par l’équipe hospitalière."
"En guise de soutien aux familles, le DSEI-Yanomami [Districts spécifiques à la santé autochtone] transfère les corps dans les communautés d’origine afin que les proches puissent effectuer les rites traditionnels. Parmi les patients adultes atteints de pathologies plus graves, 11 sont encore hospitalisés à Hospital Geral de Roraima, dont un dans l’unité de soins intensifs."
La précarité du système de données sanitaires en terre yanomami citée par le ministère de la Santé a été confirmée à Pública par une autorité fédérale qui accompagne l’urgence et qui n’a pas non plus souhaité que son nom soit publié. « Il est très probable que les décès de Yanomami continuent en terre autochtone, mais il n’y a pas de données actualisées parce que le système de collecte de ces chiffres est déficient. Les services de santé travaillent avec un retard de plusieurs mois sur ces chiffres. » Le problème est aggravé par les longues distances et l’absence d’internet dans la quasi-totalité du territoire autochtone. Ainsi, pendant plusieurs jours, l’agent de santé sur terrain accumule des données sur papier et ne les transmet au système numérique que lorsqu’il peut atteindre un local équipé d’un ordinateur et d’internet. L’alimentation des données peut prendre des semaines. Ainsi, il est possible que dans les prochains jours, le ministère dispose de données consolidées sur les décès survenus depuis janvier.
Le leader autochtone, Junior Hekurari ,met en garde contre une possible résurgence de la tuberculose.
A la question de savoir si l’urgence sanitaire des Yanomami touche à sa fin, Junior Hekurari alerte :
"Elle n’a même pas encore commencé. Ce qui manque, c’est le retrait des orpailleurs. Nous devons envoyer des médecins et des agents de santé pour combattre les maladies ; pour agir dans les communautés. Aujourd’hui, ils ne s’occupent que des urgences. Ils reçoivent des patients et les envoient à Boa Vista. Maintenant que nous avons un hélicoptère, tout ce dont nous avons besoin, ce sont des professionnels. Il y a beaucoup de patients qui arrivent à Surucucu. Sept à dix arrivent chaque jour"
Le leader autochtone s’est dit très préoccupé par la résurgence de maladies qui avaient perdu du terrain chez les Yanomami avant le gouvernement Bolsonaro, comme la tuberculose. Il a dit avoir été informé de 15 cas de tuberculose parmi les autochtones hospitalisés à Boa Vista. "Dans les années 1980, il y avait beaucoup de tuberculose. Lorsque l’orpaillage a pris fin, il y a vingt ans, elle a diminué en terre yanomami. Et quand l’orpaillage augmente, les maladies augmentent et la tuberculose aussi. Je ne sais pas combien de Yanomami ont la tuberculose. C’est ce qui m’inquiète, c’est la malnutrition.
l y a aussi la violence causée par la présence des orpailleurs sur le territoire. Elayne Maciel, de la FUNAI, a déclaré que l’information, selon laquelle les orpailleurs avaient ouvert le feu sur un groupe de Yanomami au début du mois de février, tuant deux personnes et en blessant une autre, était confirmée. Selon elle, il semble que les orpailleurs aient tiré sur les autochtones sans aucune discussion ou conversation préalable.
"C’était un groupe de trois autochtones de passage dans leur communauté d’origine. Alors qu’ils traversaient une piste d’atterrissage utilisée par des orpailleurs, ces derniers leur ont tiré dessus. L’un d’entre eux a pu être sauvé et les deux autres sont morts. Ils [les autochtones] ont également tiré sur les orpailleurs, touchant l’un d’entre eux. Nous pouvons confirmer qu’il y a vraiment eu un conflit. Il existe de nombreux cas de conflits entre orpailleurs et autochtones. Aujourd’hui, il y a toutes sortes d’armes sur le territoire, des pistolets, des révolvers.
Maciel a dit espérer que les actions menées par le gouvernement contre l’orpaillage (opérations menées depuis le 6 février par l’IBAMA [Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables], la FUNAI et la Police fédérale avec le soutien de la Force nationale et des Forces armées) porteront bientôt leurs fruits, ce qui permettra d’améliorer les soins de santé des Yanomami et, par conséquent, de réduire le nombre de décès et de maladies.
« Nous savons que la nourriture et le carburant ne parviennent plus jusqu’à de nombreux sites d’orpaillage. Un jour ou l’autre, les orpailleurs devront partir. Dans certains endroits, comme Homoxi, l’équipe a dû s’y rendre pour déblayer le matériel en fonctionnement. Ils n’ont pas cessé d’extraire de l’or. Avec l’étranglement de leur approvisionnement , ils vont effectivement avoir tendance à partir. C’est dans les montagnes, à l’extrémité de la TI. La FUNAI et la Police fédérale] montent petit à petit, et c’est sûr, ils vont y arriver. »